Joseph Wresinski, Pierre Rabhi : des démarches complémentaires

Claude Ferrand

p. 58-60

References

Bibliographical reference

Claude Ferrand, « Joseph Wresinski, Pierre Rabhi : des démarches complémentaires », Revue Quart Monde, 261 | 2022/1, 58-60.

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Claude Ferrand, « Joseph Wresinski, Pierre Rabhi : des démarches complémentaires », Revue Quart Monde [Online], 261 | 2022/1, Online since 01 September 2022, connection on 23 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10615

La mort brutale de Pierre Rabhi, le 4 décembre 2021, a affecté l’auteur de ce texte, ayant lui-même été témoin par sa famille d’une mutation agricole et maraîchère. En référence à l’interview de Pierre Rabhi dans le n° 215 (2010/3) de la Revue Quart Monde sur le Développement durable, avec ou sans misère ?1 et notamment à son appel final : « Si vous vous appuyez sur un noyau volontaire, déterminé, vous pouvez tenter une expérience d’installation à la terre, en même temps d’artisanat, de tout ce qui découle en quelque sorte d’une activité humaine recomposée, qui permette une autonomie pour vivre. Je suis prêt à ce moment-là à m’engager avec vous, si vous voulez, parce que ces projets-là, je peux les réaliser », il a souhaité faire part de cette réflexion, écrite dès 2012 et inédite.

Note de la Rédaction
Dans cette rubrique Fondamentales, nous avons publié dans le n° 260, 2021/4 l’article Université et misère, une alliance à ne pas manquer sous la double signature de Christian Debuyst et Françoise Digneffe.
Suite à une erreur de transmission, nous avons omis de préciser que nous avions choisi de publier cette intervention à deux voix, prononcée en novembre 2010, à l’Université Grégorienne à Rome, pour rendre hommage à Christian Debuyst, décédé en juin 2021, et lui associer la mémoire de Françoise Digneffe, décédée au printemps 2018. Nous vous prions de bien vouloir nous excuser de cette erreur.
Pour en savoir davantage sur les liens de Christian Debuyst avec le Mouvement ATD Quart Monde, lisez l’article paru sur le site du Mouvement international à l’adresse suivante : https://www.atd-quartmonde.org/il-nous-a-aides-a-etre-des-hommes-et-des-femmes-qui-cherchent/

« Considérer le passé comme un patrimoine de l’humanité à réhabiliter et à harmoniser avec ce que la modernité a produit de positif, et que l’appât du gain a pris en otage en le privatisant. Seul le choix de la modération de nos besoins et désirs, le choix d’une sobriété libératrice et volontairement consentie permettra de nous affranchir de la tyrannie de la finance ».2

Je trouve que le Mouvement ATD Quart Monde et le Mouvement Colibris de Pierre Rabhi ont une grande complémentarité. L’un est ancré dans une expérience vécue en terre de misère d’où il a essaimé et l’autre, dans une expérience vécue d’agroécologie fondée sur la terre nourricière où l’humain et la nature sont indissociables.

Joseph Wresinski et Pierre Rabhi se sont ancrés tous les deux dans une terre d’expérimentation, une terre natale, une terre fondatrice où ils ont forgé leur projet de société à partir et avec l’humain, d’abord dans une grande solitude contre l’adversité, avant d’essaimer.

Un même refus de l’exclusion des non‑productifs

Pour Joseph Wresinski, ce fut la conception et la construction d’une cité et d’un centre de promotion familiale, sociale, économique et culturelle, visant la pleine réalisation des droits de l’homme par la responsabilité de chacun, sur l’emplacement du bidonville, à Noisy-le-Grand où, pendant dix ans, avec les familles habitant ce camp ils se sont associés et mis en marche avec d’autres citoyens pour revendiquer et réaliser leurs droits de citoyens. Cette action globale de développement communautaire est à l’origine du Mouvement familial des droits de l’homme ATD Quart Monde qui a essaimé dans le monde.

L’expérimentation de l’effectivité des droits humains fondamentaux de tous, pour tous et avec tous, menée en coresponsabilité dans une démarche de partenariat avec des personnes très pauvres et exclues ne peut qu’être au service d’un projet d’intérêt commun d’amélioration de la qualité de la vie de tous.

Pour Pierre Rabhi, ce fut la création de l’agroécologie à partir d’une ferme sur une terre aride de l’Ardèche d’où il a essaimé en créant le mouvement Terre et Humanisme, le mouvement des Colibris et les communautés Oasis.

Tous deux refusent le modèle des Trente Glorieuses qui ont abandonné les plus faibles au nom de la croissance économique illimitée et ils ont inventé une nouvelle éthique fondée sur la valeur de l’homme et de la nature en usant de la modération.

Au point de départ de ces deux expériences, il y a le refus de l’exclusion d’une partie de la population non productive par une autre partie qui bénéficie des avantages de la modernité et du pouvoir de l’argent, et par conséquent le refus de l’assistance qui empêche les personnes de se révéler à elles-mêmes en tant qu’êtres humains, capables de penser, de critiquer, de créer, de maîtriser et d’entrer en relation avec les autres. Les droits de l’homme sont violés, d’où s’unir est un devoir sacré pour les faire respecter.

À la racine et au cœur de ces deux projets de civilisation qui convergent vers une même finalité, il y a l’éducation nourrie par une expérience de vie transgénérationnelle et collective ; une éducation des enfants, des jeunes et des adultes à la vie, à la paix, à l’écologie, à la relation avec l’autre, pour créer, habiter, travailler, consommer, se nourrir, se déplacer autrement.

Vers quelle société ?

La question est de savoir où nous voulons aller et quelle société nous voulons vivre ?

La démarche de Joseph Wresinski et de Pierre Rabhi peuvent s’unir pour réaliser le même but commun d’un monde agroécologique fondé sur le respect de l’homme et de la nature par la sobriété.

L’agroécologie est fondée sur la sauvegarde et la protection de la terre nourricière dont les ressources sont à exploiter avec modération et à partager entre tous, selon les besoins des humains pour vivre ensemble heureux.

Je le vois comme une vision citoyenne de la réalisation des droits humains fondamentaux et des responsabilités de tous, pour tous et avec tous. C’est une nouvelle éthique et approche de l’éducation et de la culture, de l’habitat, de la protection de la santé et de la famille, du travail et de la justice, dans leur indivisibilité. Ce projet de civilisation est un renversement du système politique, économique, social et culturel actuel qui crée des inégalités, de l’exclusion et de la misère.

Ce renversement sera long à opérer dans sa radicalité tellement les inégalités se renforcent par le pouvoir de l’argent, conditionnant et aliénant le peuple lui-même. Mais cette utopie est au travail par des réalisations multiples qui prennent en compte les moyens de la participation et de la contribution réels de tous.

Il ne s’agit pas de diminuer la pauvreté par rapport à un certain seuil, ce qui n’entame en rien un système de production des inégalités et de l’exclusion ; il s’agit de reconstruire une nouvelle manière de vivre ensemble les droits humains fondamentaux par la formation civique de la conscience et de la responsabilité personnelles et collectives, en application des principes républicains : liberté, égalité, fraternité.

En Mouvement, nous avons initié et outillé le chemin d’un vivre ensemble autrement, en faisant place aux plus pauvres et exclus et en les rendant acteurs d’un changement qui bénéficie à tous. C’est un processus de coproduction d’une stratégie et d’une politique au service d’une finalité qui est la destruction de la misère et de l’exclusion, avec une évaluation permanente dont la mesure est le respect de l’égale dignité de tout être humain par une citoyenneté partagée.

1 Voir https://www.revue-quartmonde.org/4985

2 Pierre Rabhi, dans Vers la sobriété heureuse.

1 Voir https://www.revue-quartmonde.org/4985

2 Pierre Rabhi, dans Vers la sobriété heureuse.

Claude Ferrand

Volontaire d’ATD Quart Monde, Claude Ferrand en a été le Délégué général de 1988 à 1993, et est co-fondateur de la Recherche action, formation par le croisement des savoirs et des pratiques.

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