La dignité, loi pour la loi

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « La dignité, loi pour la loi », Revue Quart Monde [En ligne], 158 | 1996/2, mis en ligne le 30 mai 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1001

Tout homme est égal aux autres hommes en dignité. Notre organisation politique, nos liens de tous ordres doivent créer et recréer sans cesse les conditions d’expression de cette dignité inaliénable, référence de la loi.

Ce dossier paraît alors que la France veut se doter d’une loi d’orientation contre la grande pauvreté et l’exclusion. Et, comme l’indique Jérôme Vignon, la question est celle de l’Union européenne et au-delà.

La misère est une violence. Elle entraîne la perte d’estime de soi parce qu’elle ne permet pas de tenir les responsabilités de tout être capable d’aimer, de parler, d’agir de concert avec d’autres. Huguette Garsmeur le fait toucher du doigt.

Comme le montrent Marie-Odile Gilles-Simon et Michel Legros, les très pauvres sont rarement sans liens avec des dispositifs légaux utiles pour vivre ou survivre. Pourtant, s’ils n’accèdent pas à une partie de leurs droits, n’est-ce pas parce que la loi qui les aide, bien souvent, les humilie ?

Les politiques butent bien sûr sur la limite de leurs moyens. Mais elles révèlent aussi l’ambiguïté pour une société de vouloir soutenir ceux qui par leur situation même ne sont plus considérés.

Les responsables administratifs opposent, comme le met en lumière la synthèse d’une enquête livrée ici par Henry Noguès et Denis Bouget, deux manières de raisonner. Les politiques « spécifiques » entendent repérer les plus pauvres et leur apporter « spécifiquement » certains éléments de compensation de leurs désavantages. Les politiques globales, au contraire, s’adressent à l’ensemble des citoyens par des mesures qui doivent avoir été réfléchies en fonction de tous et donc des plus pauvres aussi. La réalité montre que les unes et les autres ont leurs avantages et leurs limites pratiques.

En principe, la dignité des ayants droit est mieux respectée par des mesures qui sont destinées à tous - chacun est, en effet, d’emblée considéré comme citoyen. Ces mesures évitent, en outre, de désigner les plus pauvres par leurs points faibles, aux risques non négligeables de souligner ces points, d’en faire des « étiquettes permanentes » et même parfois indélébiles. Mais, n’est-il pas contradictoire pour une société qui révère, cela va de soi, ses formes de réussite de faire comme si ceux qui sont en situation d’échec peuvent totalement échapper à cet échec ? Philippe d’Iribarne entraîne pas à pas le lecteur dans cette réflexion en analysant l’écart entre les lois avec leurs intentions affichées par le législateur et les dispositifs concrets de leur mise en œuvre.

La question rappelée par le président Paul Bouchet est celle de la garantie des conditions de la dignité de chacun. L’État ne peut nullement se dessaisir de cette obligation qu’on dénomme les Droits de l’homme et qui implique des droits fondamentaux précis sur lesquels, en France, la Commission nationale consultative des Droits de l’homme a pris position.

Remettre sur le métier des politiques une loi d’orientation et de programmation de lutte contre la grande pauvreté ne sera utile qu’à deux conditions pour lesquelles tous les citoyens doivent se mobiliser :

  • que les plus pauvres puissent par tous les moyens utiles découvrir leurs droits ;

  • qu’ils soient considérés comme les partenaires essentiels de la mise en œuvre de ces politiques. Ceci commence par le fait de les associer d’aussi près que possible à la définition des politiques. Jusqu’ici un effort considérable a été amorcé en ce sens comme le montre notamment le résumé du rapport du Conseil économique et social.

Remettre sur le métier des politiques une loi de programme contre la grande pauvreté, c’est aussi et surtout proposer au pays de reprendre en main la question de la dignité de tous, dans une période où la réalité des situations et les orientations des politiques économiques et budgétaires laissent présager le pire. Si la question de la dignité des plus pauvres est seulement la question de leur dignité à eux, alors elle est sans solution. Si elle est un point de repère de la violence des rapports sociaux et donc de la dignité de tous ceux qui, ensemble, veulent faire société commune, histoire commune, action humaine commune, monde commun pacifique, alors la question des politiques de lutte contre la pauvreté devient centrale car elle aborde les vrais sujets d’aujourd’hui et de demain. La misère n’est-elle pas une mesure de la violence quotidienne ? N’avons-nous pas la capacité de nous parler, de coopérer, de nous unir autour de la dignité du plus faible et de tout homme ?

Sortir de toute relation de violence (histoire de guerres héréditaires et de vendetta, histoire d’esclavage, d’apartheid ou de racisme) demande que les deux parties antagonistes se libèrent l’une par l’autre, en même temps que chacune par elle-même, du cycle de la violence et se donnent des preuves de sincérité.

Dans cet affranchissement, la loi est un instrument pour tous. Pour des maires, des élus, des fonctionnaires qui cherchent à mettre la loi au service de la dignité des personnes et de la paix des communautés locales. Mais aussi pour les plus pauvres, et c’est là qu’ils nous attendent comme partenaires. Les Universités populaires Quart Monde montrent que cette démarche de la loi peut être une chance de compréhension de la vie réelle des plus pauvres, une chance de regarder notre monde commun tel qu’il est, et, de là, une possibilité nouvelle d’être citoyens tous ensemble.

Louis Join-Lambert

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