Intégrés sans autorisation

Marisol Decazes Nodé-Langlois

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Marisol Decazes Nodé-Langlois, « Intégrés sans autorisation », Revue Quart Monde [En ligne], 189 | 2004/1, mis en ligne le 05 août 2004, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1248

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Habitat, Logement, Migrations

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France

Depuis 2002, je rencontre des familles vivant dans les nouveaux bidonvilles de la périphérie de Paris. D’autres personnes, membres elles aussi du Mouvement ATD Quart Monde, se sont mises à la même tâche. Nous accédons lentement à la connaissance des projets des familles au côté desquelles nous faisons route.

En ce début d’année, j’ai envie de partager quelques instants de réflexion autour de l’amalgame qui tient parfois lieu de connaissance.

Monsieur V. et madame P. vivent en France depuis près de cinq ans. Leur petite fille, qui aura bientôt quatre ans, y est née. C’est la pauvreté qui les a conduits à y venir alors que monsieur V. est un ouvrier qualifié. La misère s’installant, il leur a même fallu partir vite laissant au pays un garçon nouveau-né. Celui-ci a aujourd’hui plus de cinq ans : ni les parents ni la jeune sœur ne le connaissent.

Monsieur V. travaille parfois dans des entreprises, si nécessaire à l’autre bout de la France mais toujours illégalement faute des autorisations administratives requises.

Lorsqu’il n’a pas cette possibilité, madame P. tend la main, toujours seule, refusant d’être accompagnée de sa fille qui fréquente la maternelle avec assiduité.

Ils ne sont jamais retournés dans leur pays. Pas même dans le but de renouveler un visa. Ils viennent régulièrement en aide à d’autres lorsqu’ils ont connaissance de situations encore plus pénibles que celles qu’ils vivent sur leur bidonville, le troisième en six mois pour cause d’expulsions.

Ils aiment créer des liens et réfléchir au-delà de leur propre histoire. De fait ils sont rentrés dans celle de la France qu’ils respectent et ils ne manquent pas une occasion de la remercier. Ils ne sont pas seuls bien sûr et les connaître c’est connaître d’autres personnes qui font les mêmes choix.

Alors certaines méconnaissances nous interpellent. Ainsi on peut lire dans une récente communication adressée au conseil général par le préfet d’un département d’Ile de France, à propos des mêmes familles que celles que régulièrement nous rencontrons : « Ces gens n’ont aucune volonté d’intégration en France, aucune volonté de travailler dans notre pays et de s’y implanter. » Le même texte nous apprend que, de ces familles, n’émane « jamais une seule demande de scolarisation. »

Or nous connaissons Monsieur I., madame L. et leurs quatre enfants. Ils ont été amenés l’été dernier, après deux expulsions, à faire le choix de vivre sur un parking dans la ville où leurs enfants sont scolarisés afin de leur conserver les inscriptions à l’école. Leur conduite est louée par tous, enseignants, riverains, élus. Ils sont eux aussi « intégrés sans autorisation ».

Il est clair que nous rencontrons aussi des familles qui font des choix différents et que la société réprouve. Mais n’est-il pas vrai que l’on trouvera toujours des personnes pour transgresser les règles, d’autres pour accepter de s’y plier, d’autres encore pour leur permettre des avancées ? Il en est ainsi de nos compatriotes, pourquoi en irait-il différemment des familles venues d’ailleurs ? En acceptant de reconnaître, en ce qui concerne ces dernières, un handicap de taille : elles n’ont droit ni au travail ni à l’aide de la collectivité.

Qu’il soit permis aux familles qui ont choisi la France et pris les moyens d’être reconnues par elle d’accéder au statut de résident qui, naturellement, doit faire suite à leurs efforts.

Et puissions-nous, citoyens français et européens, prendre conscience et connaissance des projets d’intégration de certaines familles. Les ignorer et choisir l’amalgame c’est manquer de sérieux.

Marisol Decazes Nodé-Langlois

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