Cet écrivain américain de 48 ans a réalisé là un essai original qui rend compte d’une quête journalistique poursuivie durant une dizaine d’années (1994 à 2005) sur tous les continents (27 pays). « J’ai simplement cherché à noter quelques similarités et différences qui, je crois, ressortent à l’expérience de la pauvreté. »
L’originalité se manifeste d’abord dans le questionnement qui a présidé à toutes ses rencontres avec des hommes et des femmes de tous âges vivant dans des conditions évidentes de pauvreté : « Pourquoi êtes-vous pauvres ? » et bien sûr dans le recueil des réponses et des réflexions qu’il provoquait.
Elle réside aussi dans le fait que ces entretiens ont été « achetés », en ce sens que les personnes qui acceptaient de parler (et de se laisser photographier : 128 photographies) étaient rémunérées, à proportion du temps investi dans l’entretien, pour compenser l’éventuel manque à gagner qui pouvait en résulter.
Pour les personnes interrogées, la pauvreté est bien plus qu’un état économique : c’est une expérience de vie. Celle-ci est rapportée à chaque fois par l’auteur et génère un dialogue pour tenter de dire si ces conditions d’existence sont appréhendées ou non comme « normales », pourquoi certains sont plus ou moins riches et d’autres plus ou moins pauvres, quelle est la ligne de conduite qu’il convient d’adopter face au malheur, à l’échec. Accepter la défaite ? Se dire que la vie est injuste ? Mettre sa fierté dans le fait de devoir se débrouiller tout seul ? Ne pas se considérer comme pauvre si l’on parvient à survivre au jour le jour ? Dans une deuxième partie, plus synthétique, l’auteur reprend les apports de ses divers interlocuteurs pour illustrer un certain nombre de dimensions de la pauvreté qui lui semblent universelles, au-delà des différenciations socioculturelles : invisibilité, difformité, rejet, dépendance, vulnérabilité, douleur, indifférence, aliénation.
Une troisième partie est consacrée à des situations spécifiques auxquelles les pauvres sont acculés et dont ils sont les victimes : le vol, la prostitution, la culture de l’opium, le terrorisme, le trafic d’êtres humains... avec ce leitmotiv : « Que pouvons-nous faire d’autre ? »
Dans une quatrième partie, sont rassemblées des préconisations qui ont émergé des entretiens pour améliorer la situation des pauvres. Elles sont de nature politique (« Plus d’aides et mieux réparties ») ou éthique (Plus de partage volontaire « des biens de nécessité, des biens intermédiaires et des loisirs. »)
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur livre ses impressions et appréciations personnelles sur ce qu’il entend, note son empathie, effectue des retours sur les valeurs de sa propre société. Jusqu’à cette confession : « Je suis riche et je veux que les pauvres m’aiment » et à cette adresse au lecteur : « Est-ce que la lecture des éléments de connaissance que j’ai ainsi acquis sur la pauvreté justifie a posteriori les moyens que j’ai utilisés pour les obtenir et ma manière de procéder ? »
On peut dire que William T. Vollmann fait souvent voyager son lecteur d’une situation vécue dans un pays à une autre situation vécue dans un autre pays, établissant des rapprochements ou soulignant une diversité de comportements et d’opinions... ce qui rend parfois la lecture laborieuse. Sa démarche qui pourrait apparaître assez naïve cache en réalité une quête ardente pour comprendre ce que des pauvres peuvent dire de leur pauvreté.