Le bien-être se cultive avec d’autres

Anne Germain

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Anne Germain, « Le bien-être se cultive avec d’autres », Revue Quart Monde [En ligne], 191 | 2004/3, mis en ligne le 05 février 2005, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1461

La culture et la santé ne vont-ils pas de pair ? La recherche du bien-être passe par le faire et le vivre ensemble, par le bonheur familial et l’ouverture au monde. C’est la conviction qui anime le projet Santé Culture Quart Monde de Molenbeek, à Bruxelles. (Voir Quart Monde, n°128 et n°184)

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Bien être, Culture

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Belgique

C’est en 1975, à l’instigation de Joseph Wresinski et du Mouvement ATD Quart Monde, que se constitue une petite équipe de travailleurs de la santé avec le projet d’ouvrir une maison médicale dans un quartier très populaire de Bruxelles (Molenbeek), où durant cinq ans un volontaire de ce mouvement, André Modave, avait déjà tissé des liens avec ses habitants les plus pauvres. Il s’agissait de mieux cerner leurs demandes dans le domaine de la santé, les chemins à emprunter pour tenter d’y répondre et donc de préciser quel pourrait être le rôle des professionnels de santé.

Très vite cette équipe a bien perçu le lien existant entre mauvaise santé et misère. Celle-ci use les corps et les esprits, entraîne honte et exclusion. Si l’on veut lutter contre la grande pauvreté, il faut faire en sorte que les personnes qui en souffrent reprennent valeur à leurs propres yeux et aux yeux des autres, puissent nouer ou renouer des relations, trouvent leur place dans une dynamique collective de lutte contre la misère dans l’honneur et la dignité.

C’est la raison pour laquelle dès le départ des activités culturelles furent intégrées dans l’animation de la maison médicale. En 1978, après une période d’écoute attentive, débutent des réunions de découverte de la santé où pauvres et professionnels, non sans difficulté parfois, vont mutuellement s’instruire, partager leurs savoirs, échanger leurs expériences. Cette manière de procéder a été passionnante parce qu’elle a remis les professionnels à l’école des pauvres et tous à l’école de la vie.

En 1982, ce sont deux cents personnes qui inaugurent « la salle de Bien-Etre ». Un groupe de femmes s’y réunit chaque semaine pour une heure d’activité sportive suivie d’une demi-heure de discussion. C’est un lieu et un temps de valorisation et de ré-appropriation du corps, un lieu d’échange. C’est l’occasion d’un mieux être ensemble. La salle de Bien-Etre fonctionne toujours aujourd’hui. Les séances se déroulent en général autour d’un travail de « présence au corps » par des exercices d’étirement, de rythme, de stimulation, de coordination. La prévention est aussi un élément important du travail : prévention, par exemple, des maux de dos dans les gestes quotidiens.

Mais la salle de Bien-Etre ne fonctionnerait pas s’il n’y avait pas ces moments de rencontres et d’échanges qui commencent très souvent pendant le cours et se poursuivent autour d’un petit café : « On vient pour des exercices que chacun fait à son rythme et peut refaire à la maison ». « Une fois par semaine, ce n’est pas assez ! » « Ce que j’apprécie, c’est le temps qu’on prend après ensemble »

Si la salle de Bien-Être continue ainsi sur l’élan des années précédentes, c’est grâce à un esprit qui se transmet des anciennes participantes aux nouvelles. Cela nous permet de lancer de nouveaux projets. Nous avons profité des compétences de Brigitte pour un atelier « esthétique » (masques, soins du visage, massage des mains)

En mai 1999, une journée de détente et des ateliers d’évaluation de notre projet ont été proposés aux familles ayant fréquenté la salle de Bien-Etre, les réunions de découverte de la santé, celles d’un groupe « Ecole » et/ou les universités populaires Quart Monde. Nous avons décidé ce jour-là de constituer un groupe « animateur » composé des membres de l’équipe de la maison médicale et de représentants de ces familles. Ce groupe s’est donné un nom, « La bulle de savon », et un sigle qui reprend les éléments importants du projet : culture, loisirs, santé.

Plusieurs de ces personnes ont déjà une longue histoire dans le combat pour la santé et la culture. Nous ne partons pas de zéro. Le militantisme est déjà en route. La diversité du groupe est une richesse : des personnes de tous âges, d’origines sociales et culturelles très différentes. Plus tard, des familles immigrées nous rejoindront également. Le public-cible est essentiellement familial.

Notre manière d’agir

Les activités que nous organisons doivent être accessibles à tous, en particulier aux personnes ou familles en difficulté. Pas de gratuité, mais une participation financière minimale. Il s’agit de faire connaître des lieux intéressants à visiter dans un environnement proche, en variant les centres d’intérêt, avec chaque année une excursion exceptionnelle. Mais comment diminuer le coût de ces sorties ?

Yvette et Jan cherchent les tarifs les plus avantageux, pour les transports en train ou en bus et pour les visites en groupe. Nous sollicitons la Fondation Roi Baudouin qui aide les initiatives locales ou des associations qui luttent pour l’accès de tous à la culture. Ainsi nous avons pu nous rendre à Bruges, ville culturelle européenne en 2003.

Le choix de nos activités fait l’objet de discussions car nous cherchons à répondre le mieux possible aux attentes de tous. Les mères de famille savent que la première quinzaine du mois est le meilleur moment pour prévoir des dépenses dans un budget limité. Si certaines sorties culturelles s’adressent plus aux adultes, nous proposons la fois suivante une sortie pour les enfants. Après chaque activité, nous l’évaluons ensemble afin d’en tirer des leçons pour l’avenir.

Si ouvrir les horizons reste un objectif important, nous constatons surtout que les familles éprouvent un réel plaisir à rencontrer d’autres personnes, à se détendre ensemble et à se retrouver la fois suivante. Des liens se tissent.

Nous essayons également de tirer parti des talents des uns et des autres. Ainsi, Jean-Jacques, passionné de photographie et de vidéo, prend régulièrement des « instantanés » et nous en fait profiter la fois suivante. Beaucoup de familles ont de magnifiques albums photos. Que de souvenirs !

Anne propose de taper les invitations sur son ordinateur, en suggérant plusieurs mises en page. Nous organisons aussi des ateliers « affiches » pour inviter plus largement des personnes qui fréquentent d’autres lieux d’accueil (restaurant social, club des bébés, maison d’accueil...) et la salle d’attente de la maison médicale, bien sûr !

Chacun est encouragé à inviter de nouvelles familles, parmi celles qui ne sortent jamais. Les membres de la maison médicale se répartissent aussi les invitations et passent à domicile.

Petit à petit, nous apprenons également à profiter des occasions que nous donnent d’autres associations ou les pouvoirs publics. Ainsi, nous nous sommes rendus en forêt de Soignes, aux portes de Bruxelles, pour emprunter des sentiers balisés et découvrir des lieux intéressants. Des communes voisines, plus verdoyantes, comme Berchem et Jette, nous ont permis de visiter la ferme des enfants, le parc Roi Baudouin et le domaine du Refuge. Ces destinations sont proches et permettent aux familles d’y retourner plus tard par leurs propres moyens.

Josefa explore certaines pistes avec ses enfants puis nous propose d’inviter les autres familles à y participer. C’est ainsi que nous avons répondu « présents » dernièrement à deux activités locales. Nous avons usé nos semelles lors d’une chasse aux trésors culturels dans Molenbeek et un atelier de créativité, appelé « les têtes en l’air », nous a réunis.

Chacun met la main à la pâte, selon ses moyens. Qu’il s’agisse de faire des invitations, de les envoyer, de préparer ou ranger les lieux, de faire la vaisselle, d’apporter des jeux, d’aller chercher des renseignements ou des prospectus, de téléphoner à une gare, d’écrire ou de traduire une lettre en néerlandais... Tout est pensé et réalisé ensemble. Mustapha qui nous a rejoints récemment a proposé de faire un barbecue. Eugénie s’attelle à préparer les questions d’un jeu de piste et se rend avec d’autres, une semaine avant, pour repérer le terrain. Anne, professeur d’éducation physique, propose et anime des jeux d’équipe.

Nous évitons de refaire les mêmes activités, excepté la sortie dite « Le Refuge » plébiscitée par tous car il s’agit d’un domaine magnifique, verdoyant, calme et sûr où les terrains de jeux offrent à chacun l’occasion de se divertir et de se détendre en famille. Ce sont des moments inoubliables de rencontres et de bonheur simple.

Nous prévoyons en hiver des soirées avec jeux de société et des sorties plus culturelles (théâtre, musée). C’est ainsi que les enfants découvrent la vie des Indiens (« Indian summer ») et le scientastic-musée. Quant aux adultes, ils sont ravis de visiter Bruges, Bokrijk et le passé industriel de Molenbeek au musée de la Fonderie.

Des appréciations enthousiastes

Nous étions plus de soixante personnes à la sortie du mois de mai 2004 et nous avons sollicité l’avis de chacune. Beaucoup disent venir pour se changer les idées, pour oublier les soucis quotidiens.

Yamina est venue avec ses enfants et des amis qu’elle avait invités : « C’est génial, il y a des jeux pour tous. C’est familial et en sécurité. On n’a pas peur pour nos enfants... C’est la première fois que je viens, mais c’est comme si on se connaissait depuis longtemps. On se parle et on crée des contacts, c’est très agréable ! »

Une autre mère de famille qui fréquente la salle de Bien-Etre a invité ses deux sœurs et sa maman venue d’Algérie : « C’est important de sortir de son quartier et de voir que les médecins sont présents. Tout le monde a besoin de journées comme çà ! » 

Blanche a participé il y a vingt-cinq ans à la première sortie en forêt avec nous : « C’est agréable de rencontrer des gens, de faire connaissance. C’est dommage qu’on ne fasse pas cela plus souvent ! »

Julie vit seule mais aime prendre l’air car dans son quartier, elle a peur de sortir, peur des agressions.

Vincent et son fils de 11 ans ont fréquenté le club des bébés et les réunions dites de cellule : « Je ne suis plus venu depuis quatre ans mais je retrouve des anciens et je reviens sans difficultés. Ici, il y a une sorte de communion. On ne s’amuse pas tout seul dans son coin »

Sandrine et Carole : « Ce sont de très bons moments en famille, sans stress. On parle avec des personnes qu’on ne connaît pas. C’est bon pour les enfants, mais pour nous aussi, on a tous besoin de moments de détente »

Eugénie et son amie Sylvana ont 12 ans. Eugénie participe depuis sa naissance à nos sorties avec sa maman. Elle vient pour s’amuser et faire du sport.

Quant aux personnes du groupe « animateur », cette expérience leur apporte aussi beaucoup.

Mustapha est venu avec ses trois enfants. Il est ravi de voir qu’ils s’intéressent à tout et s’amusent. « Ils en parlent déjà un mois avant et en reparlent après. C’est important pour les enfants d’avoir des contacts avec d’autres. Je leur donne l’occasion de s’amuser en sécurité. Je n’aime pas les laisser jouer dans la rue. Et moi, j’aime être actif et me rendre utile. J’ai arrêté de fumer depuis janvier et cela me change les idées, j’oublie un peu la maladie »

Mohamed est venu avec ses enfants et son épouse à toutes les sorties culturelles : « J’apprends à connaître la Belgique et j’entre en contact avec des Belges. C’est un très bon moyen de s’intégrer dans la société ». Il vient de Syrie et attend une reconnaissance de son statut de réfugié depuis plus de trois ans. « Mes enfants retrouvent d’autres enfants connus les fois précédentes. Tout est bien organisé. On a appris un nouveau jeu, la pétanque. J’aime donner mon avis dans le groupe. J’ai la sensation d’offrir quelque chose à la société. J’ai beaucoup aimé la visite du musée d’art moderne avec les adultes. On devrait refaire cela avec nos enfants »

Josefa : « La Bulle de savon encourage les familles à sortir. Ce sont des gens que je ne rencontrerais pas sans cela. Le fait d’être en groupe crée un lien social. Maintenant, on se salue dans la rue »

Quant à Rose Marie, elle participe très activement à toutes nos rencontres :

« Avant, j’étais renfermée, très timide. Aujourd’hui j’aime prendre la parole et j’en suis très fière. Ça m’a appris à devenir quelqu’un. J’aime me rendre utile, aider à organiser, cela me donne du plaisir, de l’énergie, de la joie de vivre. On apprend à se connaître. On est heureux de se retrouver, ce sont des amitiés qui durent. J’ai beaucoup de souvenirs et de photos »

Anne Germain

Après des études en éducation physique et kinésithérapie, Anne Germain a été volontaire d’ATD Quart Monde. Elle a été à l’origine avec son mari Pierre Hendrick, médecin, du projet décrit ci-joint.

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