Vivre sans...

Elisabeth Orth et Sylvie Vanier

Citer cet article

Référence électronique

Elisabeth Orth et Sylvie Vanier, « Vivre sans... », Revue Quart Monde [En ligne], 180 | 2001/4, mis en ligne le 05 mai 2002, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1831

Quand on n’a pas l’eau au robinet sur l’évier depuis des années, on est méprisés – disent ces habitants d’Alsace. (Propos recueillis par Elisabeth Orth et Sylvie Vanier.)

Index de mots-clés

Eau, Biens communs

Un îlot situé à environ deux kilomètres de la ville, près d’un terrain d’aviation, au bout d’un chemin de terre chaotique et tortueux. Là vivent cinquante-six personnes dont vingt-huit enfants (parmi lesquels quatre bébés).

Malgré une sédentarisation de près de trente ans et contrairement à la demande insistante des familles, il n’y a pas d’habitations en dur. L’état de précarité des caravanes varie en fonction de leur date d’acquisition. Tout autour ont poussé des cabanons, des baraques de chantier, au milieu de voitures d’occasion, de ferraille, de bois et autres matériaux entassés, sources de revenus pour les habitants.

Le 8 décembre 2000, une borne fontaine d’eau potable a été posée.

Est-ce là un progrès ? Oui, parce qu’auparavant, il n’y avait qu’un robinet d’eau non potable.

– « On allait chercher l’eau à six cents mètres, à pied ou avec une remorque que l’on tirait. On achetait aussi l’eau en bouteille. Mais au fond de nous, on était furieux d’être traités comme ça !

Quand on n’avait pas d’argent ou quand on était fatigués, on prenait l’eau non potable pour faire la cuisine, même pour boire parfois. On était malades, les enfants aussi. Et puis, vous savez, le café fait avec de l’eau non potable, il a vraiment mauvais goût, c’est pareil pour le manger.

A vivre comme ça, on avait vraiment le sentiment que tout le monde se fichait de nous et de ce qui pouvait nous arriver. »

– « Moi je me sentais déshonorée de vivre dans cette situation que j’ai connue pendant vingt-cinq ans, vous vous rendez compte ! Vingt-cinq ans sans eau potable, ce n’est pas juste. 

Qu’est-ce qu’ils ont eu mes enfants ? La saleté, la misère. Je me sens toujours une mère indigne parce que je ne peux pas donner à mes enfants ce que les autres donnent à leurs enfants. Par exemple, j’aimerais tant que mes enfants puissent aller à la piscine ! 

Avec la borne-fontaine, on a pleuré tellement on était contents. Enfin nous étions un peu considérés. L’eau est bonne à boire, je peux faire la cuisine sans crainte. »

– « Georges, il a dansé autour de la fontaine avec Elisabeth. L’eau potable, c’est déjà bien mieux, mais reste qu’il faut pomper, l’eau coule lentement. On est contents de ne plus avoir à acheter six ou douze  bouteilles d’eau minérale par jour. Mais quand même, on n’a pas encore l’eau dans les maisons, on ne peut pas avoir de salle de bains, de machine à laver. »

– « Pour que ça change vraiment, il faudrait l’eau courante et de l’eau chaude. On veut être propres à 100% pas seulement à 50% ! Quand est-ce qu’on aura une vraie maison avec des toilettes, des robinets, une salle de bains ? Alors on aura l’impression d’être vraiment considérés comme tout le monde, mais quand ? »

Le poids des jerricanes

Il y a treize ans, Monsieur Kadet vivait en HLM. Expulsé de son logement, il habite, avec Madame Palmier une cabane qu’il a construite de ses mains avec des matériaux récupérés, sur un terrain vague, près de monticules de déchets d’usine. Ils vivent donc là sans eau ni électricité, à la limite d’une petite ville de cinq mille habitants, près de familles tziganes qui vivent dans les mêmes conditions.

- « Le plus dur au début, dit Madame Palmier, c’est d’avoir connu le confort de l’eau qui coule au robinet, au-dessus de l’évier, et l’eau chaude, et maintenant, de devoir affronter le froid, la pluie, le chemin boueux pour arriver jusqu’au robinet, à cent mètres de là. C’est aussi le poids des jerricanes, et l’eau à boire qu’il faut acheter au supermarché. On se lave avec l’eau des jerricanes mais on la fait chauffer sur la gazinière. »

Monsieur et Madame se sont organisés. Ils recueillaient l’eau de pluie dans des fûts en plastique : avec cette eau, Madame faisait la lessive et Monsieur entretenait amoureusement un jardin potager, mais aussi fleurissait leur terrain. Le jardin, malheureusement, on en parle au passé, car, du jour au lendemain, sans avertissement, le bulldozer est venu « stabiliser le terrain » pour y déplacer le camp tzigane, détruisant les fleurs et les promesses de fruits.

Et pourtant ils ne se plaignent pas de leur situation, ils sont même fiers de se débrouiller, de survivre dans ces conditions si difficiles : « Faut se donner de la peine dans la vie. » dit Monsieur Kadet, mais il ajoute parfois : « Nous vivons comme des clochards, mais on se débrouille. »

Avec le soutien de l’association Espoir, avec leurs voisins tziganes, ils viennent d’emménager dans un logement pourvu d’eau courante.

« Enfin, dit madame Palmier, ce sera plus facile à nettoyer par terre ! » Et ils pourront ressemer des fleurs, peut-être ?

Elisabeth Orth

Sylvie Vanier

En France, Elisabeth Orth, psychologue scolaire en retraite, alliée d’ATD Quart Monde, est en lien avec des familles très pauvres depuis vingt-neuf ans. Sylvie Vanier, infirmière de profession, conseillère municipale d’un petit village du Haut-Rhin, est en relation avec monsieur Kadet et sa compagne depuis un an.

CC BY-NC-ND