Au Québec, dans la riche région agricole de la Vallée du Richelieu (sans jeu de mots), Ariane est embauchée dans une usine agroalimentaire comme traductrice-interprète. L’usine emploie de nombreux ouvriers guatémaltèques fraîchement débarqués, pour des contrats temporaires de quelques semaines. Ariane fait le lien entre Stéphane le manager et les ouvriers, sur leur lieu de travail et parfois jusqu’à leur logement, rudimentaire.
Au-delà de sa mission d’interprète, elle doit veiller au bon déroulement du travail, donner les consignes. Celui-ci est épuisant, il faut pelleter sans fin de très lourds déchets de blé, dans une fosse nauséabonde, patauger dans l’eau sale, douze heures par jour. Parfois elle devient un peu moralisante pour les encourager.
Pourtant très vite, Ariane se sent en porte-à-faux : d’un côté l’exploitation des nouveaux arrivants, de l’autre les exigences de la direction. Elle découvre avec eux que les dortoirs sont équipés de caméras de surveillance ; les Guatémaltèques doivent payer des cotisations sans avoir droit au syndicat de l’entreprise ; leurs heures supplémentaires de nuit sont mal payées. L’un d’eux n’aura pas l’autorisation de rentrer au pays pour l’enterrement de son père. Sur l’écran de son téléphone, à des milliers de kms, il regarde s’éloigner le cercueil de son père.
La jeune femme, invitée lors d’une de leur veillée musicale (très jolie scène), apprend à mieux les connaître. Petit à petit, se compromettant elle-même, Ariane entreprend de relayer leurs incompréhensions, leurs protestations, leurs revendications. Elle entre en résistance à leurs côtés. Elle essaie de négocier les rotations auprès de la direction. Il s’en suit des va-et-vient laborieux et des longueurs dans cette première partie.
La subtilité du film tient au fait que chaque protagoniste est dépendant de plus gros, plus puissant que lui ; les portraits ne sont pas caricaturaux. Le jeu de l’actrice est extrêmement juste et nuancé. Le spectateur est placé de son point de vue. Puis le récit s’accélère : survient un accident de santé, il s’aggrave et cela va craqueler tout le système d’oppression. Une enquête s’en suit. Une situation de chantage s’établit.
Le réalisateur a enquêté au Guatemala, pensant d’abord faire un documentaire. Pour avoir les coudées larges, il choisit la fiction mais aucune situation n’a été inventée. L’auteur, natif de la région, pointe du doigt les ententes diplomatiques du Canada avec les pays d’Amérique centrale permettant d’importer de la main-d’œuvre à bas prix. Ce système s’est étendu à plusieurs autres secteurs d’activité du pays. Les ouvriers reviennent à chaque saison, acceptant des conditions de travail indignes : « Je viens pour bosser pas pour me révolter. »
Le film interpelle non pas des personnes mais tout un système qui ne peut changer du jour au lendemain sans effondrer l’économie. Et il nous interroge : accepterions-nous de payer plus cher des denrées pour assurer des conditions de travail dignes aux ouvriers immigrés ?
Mi-septembre 2023, un rapport spécial de l’ONU a conclu que ce programme des travailleurs étrangers temporaires était un « terreau fertile pour l’esclavage moderne. »