Le titre, dont on peut regretter la banalité, ne dévoile en rien ce qui constitue la raison d’être et l’originalité de cet ouvrage : le récit autobiographique de Robert Lefort.
Robert Lefort s’est suicidé à Toulouse le 11 novembre 1998, à l’âge de 38 ans.
Jean-François Laé, sociologue, apprend par une « brève » du journal Le Monde ( 29-11-98) qu’on a découvert dans le petit studio qu’il occupait un cahier en désordre contenant soixante et onze pages écrites à la main en lettres majuscules. Le père Berthuit, qui avait précédemment hébergé Robert Lefort dans son presbytère et lui avait suggéré d’écrire un « bilan de vie afin de retrouver ses marques », était le détenteur provisoire de ce document. Jean-François Laé se le procure et le fait lire à Arlette Farge, historienne. Tous deux sont bouleversés et décident de le publier intégralement (43 pages dans ce livre), mais en le faisant suivre de leurs réflexions respectives car ils se refusent « d'abandonner à son sort » un tel témoignage de vie.
Jean-François Laé s’applique à en relire les mots et les phrases, à en apprécier le ton et le style, à en décoder le sens, à en approfondir la portée. Ce sont ce qu’il appelle « les mailles du récit » (43 pages également) à travers lesquelles il nous redit l’expérience singulière de cet homme, septième enfant d’une fratrie de neuf. Un père manœuvre, puis gardien d’immeuble, puis inapte au travail. Une mère obèse et malade. Sa scolarité ratée. Une hémorragie méningée à 16 ans. Manœuvre chez un artisan maçon pendant huit ans. Préparateur de palettes dans une entreprise d’appareils ménagers pendant deux ans. Chômeur, hébergé par ses sœurs. Puis sa « disparition »: l’aventure de la vie à la rue pendant cinq ans, jusqu’à sa rencontre avec le père Berthuit. Enfin son retour au travail (CES dans le bâtiment et stage de maçonnerie en AFPA) et son accès à un studio.
Pour éclairer sans doute la manière dont sont traitées les personnes à la rue, Jean-François Laé insère ensuite un chapitre intitulé « Les mots de la peine », dans lequel il rapporte et commente une « main courante » en centre d’hébergement, qu’il avait analysée au cours d’une recherche antérieure. Ce sont des annotations spontanées écrites, heure par heure ou presque, par les personnes chargées d’accueillir pour une nuit les personnes à la rue et de gérer leur présence.
Enfin, dans un dernier chapitre intitulé « L’envers de l’histoire », Jean-François Laé et Arlette Farge dialoguent, à partir de leur discipline respective, sur la persistance et la constance des expériences vécues dans la grande pauvreté, des souffrances endurées par des corps malmenés.