La Mission moscovite de charité1 a été fondée, il y a deux ans, sous l’impulsion conjointe du Département du travail et de l’emploi de Moscou et du Complexe d’aide sociale aux enfants et adolescents. Son fondateur et concepteur est Alexandredrovich Bykovsky.
Au sein du Complexe, une petite unité obtient de très bons résultats. Cette unité que la Mission nous a aidés à fonder, et qui est ma fierté, est l’imprimerie. Pour la formation professionnelle, nous avons suivi les sentiers battus et commencé comme partout ailleurs par le travail du bois. La filière du travail du bois est la plus étendue et celle dont la capacité est la plus grande. A l’imprimerie, seuls, quatre jeunes ont été formés cette année. Mais c’étaient les enfants les plus « difficiles », ceux que la filière bois avait refusés et que l’on ne savait où mettre. Aujourd’hui, ces quatre jeunes ont la meilleure qualification professionnelle de toute l’école. Ils ont tous un travail car ils vont rester dans cette imprimerie malgré quelques difficultés liées au droit du travail : ils sont encore trop jeunes pour travailler sur les machines d’imprimerie. Mais nous allons essayer d’obtenir des dérogations.
La Mission moscovite de charité a été contrainte de renoncer à l’idée de créer des lieux de travail. Elle s’est alors orientée vers une autre activité aujourd’hui la principale, pensée par Bykovsky. Son expérience montrait que nombre de ses pupilles, anciens drogués, jeunes ayant besoin d’aide sociale, sont devenus de très bons travailleurs sociaux car ils connaissent les problèmes pour les avoir eux-mêmes expérimentés. Aidée de l’Institut de la jeunesse2, la Mission a mis en place en enseignement pour ces jeunes-là.
Pourquoi cet enseignement ? Pourquoi est-il nécessaire ? Parce que les enfants qui fréquentent l’école du Complexe ont en général un ou deux ans de retard sur les autres enfants de leur âge. Il leur est impossible de faire des études supérieures ou de passer les examens d’entrée à l’université. Mais aujourd’hui, après les cours à l’école de Complexe, ils vont trois ou quatre fois par semaine à l’Institut de la jeunesse pour y étudier un ensemble très large de disciplines sociales : l’histoire de leur patrie, l’histoire de la culture mondiale, l’histoire de la religion, l’éthique, la logique, la rhétorique, les langues étrangères, les bases du travail psychologique et sociologique.
Après deux années d’études, s’ils réussissent les examens finaux, les jeunes sont inscrits à l’Institut de la jeunesse pour y faire des études de travailleur social. Ce programme de préparation à l’entrée à l’université est appelé le « Collège ». L’année dernière, deux jeunes ont été pris à l’institut et cette année, trois sur six ont réussi leurs examens et seront pris.
Le Collège s’appelle « expérimental ». Tout n’y est pas toujours un succès. Cette année, avant les examens, les jeunes se sont étonnés du fait qu’il leur faudrait travailler dur. Ils étaient persuadés qu’à cause de leurs problèmes, on s’occuperait d’eux, qu’ils auraient des privilèges dans tous les domaines.
Quelques-uns faisaient l’école buissonnière au Complexe et pensaient qu’ils seraient pris à l’Institut ; ce qui était faux. Le fait qu’ils soient mal préparés au travail est notre faute et notre responsabilité.
Certains jeunes ne deviendront sûrement jamais des travailleurs sociaux. Ainsi, cette jeune fille à qui le psychologue de l’institut a demandé : « Dis-moi, Macha, qui épouserais-tu entre un homme bon, remarquable mais pauvre, et un autre, un vrai bandit mais riche ? » Elle répondit sans hésiter : « Le bandit riche évidemment ! ». J’ai été frappé par une telle sincérité. Son année d’études au Collège n’a pas changé son échelle de valeurs morales. Je ne pense pas qu’elle devienne assistante sociale. Mais ce n’est malheureusement qu’en faisant des erreurs que nous ferons des progrès.
Un adage russe dit : « Jeter l’enfant avec l’eau du bain » Au Collège, nous sommes aujourd’hui face à un autre danger ; non pas jeter l’enfant mais le noyer. L’idée même du Collège est séduisante. Ainsi, à côté de notre groupe de jeunes du Complexe, l’institut a organisé un collège pour des jeunes nullement défavorisés socialement. Ce collège est payant. Il fonctionne avec deux ou trois groupes selon les mêmes règles que le nôtre : des examens e fin de cycles avec l’inscription consécutive dans un institut prestigieux.
Il a été question de refuser les enfants du Complexe, ce que nous avons réussi à éviter jusqu’à présent. Aujourd’hui, certains désirent créer un collège international pour former des travailleurs sociaux venus de divers pays. Cette idée n’est pas mauvaise mais si elle est réalisée, je crains que notre collège ne soit contraint de fermer.