Dominique Torrès, Esclave. 200 millions d’esclaves aujourd’hui

Editions Phébus, Collection « Liberté sur parole », Paris, 1996, 200 pages

Daniel Fayard

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Dominique Torrès, Esclave. 200 millions d’esclaves aujourd’hui, Editions Phébus, Collection « Liberté sur parole », Paris, 1996, 200 pages

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Daniel Fayard, « Dominique Torrès, Esclave. 200 millions d’esclaves aujourd’hui », Revue Quart Monde [En ligne], 160 | 1996/4, mis en ligne le 22 mai 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9117

Journaliste d’investigation à France 2, Dominique Torrès a déjà réalisé deux films sur ce sujet, non sans difficultés car ce genre de reportage est à haut risque. Ici elle veut aller plus loin : elle ne supporte pas de « voir l’homme faire le malheur de l’homme ». Ce n’est pas un panorama complet de la question. « Plutôt que d’espérer pouvoir tout dire un jour, j’ai choisi de transmettre sans plus attendre ce que j’avais déjà pu rassembler, vérifier. Et de le faire sous forme de livre : pour que cela reste »

Livre de dénonciation sans aucun doute. La domesticité est peut-être une pratique ancestrale mais elle revêt parfois aujourd’hui des formes incroyables d’exploitation, de maltraitance, d’inhumanité, de violation des droits de l’homme. En toute impunité ou presque.

Le plus souvent, les victimes sont des jeunes filles issues de milieux très pauvres, louées ou achetées, enlevées ou recrut‚es par des familiers complaisants ou des agences spécialisées. Elles sont corvéables à merci par des patrons qui les privent parfois de nourriture, souvent de repos et de loisirs, autant de liberté, mais aussi de leur salaire et de leur passeport, autant dire de leur autonomie, et qui ne se gênent pas ni pour les rouer de coups ni pour les mettre à la porte (telles des domestiques jetables) ... dans un pays dont elles ne connaissent même pas la langue.

Elles vivent dans un univers de souffrances indicibles et de désespérance. A qui se plaindre ? Quels recours possibles quand les patrons en question sont de riches notables disposant de beaucoup de relations ?

Dans le livre, cela se passe au Maroc, au Koweït, en Mauritanie, en Sierra Leone... mais aussi en Europe : France, Suisse, Grande Bretagne. En point de mire, le personnel diplomatique dont le statut extraterritorial favorise le non-respect de la législation et de la protection sociales. On a du mal à imaginer un tel degré de perversité dans les relations que certains entretiennent avec leurs « bonnes ». Mais comment mettre un terme à de telles pratiques quand celles-ci n’ont aucun moyen de saisir la justice et quand il apparaît inconvenant de faire peser des soupçons d’ignominie à l’encontre de représentants de pays amis ?

L’esclavage est officiellement aboli. Mais l’existence de la misère conduit de nos jours des millions d’êtres humains, faute d’autres perspectives, à se livrer corps et âme d’abord à des promesses mensongères de sécurité, de travail, voire de formation, que des intermédiaires entretiennent, trouvant là eux-mêmes de quoi vivre, et ensuite, au bout de cette chaîne d’illusion, à une classe d’hommes et de femmes sans scrupule, sans conscience d’aucune obligation contractuelle à l’égard de leurs « protégés »

Oui, la misère peut conduire à l’asservissement en terre d’exil, là où vous n’êtes plus qu’un être sans défense, sans appartenance sociale et sans soutien familial, livré à la merci générale, sans aucun profit à terme bien au contraire.

Livre militant qui a pour but de bousculer le lecteur incrédule et de lui donner envie d’en savoir plus à la veille du cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 4 stipule : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes ».

Daniel Fayard

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