Roger Pruvost, La trempée

Ed. Syros, Paris, 1984, 208 pages

Catherine Firdion

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Roger Pruvost, La trempée, Ed. Syros, Paris, 1984, 208 pages

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Catherine Firdion, « Roger Pruvost, La trempée », Revue Quart Monde [En ligne], 141 | 1991/4, mis en ligne le 19 mai 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8932

Une enfance pas comme les autres, privée de tendresse et d’affection.

Un enfant abandonné, écrasé de désespoir à certains moments, un enfant marqué par la honte d’être « de l’assistance », d’être « un tiot de l’hospice. »

Sous sa plume trempée dans l’encre du chagrin revivent les souvenirs (1927-1945) d’un pays dur à la peine, le Nord mi-ouvrier, mi-paysan, où l’on parle encore plus volontiers le patois que le français, où une culture de la pauvreté se dessine à travers la vie quotidienne de gens simples et démunis (marquée par la pauvreté du vocabulaire, l’ignorance et la pudibonderie ambiante.)

Placé d’abord par sa mère chez une vieille nourrice où il passe les cinq meilleures années de sa vie, Roger Pruvost est ensuite confié à l’Assistance publique, puis placé à nouveau chez un tuteur, frère aîné de la nourrice, l’oncle Alcide. Là, Roger retrouve son frère aîné Jean (deux ans de plus) qui a déjà sa place dans la maison et qui sera toujours le préféré. Roger, lui, est petit, malingre, il cherche à se faire aimer. Aussi, au lieu d’attirer la protection, cet aspect ne fait qu’inspirer autour de lui le rejet.

C’est à lui qu’on réserve les tâches ménagères plutôt que les travaux du jardin.

A neuf ans, parce qu’il a « de mauvaises jambes », l’oncle décide de le renvoyer à l’orphelinat mais c’est la fille aînée qui l’en fera sortir au bout d’un an et le gardera définitivement. La maison de l’oncle Alcide était, écrit Roger Pruvost, « parmi les plus pauvres. » Employé au terril, l’oncle aidait à déverser les wagons de pierres après triage du charbon. La paye versée toutes les quinzaines était attendue avec impatience, mais elle était toujours insuffisante et souvent entamée dans un débit de boissons. Aussi le souci de la nourriture tient-il une place importante dans ce récit et fait l’objet d’une description minutieuse des plats traditionnels. « Nous étions trop pauvres pour jeter un morceau de pain, si petit soit-il. »

Roger reste frappé par la dignité que sa tante a su garder dans cette existence sans facilité. « On était des pauvres, bien sûr, mais on avait une bouche comme tout le monde. » Heureusement, il y avait l’école. Jusqu’au Certificat d’études Roger y trouvera compréhension et soutien des instituteurs. « J’aimais l’école, j’y étais protégé contre toutes les vilenies extérieures. En même temps, j’avais honte, tous mes camarades savaient maintenant que ma mère m’avait définitivement abandonné. »

De sa vie passée ensuite à l’orphelinat et au lycée de Douai où il poursuivra ses études secondaires grâce à une bourse, domine surtout une impression de grisaille et e tristesse (faim, coups, méchanceté) jointe aussi à un profond climat de dévotion.

Aujourd’hui haut fonctionnaire à l’administration générale de l’Assistance publique de Paris, Roger Pruvost offre un témoignage extrêmement attachant et émouvant. Avec simplicité et précision, il sait admirablement nous resituer le quotidien d’un monde pauvre, tour à tour gai, solidaire, cruel, dont la lecture ne déplairait pas aux familles du Quart Monde.

Catherine Firdion

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