Et si notre pessimisme s’effondrait devant les enfants…

Eugen Brand

p. 2

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Eugen Brand, « Et si notre pessimisme s’effondrait devant les enfants… », Revue Quart Monde, 178 | 2001/2, 2.

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Eugen Brand, « Et si notre pessimisme s’effondrait devant les enfants… », Revue Quart Monde [Online], 178 | 2001/2, Online since 05 November 2001, connection on 12 November 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1736

Index de mots-clés

Enfance, Tapori

Il ne faudrait pas que certaines informations dramatiques souvent délivrées par les médias finissent par nous rendre pessimistes et nous faire désespérer. Quoi qu’on en dise, les hommes et les femmes de tous âges sont bien plus ouverts que nous ne le croyons. Ils savent laisser parler leur cœur. Devant une détresse, ils demeurent même rarement indifférents et sans réaction. Tel cet ami horticulteur de la région de Florence : il considère de son devoir de réserver des emplois à des personnes qui n’en ont pas eu depuis des années !

Mais qu’en est-il de notre attitude devant les enfants ? Nous ne devrions pas perdre de vue leur capacité d’être spontanément en familiarité avec l’absolu, la non-compromission, la sincérité totale.

« Et même si les grognons et les jaloux avaient partiellement raison à l’endroit des grandes personnes, leur pessimisme doit s’effondrer devant les enfants. » 1

Ces mots du père Joseph Wresinski me sont revenus à la mémoire lors d’une réunion récente sur la contribution que le Mouvement ATD Quart Monde pourrait apporter, en septembre 2001, à la session spéciale de l’assemblée générale des Nations unies. Douze ans après le Sommet mondial des enfants, celle-ci doit dresser un état de ce qui a été fait, de ce qui a changé, de ce qui reste à faire.

Les chefs d’États et de gouvernements, les représentants des organisations internationales et non-gouvernementales laisseront-ils leur pessimisme s’effondrer devant les enfants, et en particulier devant les plus pauvres ?

Oseront-ils se mettre à l’écoute de ces enfants qui, réunis en novembre 1999 à Genève pour célébrer le dixième anniversaire de la convention des droits de l’enfant, ont lancé un Appel aux adultes du monde entier : «  Nous aimerions que tous les enfants se mettent ensemble pour faire que plus aucun enfant ne nage dans la misère. » 2

Se laisseront-ils entraîner, au-delà des habituelles prudences diplomatiques, vers la radicalité de ce à quoi les enfants nous invitent : «  Nous voudrions que les mines se transforment en chaussures. Nous voudrions que les balles se transforment en bonbons et les fusils en tracteurs?. » ? 3

Lors de la préparation de ce rassemblement, des enfants qui vivent dans les rues de Dakar sont venus à plusieurs reprises participer à des rencontres, coudre leur portrait, réaliser avec d’autres des farandoles... A leur retour, ils chantaient à tue-tête, tambourinant sur la carrosserie du véhicule qui les transportait... Ils retournaient pourtant dans la rue, rejoindre des adultes comme Lolly Fall qui y vivaient aussi et les y avait accueillis.

Lolly, venue quelquefois à ces rencontres pour les écouter et les conseiller, nous a raconté que, sous la bâche qui leur servait d’abri, ces enfants en rediscutaient avec elle et entre eux jusque tard dans la nuit... «  Je me suis rendu compte que les enfants savaient des choses, qu’ils avaient des idées... » De telles rencontres ont permis de redécouvrir ces enfants et de revitaliser leur quartier. Lolly, par exemple, a cherché à faire suivre des cours à une dizaine d’entre eux dont des lépreux, souvent rejetés à cause de leur maladie. Des adultes se sont aussi mobilisés, malgré leur vie à la rue, pour affirmer, le 17 octobre 2000, à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère : « Nous voulons que nos enfants apprennent, qu’ils soient instruits, formés. Assurer l’avenir de nos enfants, c’est nous aider nous-mêmes à nous en sortir. » Le 18 janvier 2001, Lolly Fall donnait vie à un premier enfant dans des conditions extrêmement précaires. Elle n’y a pas survécu. Mais son bébé vit et déjà, dans son regard, nous pouvons lire l’avenir que nous cherchons à bâtir ensemble.

Qui mieux que les yeux des enfants – ceux qui sont dans la rue, qui souffrent de la faim, qui sont victimes de la folie des hommes ou de leur incapacité à répondre à leurs besoins – qui mieux que les yeux de ces enfants peuvent nous redire la force de nos convictions ?

Face à tous les enfants du monde, face à ce qu'ils sont et à ce qu'ils nous disent, ce serait un crime d’accepter de continuer à «  diviser l’avenir », de l’ouvrir à certains et de le refuser à d’autres. Tout leur être en témoigne, il ne peut y avoir qu’une seule enfance, qu’une seule humanité.

Les enfants Tapori rassemblés à Genève ont transmis cette conviction à Mary Robinson, haut-commissaire aux droits de l’homme. Ils lui ont exprimé leur confiance. Ils la donneront demain au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, aux chefs d’États et de gouvernements qui se réuniront à New York.

«  Nous, les Tapori, nous voulons être les amis de tous. Il est important de s’unir pour que le monde change et que ce soit plus juste pour ceux qui souffrent. Si chacun peut convaincre les gens de croire en Tapori et dans la nouvelle génération, le monde sera meilleur ! S’il vous plaît, que les grands nous aident à le construire. » 4

Laissons-nous convaincre et entraîner par les enfants. Laissons notre pessimisme s’effondrer devant eux et le monde changera.

1. Cf. «  Lire le monde avec le cœur », éditorial de Joseph Wresinski, revue Igloos n°111, Parti pris pour l’enfance (1981).
2. Message des enfants pour le monde (20 novembre 1999). Voir le journal Feuille de route, décembre 1999 et Quart Monde, n°173, mars 2000.
3. Idem.
4. Idem.
1. Cf. «  Lire le monde avec le cœur », éditorial de Joseph Wresinski, revue Igloos n°111, Parti pris pour l’enfance (1981).
2. Message des enfants pour le monde (20 novembre 1999). Voir le journal Feuille de route, décembre 1999 et Quart Monde, n°173, mars 2000.
3. Idem.
4. Idem.

Eugen Brand

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