Olivier de Solages, Réussites et déconvenues du développement du Tiers-Monde. Esquisse de l’histoire d’un mal développement

Ed. L’Harmattan, 1993, 623 pages.

Nicole Benoît

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Olivier de Solages, Réussites et déconvenues du développement du Tiers-Monde. Esquisse de l’histoire d’un mal développement, Ed. L’Harmattan, 1993, 623 pages

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Nicole Benoît, « Olivier de Solages, Réussites et déconvenues du développement du Tiers-Monde. Esquisse de l’histoire d’un mal développement », Revue Quart Monde [En ligne], 153 | 1995/1, mis en ligne le 20 mai 2020, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9011

Pourquoi signaler cet ouvrage alors même que le Tiers-Monde a déjà fait l’objet d’une littérature abondante ? A cause d’une double originalité dans la démarche de son auteur, historien et sociologue qui est en contact régulier avec des organisations non-gouvernementales et leurs volontaires qui, sur le terrain, constatent les échecs des politiques de coopération et critiquent sans ménagement les choix économiques qui ont été faits à l’origine.

D’une part, l’approche historique, partant des débuts de la coopération, éclaire les problèmes qui se posent progressivement au développement du Tiers-Monde. D’autre part, l’approche culturelle prend une place importante, alors qu’elle est souvent considérée comme secondaire par d’autres auteurs, économistes pour la plupart. On verra donc « comment les diverses formes de l’influence culturelle occidentale se sont articulées, dans le processus du mal développement, avec les facteurs économiques.

La perspective historique montre, par effet cumulatif dans le temps, les problèmes résultant d’un développement mené sans partenariat avec les groupes sociaux moins favorisés qui représentent la majorité des populations en Tiers-Monde.

Comment, au début des années 60, le modèle de croissance occidental prônant la réussite économique et sociale par l’industrialisation tous azimuts fait l’unanimité. Alors à l’aube de leur indépendance, les Etats du Tiers-Monde, dans leur hâte d’affirmer leur autonomie vis-à-vis des métropoles, adoptent ce modèle en négligeant les réalités autochtones, comme la croissance démographique, par exemple.

Comment, encouragés par l’aide financière et technologique des pays industriels, les pays en voie de développement orienteront leur stratégie de production vers l’exportation pour se donner les moyens de l’industrialisation. Une stratégie qui, une fois le bilan fait, les aura finalement desservis au profit du monde industrialisé, sans desserrer les liens de dépendance.

L’aspect culturel permet de comprendre combien l’aide au développement n’a pas tenu compte du savoir de l’autre, du fait que « le monde traditionnel a sa rationalité propre… » L’analyse, faite surtout en Afrique, révèle la diffusion des valeurs occidentales sur ce continent, d’abord par le biais des colonisateurs, ensuite par le choix des milieux dirigeants, enfin par les choix opérés par les Africains eux-mêmes, dans leur souci de progression personnelle, et le mimétisme qui en est résulté.

Mimétisme total dans la construction de l’Etat et de l’appareil administratif, dans l’adoption de la constitution et des lois. Mimétisme beaucoup plus subtile, lorsqu’il s’agit de la manière dont « se fait un président » qui s’appuiera, d’une part, sur la Constitution, pour sa crédibilité à l’extérieur, et, d’autre part, sur la tradition pour se garantir l’adhésion de la population.

Mimétisme favorisé par les médias, dont le Nord a le monopole, par le flux d’information du Nord vers le Sud. C’est « une invasion sans réciprocité » : l’impact culturel se fait à travers les supports que sont la télévision, la radio, le livre et le cinéma ; l’impact économique, à partir du gigantesque « gisement informationnel » constitué aux Etats-Unis et diffusé grâce à l’informatique et à l’électronique.

L’enseignement, dans la langue de la métropole avec les valeurs afférentes qu’elle véhicule, encouragera chez l’Africain « une recherche de réussite matérielle individualiste » qui n’est pas sans conséquence sur la perte de son identité culturelle. L’Eglise, si proche qu’elle ait voulu être des gens, a aussi fait œuvre d’occidentalisation par son schéma de pensée et son enseignement.

L’évolution des cultures, sous les diverses influences venues d’Occident, a ainsi entraîné l’option du modèle de croissance économique, celui-ci conduisant aux choix de rentabilisation agricole qui ont marginalisé la paysannerie, aux choix de développement industriel et technologique qui ont provoqué l’explosion urbaine, favorisant un autre type d’exclusion. Ces options ont planté le décor dans lequel va prendre essor le fonctionnement tentaculaire des multinationales dont le pouvoir s’immisce parfois jusque dans les hautes sphères de l’Etat.

Ces contrastes permettent de vérifier la distinction que fait François Perroux, cité par l’auteur, entre la notion de croissance qui se mesure en termes de production et de revenu, et la notion de développement qui se mesure davantage selon les facteurs d’amélioration des conditions de vie de la population.

L’auteur nous annonce un second ouvrage. « Le premier se présente comme un bilan des premières décennies du développement conçu à la manière occidentale, mené en application des théories à l’honneur au début des années 60. Or, la réalité de cette période n’est pas décrite entièrement. Dans le second ouvrage, en préparation, il s’agira de présenter des orientations différentes qui ont été formulées et tentées, en opposition plus ou moins avec la théorie dominante - les déconvenues ayant été plus nombreuses que les réussites - et d’aborder la question suivante : les Etats du Tiers-Monde vont-ils désormais s’orienter vers un nouveau développement ? »

Cet ouvrage, bien construit et d’un style clair, s’appuie sur une bibliographie et une documentation fouillées, ce qui en fait un livre de référence convivial et complet. La sensibilité de l’auteur à la culture et au savoir de l’autre n’échappera pas aux lecteurs intéressés par cet aspect.

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