Je propose de vous présenter dans un premier temps les Maisons des Familles. Cette présentation sera axée sur les éléments qui permettent aux parents de prendre confiance, de sentir que leur parole a de l’importance et que leurs compétences sont reconnues. Dans un deuxième temps, je vous présenterai les résultats de ma recherche qui donne des pistes de réflexion afin de mieux prendre en compte l’expertise des plus précaires.
Les Maisons des Familles
Les Maisons des Familles sont des lieux de soutien de la parentalité, principalement pour des familles vivant des situations de précarité (relationnelle, sociale, monétaire et/ou matérielle). Ce sont des lieux d’accueil collectif qui permettent la rencontre et l’échange entre parents, et non entre personnes précaires. Les Maisons des Familles s’appuient sur deux principes forts : les droits de l’Homme et le plein épanouissement de l’enfant. Chaque Maison des Familles, grâce une équipe mixte, composée de salariés et de bénévoles, propose un « milieu de vie » aux familles confrontés à des défis ou des contextes de vie difficiles pour leur permettre de :
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développer leurs réseaux de soutien,
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enrichir leurs expériences parentales,
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et éduquer, en confiance et avec d’autres, leurs enfants selon leurs valeurs et leurs aspirations.
Des principes d’actions
En parallèle, six principes d’action ont été mis en lumière par la MRIE, Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion, dans le rapport de 2021 « Avec les parents, faire grandir les enfants ». Ce rapport a été rédigé suite à plusieurs jours d’immersion et des échanges avec les responsables des MDF Sud-Est. Voici ces 6 principes :
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croire aux capacités des personnes,
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se relier à d’autres,
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s’intégrer dans la société,
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sécuriser chaque personne,
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considérer la famille,
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respecter et valoriser les cultures.
Trois d’entre eux me semblent intéressant à détailler pour le sujet qui nous intéresse.
Croire aux capacités des personnes
Chaque personne qui vient dans une Maison des Familles est accueillie avec la conviction qu’elle a des compétences, des capacités et des ressources qu’elle a acquis tout au long de sa vie et de ses expériences. Le fonctionnement des Maisons des Familles s’appuie sur le fait que les parents accueillis vont pouvoir partager leurs compétences avec les autres parents et les membres de l’équipe, et en prendre conscience si ce n’était pas le cas.
En s’appuyant sur le constat de terrain que les personnes vivant des situations de précarité sont souvent privées de leurs choix, les MDF les reconnaissent également comme « capables de choix ».
Croire aux capacités des personnes c’est également les reconnaître comme « capables d’adaptation » : à leur environnement, à leurs interlocuteurs, aux règles et objets des différentes structures fréquentées. Et ainsi les accompagner davantage dans le développement de leurs habiletés.
Se relier à d’autres
Les Maisons des Familles proposent un accueil collectif afin de permettre à chacun.e de rencontrer de nouvelles personnes et de créer des relations durables. Le collectif « permet de limiter l’isolement qui renforce les effets de la précarité. Il permet aussi l’émergence des forces : le collectif des parents est un atout pour construire des forces pour résister, résister à une vie difficile, résister aussi aux soucis et aux peurs liés au vécu de précarité. Le collectif, au-delà de limiter l’isolement, permet de créer des ressources. Le principe du collectif est fondamental dans les Maisons des Familles parce qu’il repose sur l’idée qu’il ne peut y avoir de promotion individuelle sans force collective. Pour que les personnes gagnent en liberté et capacité d’action, il faut que chacune ait une place reconnue dans un groupe et que ce groupe nourrisse son plein épanouissement. » (MRIE, 2021, p. 19)
S’intégrer dans la société
Les équipes des MDF proposent donc de permettre aux familles de mieux appréhender la réalité de la société française, de mieux connaître ses lois, son fonctionnement, ses codes afin que chacune puisse se les approprier au mieux et développe de nouveau ou pour la première fois un sentiment d’appartenance à cette société. Ceci dans l’objectif d’aller à rebours de l’intégration du sentiment de disqualification sociale1 vécu par une grande partie des parents accueillis. Ce principe vise à trouver ou retrouver une place de citoyen à ses propres yeux ou aux yeux des autres.
Des intentions et des attentions
Proposer aux familles de prendre en compte leur parole, unique et singulière, lors de tous les moments formels ou informels vécus dans les Maisons des Familles est un défi à relever au quotidien par les membres de l’équipe. Chacun, membre de l’équipe comme parent ou enfant, est poussé à faire l’expérience de parler en « je », afin de parler de son propre ressenti. Cette intention exigeante permet aussi de donner de la valeur et de l’importance à la parole de chacun. L’expérience de la prise de parole en « je » permet peu à peu l’élaboration d’un « nous ». Un « nous » qui peut se construire au nom des familles des MDF afin de donner un poids collectif à leur parole.
Dans les Maisons des Familles, l’idée est de proposer de faire ensemble : équipe, parents, enfants. Faire ensemble pour retrouver des gestes familiers, pour se sentir appartenir, pour être ensemble et se comprendre même sans maîtriser le français. L’ensemble des projets sont co-élaborés ou co-construits avec les parents. Les propositions peuvent être faites par l’équipe ou par un ou des parents. Elles sont ensuite validées en conseil de maison en présence des parents puis travaillées en groupe restreint avec les parents volontaires et motivés ou avec l’ensemble des parents, chacun pouvant prendre des responsabilités différentes. Quoi qu’il en soit, il y a toujours de la place pour un nouveau parent ou pour un parent nouvellement disponible qui souhaiterait faire partie du projet.
Les résultats
L’horizontalité des relations
Faire équipe, au sein d’un conseil d’administration, avec des administrateurs d’horizons différents dont des personnes vivant des situations de précarité, est possible à condition que chacun soit convaincu de l’horizontalité des relations et de l’égale valeur de la parole de l’autre. L’horizontalité s’entend comme le fait que personne ne surplombe l’autre2. Cela implique de l’humilité et la conscience de ses privilèges de la part des “dominants” ; de la confiance en soi et une atténuation du sentiment de disqualification sociale de la part des personnes en précarité. Le fonctionnement intrinsèque des MDF permet de vivre cette horizontalité dans le quotidien et dans les instances telles que le conseil de maison afin de pouvoir la vivre également lors des réunions de CA.
L’accompagnement
Un accompagnement particulier est néanmoins nécessaire afin que les parents puissent préparer en amont entre pairs les sujets qu’ils souhaitent porter au CA et qu’ils puissent également comprendre les enjeux, les différents points de l’ordre du jour et les décisions à prendre.
Un autre enjeu de l’accompagnement est celui de permettre aux parents de trouver leur place, de se sentir légitime et d’appartenir à la MDF. Ce sentiment d’appartenance permet de créer du lien, avec les autres parents, avec les membres de l’équipe, avec les autres administrateurs et permet de combattre le processus de disqualification sociale qui entraîne un repli sur soi, une désintégration familiale, une rupture du lien social. Faire partie d’un conseil d’administration pour des personnes qui vivent des situations de précarité limite le fait que la précarité engendre une perte de confiance en l’autre, en soi et en l’avenir3. En effet, avoir été élu par des pairs qui me font confiance va m’aider à reprendre confiance en moi ; devoir travailler en équipe et prendre des décisions communes, collectives, limite la perte de confiance en l’autre ; et enfin rendre des décisions qui ne vont pas forcément avoir d’effets immédiats, mais vont être visibles sur le moyen ou long terme permet de se projeter de nouveau dans l’avenir.
Nous avons vu qu’une des intentions dans les MDF était la prise en compte de la parole de chacun. La participation des parents au sein des CA nécessite d’autant plus de soutenir les parents dans leur prise de parole, afin de leur permettre d’exprimer dans une instance officielle leur opinion, leur avis, leur questionnement.
La prise en compte de l’expertise des parents
Considérer les parents comme des experts de la Maison des Familles, de la fonction de parents, de la précarité, avec leur regard singulier sur la société est une vraie force pour les MDF. Chacun peut sentir au sein des CA que les préoccupations des parents vont au-delà de leurs propres situations et s’attachent à l’intérêt commun. Cela est rendu possible grâce à la prise en compte de sa propre expérience qui, confrontée à l’expérience des autres se transforme en expertise et à la capacité des parents élus de s’extraire au moins le temps du CA de leur situation personnelle pour représenter l’intérêt de l’ensemble des parents et de la structure.
Pour aller encore plus loin, il serait intéressant de considérer les sujets apportés par les parents non pas comme des questions mais comme des révélateurs de leurs savoirs, déjà analysés et avec une proposition de solution. Pour imager cela on peut prendre l’exemple de deux MDF dans lesquelles les parents ont demandé s’il était possible d’embaucher une troisième personne. Cette question est arrivée parce que les parents ont observé que les deux salariés présents avaient moins de disponibilité pour les uns et les autres, que la directrice notamment était moins dans le collectif et donc ils ont supposé que c’est parce que sa charge de travail était trop importante. Et leur question était une proposition de solution.
En conclusion, prendre en compte le savoir issu de l’expérience des parents ne va pas forcément de soi et un pas de côté doit se faire afin d’accepter le savoir de l’autre et renoncer à la prédominance de son propre savoir. Par ailleurs, ne se baser que sur l’expertise des parents issue de leur expérience et des échanges entre pairs est limitant. Il est important de les accompagner aussi dans la reconnaissance du savoir de l’autre, de sa réalité. Pour les uns et les autres il s’agit d’apprendre à réfléchir ensemble, à construire ensemble dans un objectif commun qui est le projet des Maisons des Familles.