Factures et coupures

Marie-Hélène Boureau

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Marie-Hélène Boureau, « Factures et coupures », Revue Quart Monde [En ligne], 180 | 2001/4, mis en ligne le , consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1830

En France, la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions (1998) réaffirme le droit à une aide pour accéder à une fourniture d’eau ou la maintenir. Ce droit, déjà établi avec le Revenu Minimum d’Insertion (RMI), est-il respecté ?

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Eau, Biens communs

Madame L. a reçu une facture d’eau de mille six cents francs. Elle ne savait pas au départ à qui s’adresser pour faire valoir ses difficultés à la payer. Après avoir reçu un avis de rappel, elle a demandé de pouvoir échelonner son règlement en trois fois. Le service des eaux le lui a refusé. Elle s’est alors adressée à sa mairie qui a accepté de prendre en charge une partie de la facture au titre de la convention Pauvreté-Précarité, bien que celle-ci ne prévoie une telle prise en charge qu’en cas de coupure effective. Mais cette aide n’a été versée que trois mois plus tard, Madame L. n’ayant pas compris qu’elle devait signer un contrat en contrepartie. Si bien que l’eau lui a été coupée à plusieurs reprises, dont une fois pendant quinze jours. Madame L. raconte : « Quand la personne vient couper l’eau avec sa grande tige... ça fait honte ! Et le logement devient alors comme un caveau... » Car, en hiver, la coupure d’eau implique l’arrêt du chauffage. Et, à la facture, s’ajoutent les frais de coupure !

Madame P. doit être expulsée : elle paie pourtant régulièrement son loyer mais elle n’arrive pas à régler la régularisation annuelle de sa facture d’eau. Pour cette raison, elle a reçu par huissier un avis de quitter les lieux dans un délai de deux mois.

Monsieur et Madame M. ont cinq enfants et disposent de sept mille francs. Leur facture d’eau s’élève à six mille trois cent trente francs, à quoi il faut ajouter quatre mille francs de frais d’huissier car ils ont régulièrement des coupures d’électricité et d’eau. Le bailleur refuse de procéder aux réparations nécessaires, du fait du retard de paiement du loyer. Ils ont peur d’être expulsés de ce logement qui leur avait permis d’accueillir à nouveau leurs enfants préalablement placés.

Dans un certain nombre de cas le contrat d’eau est au nom du propriétaire bailleur. Il arrive parfois que celui-ci rompe le contrat pour se débarrasser d’un locataire.

Or la loi stipule qu’en cas de non-paiement des factures, le maintien de la fourniture d’énergie et d’eau doit être garantie jusqu’à l’intervention du dispositif prévu ! Cela implique en premier lieu que des dispositifs « pauvreté-précarité » soient bien mis en place dans toutes les villes. Cela suppose que les personnes en charge de ces dispositifs se dotent de moyens pour entrer en dialogue avec les familles en difficulté. De telles procédures existent pour l’électricité et ont montré qu’une grande partie des litiges pouvaient être ainsi résolus.

Cette manière de procéder a cependant ses limites, dans la mesure où, simplement curative, elle n’apporte pas de solution lorsque les ressources d’une famille sont insuffisantes. Et les critères d’attribution de l’aide sont laissés à la libre appréciation des membres de la commission chargée d’en décider, ce qui s’apparente plus à de l’assistance qu’à l’exercice d’un droit.

De son côté, la charte Solidarité Eau 1, signée en 1996, se heurte à des difficultés d’application du fait de la multiplicité des acteurs (communes et syndicats de communes, agences de l’eau, opérateurs privés) et des types de conditions de desserte. Il serait impératif que l’Etat, cosignataire, joue un rôle d’entraînement et se porte garant de la mise en place des commissions Solidarité Eau.

Le point de vue d’un fournisseur d’eau

Une rencontre a eu lieu à Rennes en mai 2001 entre des membres de la Compagnie Générale des Eaux (CGE) et des membres du Mouvement ATD Quart Monde pour étudier le traitement des coupures d’eau et parler de la signature d’une éventuelle convention départementale, en application de la convention nationale d’avril 2000.

Le représentant de la CGE a présenté la façon dont sont traités les dossiers de retard de paiement. En 2000, à Rennes, il y a eu trois cent quarante coupures d’eau pour soixante trois mille clients. Selon lui, 20% relevaient de l’esprit de la loi contre les exclusions. Dans 50% des cas, l’eau a été rétablie le jour même ; pour 26%, la coupure a duré moins de dix jours ; pour 6%, moins de vingt jours ; pour 2%, moins de trente jours ; pour 16% plus de trente jours.

Il y a plusieurs relances par lettre en demandant à la personne concernée de contacter le service clientèle de la CGE et de faire des propositions d’échéancier. Nouvelle relance éventuelle quinze jours après. Puis relance téléphonique, avec proposition d’un échéancier sur un maximum de trois mois et un premier versement dans les quinze jours, sinon l’eau est coupée et la réouverture entraîne un coût de quatre cent vingt francs. Si la personne ne peut être jointe par téléphone, un avis de coupure est envoyé par la poste. La coupure survient dans les soixante- douze heures si la personne ne s’est pas manifestée. Au moment de la coupure, une visite est rendue à la personne. Si celle-ci accepte de verser sur-le-champ une somme minimale et signe un échéancier, la coupure est suspendue. Selon son représentant, la CGE travaille en étroite relation avec les services sociaux.

Le point de vue des consommateurs

Les formulaires envoyés par la poste ne remplacent pas le contact direct. Celui-ci est essentiel pour rechercher une solution adaptée. Or, aucune des personnes concernées par des coupures d’eau que nous avons interrogées n’a été contactée par un agent et prévenue du moment de la coupure. Il faut préciser que sur un même quartier, suivant les immeubles, les habitants traitent directement avec la CGE ou paient l’eau dans les charges locatives.

Madame J. : « La coupure d’eau est survenue pour une dette sur mon ancien appartement, mais c’est sur le nouveau que l’eau a été coupée. Je n’ai pas reçu la première lettre de relance. Sur la deuxième, je n’ai pas vu qu’il y avait écrit : “Vous pouvez contacter votre chargé de clientèle.” Je n’ai eu aucun contact direct avec quelqu’un de la société des eaux. Pourtant il y a toujours quelqu’un chez moi, ma fille reste lorsque je m’absente. »

Lorsqu’on lui demande pourquoi elle n’a pas demandé de l’aide aux services sociaux, Madame M. répond : « Avant, j’avais une assistante sociale qui me soutenait bien. J’avais confiance. Elle a changé de secteur. Maintenant, l’assistant social m’a dit que si je demandais de l’aide, il en parlerait au juge. J’ai peur qu’il place le petit. »

Madame M. : « J’étais chez moi lorsqu’ils ont coupé l’eau, c’était un peu avant Noël à huit heures du matin. Ils ne sont pas passés me voir. Le jour même, je suis allée à la CGE. Il y avait une dizaine de personnes qui étaient là pour la même raison que moi. Il n’y avait qu’un guichet. J’ai attendu une heure et demie. J’ai versé cinq cents francs et ils m’ont remis l’eau tout de suite. »

Madame N. : « Je reçois les factures d’eau tous les six mois et elles sont élevées à cause du chauffe-eau défectueux. J’en ai parlé à la société HLM. On m’a répondu que l’appareil était bas de gamme et qu’il n’y avait rien à faire. La coupure a duré quinze jours. J’ai envoyé un mandat par la poste et j’ai téléphoné pour qu’ils me remettent l’eau. Ils m’ont répondu qu’ils attendaient l’encaissement du mandat. Une alliée d’ATD Quart Monde est allée avec le talon du mandat et a exigé qu’on remette l’eau tout de suite. »

Pour un véritable droit à l’eau

Dans le dialogue avec la CGE, Denis Prost, volontaire d’ATD Quart Monde a insisté sur l’importance des relations humaines et la nécessité d’une formation à la connaissance des difficultés et des attentes des personnes démunies. Face à la peur manifestée par la CGE d’empiéter sur les responsabilités des services sociaux, il a souligné qu’il s’agit d’aller au bout de la mission de service public. De même que l’école a pour mission de faire réussir tous les élèves, la CGE ne doit-elle pas faire en sorte que chacun de ses clients puisse avoir un accès ininterrompu à l’eau ? A ce titre, n’a-t-elle pas la responsabilité de les aider à s’orienter vers les services sociaux qui peuvent leur apporter une aide financière, sans pour autant se substituer à ces services ?

Outre la mise en place d’une convention départementale qui permettrait le maintien de la fourniture d’eau jusqu’à l’intervention d’une commission, diverses mesures pourraient être également envisagées, comme par exemple :

- Des dispositions permettant de régler les difficultés liées au fait que l’utilisateur n’est pas toujours le détenteur du contrat d’abonnement.

- Des aides pour les travaux de réparation des fuites, en particulier lorsqu’il y a changement de locataire.

- De nouvelles modalités de paiement (mensualisation, possibilité de payer en argent liquide).

- Des robinets d’eau potable ou des fontaines libre-service dans chaque commune.

- La suppression des coupures d’eau pour les personnes dont les ressources ne leur permettent pas de faire face à leurs factures.

- Solvabiliser les plus démunis vis-à-vis de la fourniture d’eau en créant une solidarité redistributive, selon un mécanisme analogue à l’Aide Personnalisée au Logement, une sorte d’APL Eau.

1. Voir le résumé de cette charte dans ce même numéro.
1. Voir le résumé de cette charte dans ce même numéro.

Marie-Hélène Boureau

Membre de l’équipe de rédaction de la revue, l’auteur reprend ici des faits et des éléments de réflexion communiqués par des équipes d’ATD Quart Monde, notamment en Bretagne.

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