Je viens de lire la revue consacrée aux religions
Chers amis,
Je viens de lire la revue consacrée aux religions1 avec intérêt (…) et je vous écris à propos de l’article sur la laïcité, principalement de cette phrase : « Pourquoi les athées, les agnostiques, les libres-penseurs n’abordent-ils jamais la question de la pauvreté ? »
Le père Joseph a dû se retourner dans son cercueil, lui qui avait toujours veillé à ce que le Mouvement ne se confessionnalise jamais (…) Un jour, (il) s’est approché de moi, m’a mis ses mains sur les épaules et m’a dit : « Quand allez-vous cesser de faire semblant d’avoir la foi, vous ne l’avez jamais eue ! Les pauvres ont besoin de vous et de tous ceux qui croient en l’homme mais pas ou plus en Dieu ! » Je ne peux dire à quel point je me suis sentie soulagée ; une autre vie commençait.
Le Mouvement compte beaucoup d’athées ou d’agnostiques. Dans ce milieu que je connais depuis 1956, je ne me suis jamais sentie exclue(…). Il y a beaucoup d’autres mouvements non-chrétiens qui œuvrent contre la pauvreté et pour les pauvres : le SPF, les restos du cœur, etc. Je les respecte mais je ne m’y sentirais pas aussi à l’aise qu’à ATD à cause de nos options de base originales.
Pourquoi cette interrogation à propos du mot exclusion ?(…) Dans les années 77-78, quand René Lenoir a sorti son livre sur « Les exclus », ATD a tout de suite repris le mot. Pour les autres mots cités, ils ont leur sens propre : précarité n’est pas pauvreté, et pauvreté n’est pas misère(…). Merci de m’avoir lue. Je défendrai la laïcité tant que je respirerai, car c’est une idée universelle. D’accord avec la toute fin de l’article qui la définit bien.
Amicalement.
Denise Bertin
Réponse à Madame Bertin
Chère Madame,
Comme vous, je suis beaucoup plus à l’aise dans les milieux laïques que dans les milieux catholiques et que dans les associations caritatives. J’ai donc été maladroite.
J’ai simplement voulu dire que le mot pauvreté a une histoire qui le lie au monde chrétien. Il est encore associé au catholicisme et à la charité. D’ailleurs le numéro de la revue Quart-Monde en question ne s’interrogeait-il pas sur les religions et la pauvreté ? Mon coup de cœur est venu de là. N’y aurait-il que les religions pour répondre au problème de la pauvreté ? Et aucun espace pour une autre approche ? C’était pour moi difficile à accepter. C’était cela que je voulais mettre en avant. Se résoudre à croire qu’un lien privilégié entre les religions et la pauvreté est nécessaire, fondamental, ne serait-ce pas, en définitive accepter comme un accord tacite entre tous que bénéficier de la charité, recevoir l’assistance soit le seul droit pour les personnes très pauvres ? N’y a-t-il pas à interpeller la générosité naturelle de nos concitoyens pour que chacun sorte de son confort intellectuel et fasse un pas vers davantage de communication et une meilleure compréhension réciproque ? N’y aurait-il pas une urgence à considérer que la pauvreté n’est pas seulement une question de manque monétaire ? Ne pourrait-on imaginer une piste à creuser, de la part de ceux qui se revendiquent sans religion, sur la question de l’exclusion et de la pauvreté sans qu’ils s’en remettent aux organismes de secours d’urgence ou à la lutte des classes ? C’était l’union de tous que je voulais. C’était le sens de mes questions. Mais je l’ai sans doute dit de façon un peu abrupte. Je le regrette, surtout si on comprend … que je voulais critiquer la façon laïque de voir les choses alors que ce n’est pas tout à fait ma pensée ni mon vécu !
Je vous dois donc quelques explications sur l’origine de mes propos. J’ai été élève de l’école normale primaire, en cours de philosophie nous avons été initiées aux textes de Simone Weil (la philosophe) et à la question de la dignité humaine qu’elle a portée très haut et qui fait partie de mes références. Le mot « pauvreté » relevait de la sphère privée et de la charité individuelle. Dans les concepts qui encadraient notre mission républicaine il y avait les mots égalité, liberté, fraternité et il n’y avait pas encore de notion de cas sociaux ou de familles déstructurées par exemple. On se devait d’être attentif à tout enfant, de n’en discriminer aucun et de les faire tous progresser. On avait le souci de faire avancer ceux qui étaient en difficulté. À nous, les maîtres et maîtresses d’école, il revenait modestement de former le citoyen, de favoriser l’acquisition des connaissances mais aussi du jugement. C’était tout cela ma laïcité. La leçon de morale faisait partie de nos obligations. Selon un spécialiste de la laïcité à l’école : « Une leçon classique de la morale laïque explique que la charité sans la justice constitue une atteinte à la dignité d’autrui »2.
Pour une agnostique comme moi la proximité de la personne humaine a toujours été plus naturelle que la fraternité que l’on devrait accorder aux pauvres parce qu’ils seraient les enfants d’un même père que nous ! L’attention aux autres est une qualité humaine qui peut être partagée par tous. C’est là encore un désaccord profond avec certains croyants. Pas avec tous heureusement. Au sein du Mouvement ATD Quart-Monde les personnes engagées ont une éthique personnelle fondée sur celle de Joseph Wresinski.
J’ai longtemps eu des difficultés à concilier mon appartenance au Mouvement et cette lutte pour la laïcité. J’ai terminé mon livre sur Joseph Wresinski par ces mots : « Pour moi, il est possible de rejoindre son combat sans rien renier de l’idéal de la laïcité. »
Marie-Hélène Dacos-Burgues