« Tiers-monde » ou « hors-monde » ? Jean-Marc Ela, une nouvelle fois, s’interroge sur l’avenir de l’Afrique, sur son entrée dans l’ère des exclusions, sur l’irruption des pauvres, sur le soulèvement de ces hommes et de ces femmes qui prennent conscience de leur condition insoutenable. La réalité est là, triste et sombre : l’Afrique apparaît aujourd’hui comme un continent trahi, perdu, naufragé. Le seul qui régresse dans le monde ; tous les indicateurs le prouvent : croissance de la famine et des inégalités sociales, corruption, baisse de la production alimentaire, ampleur du chômage urbain, paupérisation du monde rural, avancée du désert...
Les solutions ? Difficiles, car la situation est trop complexe pour être réduite à quelques paramètres. L’enjeu n’est plus d’atteindre la civilisation de l’universel que voulaient promouvoir les organisations internationales, les experts de « l’Aide » et de la « Coopération ».
Il faut, affirme l’auteur, repenser le développement en s’interrogeant sur la manière d’articuler la population l’environnement et le développement. Et le processus est en marche : à côté d’une économie officielle en faillite se découvre progressivement une économie souterraine, parallèle, en pleine vitalité ; c’est la promotion de la participation de chacun à son propre développement. La véritable réponse à la crise, aux incertitudes, devrait ainsi passer par les stratégies domestiques qu’inventent les groupes de base, les paysans, les femmes... Ces dernières en particulier, un groupe social encore très défavorisé, mais qui pourrait devenir « le centre de gravité des programmes d’action ». Autrement dit, « il faut sortir des schémas économistes traditionnels et reconnaître que la priorité, en Afrique noire, doit d’abord être pensée à travers la sociologie et l’anthropologie ».
Mais l’auteur veut aller encore plus loin. Inutile d’insister sur les mécanismes de l’économie, de la corruption, de l’argent ; c’est devenu une banalité et le discours « tourne en rond », dit-il. Il faut redécouvrir « la personne et ses droits fondamentaux, à partir des mouvements et des organisations qui reprennent en compte la dynamique des droits de l’homme et de ses mécanismes... L’enjeu de ces expériences, c’est le réaménagement des sociétés où les gens s’octroient un sens ». Finalement, cette profession de foi, dont rêve l’auteur pour le Sud - une véritable approche « par le bas » -, n’est pas si éloignée de celle que pourraient redécouvrir bien de nos pays du Nord...
Ainsi, ceux qui connaissent Jean-Marc Ela retrouveront avec plaisir son indéfectible optimisme - même s’il est plus mesuré dans cet ouvrage - sa confiance inconditionnelle dans l’homme africain, son refus de « l’afro-pessimisme ». Ceux qui ne le connaissent pas encore découvriront un auteur attachant d’une Afrique des villages, d’un art de vivre qui fait « sortir de soi pour aller à la rencontre de l’autre » et quelques vérités - à méditer par tous - sur le développement authentique des peuples.