Michael J. Sandel, La tyrannie du mérite

Paris. Albin Michel. 2021. 377 pages, Édition originale en 2020 à New York et Londres :« The Tyranny of Merit. What’s Become of the Common Good? »

Daniel Fayard

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Michael J. Sandel, La tyrannie du mérite, Paris. Albin Michel. 2021. 377 pages. Édition originale en 2020 à New York et Londres : « The Tyranny of Merit. What’s Become of the Common Good? »

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Daniel Fayard, « Michael J. Sandel, La tyrannie du mérite », Revue Quart Monde [En ligne], 259 | 2021/3, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10451

Professeur renommé de philosophie politique à l’Université de Harvard, l’auteur cherche à comprendre les ressorts du ressentiment contemporain et de la réaction populiste contre les élites qui, aux USA mais aussi en d’autres pays comme en Grande Bretagne et en France, menacent la démocratie. L’élection de Donald Trump, le triomphe du Brexit, le mouvement des Gilets jaunes sont le fruit de la colère et expriment une opposition à une politique qui profite aux individus placés en haut de l’échelle sociale et maintiennent le citoyen ordinaire dans un sentiment d’impuissance.

A la fin des années 1970, les PDG des grandes entreprises américaines gagnaient 30 fois plus que l’employé moyen ; en 2014, ils gagnent 300 fois plus… Entre les titulaires d’un diplôme universitaire et ceux qui n’en ont pas, la différence de revenus était de 40 % en 1979, elle était de 80 % en 2000...L’ère de la globalisation technocratique a fortement récompensé les diplômés, mais n’a quasiment rien donné à la plupart des travailleurs ordinaires…Cette évolution a engendré des renversements politiques. Au cours du XXème siècle, les partis de gauche avaient attiré les moins diplômés ; les partis de droite les plus éduqués. Aujourd’hui, à l’âge méritocratique, cette tendance s’est inversée. Les individus hautement qualifiés votent pour les partis du centre-gauche ; les moins instruits pour les partis de droite (soutenus par les électeurs fortunés) …. En France, la part des diplômés votant pour la gauche dépasse aujourd’hui de 10 % la part des non-diplômés… En Grande Bretagne, plus de 70 % des sans-diplôme ont voté pour le Brexit, plus de 70 % des diplômés de troisième cycle ont voté pour le maintien dans l’Union…

La multiplicité de ce type d’évaluations, très significatives pour l’auteur, l’incite à dénoncer ce qu’il appelle la méritocratie et la diplômanie. La méritocratie c’est considérer que ceux qui réussissent sont les plus talentueux et méritent leur succès, et que les moins fortunés n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes pour avoir manqué de talent et/ou insuffisamment travaillé. « Plus nous considérons que nous sommes responsables et autosuffisants, moins nous nous soucions du destin de ceux qui ont moins de chance que nous. Si je suis responsable de mon succès, les moins chanceux sont responsables de leurs échecs. C’est cette logique qui rend la méritocratie si dangereuse pour le collectif. » « Elle nous fait oublier que nous partageons un destin commun et elle ne laisse guère de place à la solidarité. » La diplômanie subordonne la reconnaissance sociale à l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur, dévalorisant les non-diplômés et la dignité de leur travail, engendrant chez eux un double sentiment d’injustice et d’humiliation. Or, au nom de l’égale dignité due à chacun et pour permettre sa contribution au bien commun en développant des liens citoyens, il importe de lui garantir la possibilité de mener une vie décente, de subvenir aux besoins des siens et d’acquérir une estime sociale.

Un livre passionnant et facile à lire. A noter qu’un chapitre est consacré à une brève histoire morale du mérite, en réponse à la question de savoir à quel moment et comment le mérite est devenu toxique ?

Daniel Fayard

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