Ce petit livre est très facile d’accès par son écriture comme dans son message. Claire et Marc Héber-Suffrin ont su nous transmettre, de façon dynamique et concrète, l’expérience du Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (M.R.E.R.S.) qu’ils ont fondé voici déjà plus de vingt ans, dans une cité de transit d’Orly. En la restituant aussi dans sa dimension éthique et politique : il n’y a pas de citoyenneté solidaire sans partage des savoirs.
Créer les conditions de ce partage, c’est le but des « réseaux ». Ils sont près de trois cents aujourd’hui, en France et dans quelques autres pays. « Chaque réseau comprend une équipe d’animation composée de permanents et de bénévoles qui se répartissent des temps de présence, d’accueil et de contacts des personnes intéressées. » L’objectif est leur mise en relation. « Celle-ci consiste à faire se rencontrer les deux personnes, enseignant et enseigné potentiel, afin qu’ils se mettent d’accord sur le contenu de l’échange, les attentes de l’un et les capacités de l’autre, ainsi que sur les modalités pratiques : lieu, fréquences, durée des échanges, etc. Lorsque plusieurs demandes identiques sont formulées, et que le type d’enseignement s’y prête, l’échange peut, bien sûr, se faire en groupe. »
Précisons que l’échange est gratuit et que l’apprentissage mutuel peut concerner tout ce qui peut constituer un savoir ou un savoir-faire : la mécanique automobile, la cuisine familiale, le piano, les sciences commerciales, la planche à voile, l’art de raconter des histoires aux enfants, le calcul, la comptabilité, le crochet, la diététique, le footing, l’industrie laitière, le lessivage, l’écriture d’une lettre administrative, l’initiation au français ou à une autre langue, le théâtre, la peinture...
« Nous sommes faits pour circuler dans les savoirs ». C’est pourquoi « si vous dites : « je n’intéresse personne », « le savoir, ce n’est pas pour moi, je ne suis pas assez intelligent, c’est pour les scientifiques », « je ne suis pas capable d’apprendre » « je ne peux rien apporter aux autres », « la société n’a pas besoin de moi pour tourner » ...alors, vous avez tort ! ».
« Il s’agit bel et bien, à un premier niveau, de rompre l’isolement, de restaurer des liens sociaux là où il n’en existe plus, ou presque plus, par la médiation du savoir. Puis, à des niveaux de plus en plus complexes, de mettre en relation les intelligences afin que tous puissent accéder à la liberté de savoir, d’agir, et de décider ensemble de leur avenir ».
On aura compris qu’il y a dans cette aventure un véritable projet social, auquel coopèrent tous les acteurs militants de ces réseaux. Et, à en juger par les témoignages rapportés, de personnes qui n’auraient jamais imaginé auparavant qu’elles puissent avoir envie d’apprendre quelque chose à quelqu’un et encore moins qu’elles soient capables d’apprendre à quelqu’un, on est bien obligé de reconnaître le caractère réaliste de ce projet utopique : le partage des savoirs, fer de lance d’une société plus conviviale et plus fraternelle.
Les « semaines de l’avenir partagé » proposées par le Mouvement ATD Quart Monde au cœur des quartiers défavorisés ne relèvent-elles pas du même pari ? Avec une vigilance particulière pour que les plus pauvres soient bien les partenaires de ce partage.