Lydie Salvayre, Les belles âmes

Ed. Le Seuil, Paris, 2000, 156 p.

Daniel Fayard

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Lydie Salvayre, Les belles âmes, Ed. Le seuil, Paris, 156 p.

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Daniel Fayard, « Lydie Salvayre, Les belles âmes », Revue Quart Monde [En ligne], 178 | 2001/2, mis en ligne le 01 octobre 2001, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9550

Banlieue nord de Paris (cité des sables), Bruxelles (Molenbeek), Cologne, Berlin, Dresde, Ratisbonne, Milan, Vigevano, Turin... en cinq jours. Au programme : la visite de la face cachée de grandes villes européennes, celle de la misère tapie au fond des cités et des squats. Le car de l'agence « Real voyages » emmène à bord des touristes bien typés, censés représenter les « belles âmes » de notre société, qui ont choisi de se payer des émotions fortes et inédites, hors des circuits habituellement fréquentés par les candidats au dépaysement. Ils sont soumis à rude épreuve par ce qu'ils découvrent mais chacun reste lui-même aux prises avec ses convictions, ses préjugés, ses moyens de défense. Le récit abonde de leurs réactions et de leurs commentaires merveilleusement croqués dans un style alerte et une expression colorée. Sans oublier les appréciations croisées qu'ils portent les uns sur les autres.

Pourtant la pointe du récit est peut-être ailleurs. L'auteur a introduit dans ce groupe quelques complices, bien typés eux aussi. « Une instinctive solidarité les rassemble. » Ils jouent les trouble-fête et cristallisent l'intérêt du lecteur par leur personnalité propre. Citons pour mémoire Vulpius le chauffeur du car, issu lui-même d'une des cités visitées. Mais surtout « l'accompagnateur », concepteur du circuit, qui entreprend là une oeuvre apostolique (faire changer le regard des riches sur les pauvres) et qui tient des propos quelque peu moralisants. Jason, l'agent d'ambiance, recruté dans le « milieu » pour faciliter les médiations, mais qui a son franc-parler et sa façon bien à lui de provoquer tout le monde. Olympe enfin, de son état repasseuse dans le pressing d'une galerie marchande, admise à voyager au dernier moment parce qu'elle est la copine soumise de Jason.

Olympe est dans le groupe la personne qui s'exprime le moins et pourtant elle est probablement celle qui est la plus présente, celle qui incarne la souffrance muette de ceux qui n'ont pas les mots pour dire ce qu'ils ressentent et ce qu'ils sont, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont sans rêve. Sa personne séduit l'accompagnateur et son personnage a partie liée avec l'auteur.

« La véritable misère a ceci de singulier qu'elle ne peut jamais sortir de la bouche de ceux qu'elle afflige. Ce qui rend les choses compliquées. Pour ne pas dire impossibles. Car nul ne peut parler à la place d'un autre. Or c'est cela même à quoi je m'autorise. Parler au nom d'Olympe. Sans l'ombre d'un scrupule. Pire, avec la certitude présomptueuse de ma légitimité. Avec le sentiment très assuré que, le faisant, j'obéis à Olympe, ainsi qu'à moi-même. » – « Olympe aime les secrets. Avez-vous compris qu'elle porte le mien ? »

Un roman à lire d'une traite. C'est décapant. On n'en sort pas indemne. Certains pourront penser que le regard frise le cynisme ou l'ironie et que le message est ambigu ou désabusé (il n'y a pas de happy end) L'essai romanesque, qui force les traits, n'en laisse pas moins percer parfois des parts de vérité : les défavorisés ne sont pas des « macaques », c'est du moins ce que pense la concierge de la cité des sables.

Daniel Fayard

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