Les droits de l’homme sont-ils en danger ?

Jean Tonglet

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Jean Tonglet, « Les droits de l’homme sont-ils en danger ? », Revue Quart Monde [En ligne], 186 | 2003/2, mis en ligne le 05 novembre 2003, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1933

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Droits humains

L'emprise de plus en plus grande du monde de la finance et du marché sur notre société, le contexte de la «guerre contre le terrorisme» dans laquelle les États-Unis et la communauté internationale se sont engagés à la suite des attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Irak entreprise illégalement au regard du droit international, et d'autres facteurs encore alarment à juste titre les défenseurs des droits de l'homme. Dix ans après la conférence des Nations unies à Vienne, en dépit de certains succès comme la création de la Cour pénale internationale, l'esprit du temps a changé. Les libertés publiques, les droits de la personne, semblent ne plus apparaître comme des acquis irréversibles. Au nom de la lutte contre le terrorisme, au nom des vertus prêtées, aveuglément, à la croissance économique de type libéral, nos sociétés semblent prêtes à accepter de « prendre des libertés avec les libertés » et avec les droits de l’homme.

Même si elles ont du mal à se faire entendre, des voix se lèvent pour dénoncer de telles dérives : au plan international, la violation des conventions de Genève sur la guerre et au niveau de certains pays, les lois sécuritaires adoptées à la hâte. Intellectuels, juristes, philosophes, défenseurs des droits d l'homme, organisations non-gouvernementales, beaucoup se sont exprimés sur le sujet.

Peu nombreux sont en revanche ceux qui s'inquiètent d'autres menaces qui pèsent sur les droits de l'homme. Après une décennie (1987-1997) au cours de laquelle, à la suite notamment du père Joseph Wresinski, la question du lien entre les droits de l'homme et l'extrême pauvreté a été posée, étudiée et étayée jusqu'à faire l'unanimité de la communauté internationale, il semble qu'un cycle s'inverse aujourd'hui. Alors que le rapport Despouy, présenté à la Commission des droits de l'homme de l'ONU en avril 1997, soulignait le caractère totalement indivisible des droits de l'homme, des textes circulent ou ont déjà été adoptés (dans le cas du Conseil de l'Europe) qui semblent proposer aux plus pauvres un régime des droits de l'homme réduit à quelques droits basiques.

C'est ainsi que le comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté en janvier 2000 une recommandation sur le droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d’extrême précarité qui propose de leur assurer à tout le moins la nourriture, l'habillement, l’hébergement et les soins médicaux de base.

C'est ainsi qu'au cours de la session d'août 2002 la sous-commission des droits de l'homme de I'ONU a entamé un travail d'étude et de réflexion, pouvant aboutir à une déclaration des Nations unies sur les droits de l'homme et l’extrême pauvreté, dont le contenu serait limité au droit à la vie ou plutôt à la survie, se décomposant en quatre droits essentiels : eau, alimentation appropriée, logement et accès aux soins.

Ces propositions sont faites par des personnes dont la volonté de changer la vie des populations les plus pauvres ne peut être mise en doute. Ces personnes se disent, implicitement on explicitement, que si déjà ces quatre droits-là étaient assurés partout, voire même justiciables, un immense progrès serait accompli. D'autres s'inquiètent au contraire de cette limitation aux seuls besoins matériels élémentaires, craignant que loin de considérer ces quatre droits comme un plancher, on ne les considère très vite que comme un plafond.

C'est dans ce contexte que Quart Monde a voulu donner la parole à un éventail de personnes connues pour leur engagement dans le combat pour le respect des droits de l'homme. Face à la misère, « la plus flagrante des violations des droits de l'homme » selon les termes du père Joseph Wresinski, Guy Aurenche, qui a voué sa vie à la lutte contre la torture, Alphonse Tay, qui a travaillé à l'Unesco et à l'Unicef au service des enfants les plus pauvres, Paul Bouchet, ancien président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et du Mouvement ATD Quart Monde en France, Pierre Sané ancien secrétaire général Amnesty International et aujourd'hui sous-directeur général à l'Unesco, Pierre Bosset de la Commission des droits de la personne du Québec et d'autres font le point de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire, dans un dialogue avec divers membres du Mouvement ATD Quart Monde, combattants quotidiens et parfois anonymes de la lutte contre la misère, loin des projecteurs de l'actualité. Fabrice Matsima, Henri Bossan et Lucien Duquesne sont de ceux-là : ils nous rappellent l’urgence et la radicalité du combat à mener. Florence Tourette nous explique les raisons qui l'ont poussée à consacrer sa thèse de doctorat à la question du lien entre les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, alors que Bruno Tardieu revient sur les découvertes qu'il a faites aux États-Unis d'Amérique, si décriés aujourd'hui, et dont nous aurions pourtant bien des choses à apprendre.

Alors, les droits de l'homme sont-ils en danger ou pas ? Le lecteur appréciera. Là comme ailleurs la réponse n'est sans doute pas binaire. L'impression générale est qu'entre avancées significatives (comme les lois française et québécoise contre les exclusions) et reculs parfois inquiétants dans des domaines où les choses semblaient acquises (comme l'indivisibilité et l'interdépendance des droits), une conclusion s'impose : rester vigilants, veiller, avec le regard de toutes celles et ceux qui, comme le disait une femme parlant d'un voisin mort de misère, sont « si pauvres qu'ils ne savent même plus qu'ils ont des droits ».

Jean Tonglet

Directeur de la publication

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