Une approche basée sur le droit

Yozo Yokota

Citer cet article

Référence électronique

Yozo Yokota, « Une approche basée sur le droit », Revue Quart Monde [En ligne], 205 | 2008/1 et 2, mis en ligne le 05 novembre 2008, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1974

L’auteur expose les principes directeurs qui ont guidé la rédaction du rapport Extrême Pauvreté et Droits de l’Homme : les droits des pauvres au cours d’une intervention au sein de la sous-commission des droits de l’homme, le 16 août 2006.

Index de mots-clés

Droits humains

L’hypothèse de base et les principes directeurs qui guident ce rapport s’appuient sur l’approche fondée sur le droit. Celle-ci est à comparer avec l’approche habituelle, qui est basée sur le développement. La différence entre les deux approches est que la première, celle vue sous l’angle du droit, considère que l’extrême pauvreté est une violation des droits de l’homme et implique donc que la question soit abordée immédiatement tandis que la dernière, celle vue sous l’angle du développement, aborde la question d’un point de vue économique et essaye de la résoudre par le développement économique sur une période de cinq, dix ou quinze ans.

Depuis que nous avons abordé ce sujet ces huit dernières années, nous avons assisté à plusieurs conférences auxquelles participaient des personnes vivant dans l’extrême pauvreté et des organisations de volontaires qui travaillaient avec elles, à Pune (Inde), Bangkok (Thaïlande), Sao Paolo (Brésil), et Pierrelaye (France) pour n’en citer que quelques-unes. Nous avons également visité des communautés vivant dans l’extrême pauvreté au sein de ces cités ou aux alentours. Nous avons ainsi découvert à travers ces contacts directs que les personnes vivant en extrême pauvreté étaient privées de tous les droits humains, qu’ils soient civiques, politiques, économiques, sociaux ou culturels. Ces personnes souffrent quotidiennement de l’absence de droits fondamentaux, de libertés essentielles et même de dignité humaine.

Ces centaines de millions de personnes vivant en extrême pauvreté sont isolées politiquement et socialement ; elles souffrent quotidiennement de faim, de soif, d’une mauvaise santé ; de la perte de leur dignité, de confiance en elles et d’espoir. J’acquis la ferme conviction que l’extrême pauvreté n’était pas seulement un problème de développement économique mais également un problème de respect des droits de l’homme, qu’il faut aborder en priorité. Ce sentiment d’urgence nous a incités à utiliser dans ces directives certaines expressions qui peuvent paraître excessives et vont au-delà des termes en usage dans les instruments juridiques internationaux.

La participation des pauvres

Le second message qui sous-tend le rapport est que toute tentative d’aborder le problème de l’extrême pauvreté doit refléter les vues des personnes vivant en état de précarité. Toute formulation et application de politique générale devraient être faites avec la participation effective et entière des représentants des personnes vivant en extrême pauvreté. La participation des pauvres est une condition sine qua non pour le succès des programmes d’éradication de la pauvreté.

Une approche globale

Troisième hypothèse sous-jacente : dans la mesure ou les personnes vivant en extrême pauvreté sont privées de tous les droits humains élémentaires et des libertés fondamentales, inséparables et indivisibles, toute politique générale, tout programme ou toute action visant à éradiquer la pauvreté doivent être abordés de manière globale. Aborder la question en pourvoyant seulement aux besoins quotidiens, bien qu’indispensables, n’est pas suffisant. Les personnes vivant en extrême pauvreté doivent pouvoir concurremment compter sur la satisfaction de leurs droits humains élémentaires et sur la jouissance de leurs libertés fondamentales. Une approche progressive ou sans véritable plan d’ensemble n’est pas une réponse au problème de l’extrême pauvreté.

Un soutien nécessaire

Quatrième et dernière hypothèse : les principes directeurs sont nécessaires afin d’encourager les pauvres à s’unir et à affronter avec confiance en soi et dignité leurs propres problèmes et les difficultés inhérentes à la grande pauvreté. Le rôle des volontaires externes et d’organisations humanitaires n’est pas d’enseigner et de donner mais de comprendre et de travailler ensemble. Les personnes vivant en extrême pauvreté que j’ai rencontrées ont du talent, de la volonté et de la compassion : ceci est un signe encourageant. Mais elles ne peuvent mettre à profit ces qualités humaines par manque de moyens et d’opportunités.

Une relation tridimensionnelle

La relation entre l’extrême pauvreté et les droits de l’homme est tridimensionnelle. Premièrement, l’extrême pauvreté est de par elle-même une violation des droits de l’homme ; problème qu’il faut aborder immédiatement. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas attendre que le développement économique soit atteint.

La seconde dimension est que l’extrême pauvreté engendre d’autres violations sérieuses des droits de l’homme telles que le travail des enfants, le trafic d’enfants, le travail forcé, l’esclavage, l’exploitation sexuelle et la prostitution.

La troisième dimension est que la violation des droits de l’homme amène des personnes à tomber dans l’extrême pauvreté. Les discriminations envers les minorités, les populations autochtones, les personnes malades, âgées, ou handicapées et les travailleurs itinérants enfoncent ces personnes dans l’extrême pauvreté. La privation du droit à l’éducation les empêche de trouver un travail et a donc de fortes chances de les entraîner dans l’extrême pauvreté. L’absence de droits politiques prive ces personnes de l’opportunité d’exprimer leurs vues dans la formulation des programmes sociaux et dans leur mise en application ; il s’ensuit que ces personnes ont tendance à sombrer dès lors dans l’extrême pauvreté.

J’en conclue que l’extrême pauvreté devrait être portée à l’agenda du Conseil des droits de l’homme et autres organismes de défense des droits de l’homme des Nations unies en tant que sujet prioritaire dans la défense des droits de l’homme.

« Nous avons pris des responsabilités pour le rapport... »

A Bangkok, les 9 et 10 septembre 2007, ATD Quart Monde a accueilli Yozo Yokota et cinq étudiantes japonaises. Dix-huit interviews de préparation avaient été réalisées avec des familles habitant dans deux communautés : dans un slum et sous le pont à Bangkok Noi. Les thèmes abordés étaient : la communauté, la solidarité dans la communauté et l’importance de bâtir la communauté. A la fin de la consultation, Yozo Yokota, a remercié tous les participants :

« Tout d’abord, je voudrais vous remercier d’avoir participé à cette rencontre et d’avoir partagé vos pensées et vos expériences avec tant d’ouverture. Je pense que vous avez beaucoup de courage pour partager vos opinions en public.

Ce que vous avez dit est très important pour la sous-commission des droits de l’homme des Nations unies. Avec les quatre autres membres de la Commission, nous avons pris des responsabilités pour le rapport que nous avons rédigé il y a deux ans. Selon ce rapport, la pauvreté n’est pas seulement un problème économique. C’est aussi une affaire de droits de l’homme. Beaucoup de gens pensent que la pauvreté est un problème économique. Ils pensent donc que si un pays développe son économie, la pauvreté sera éradiquée. Mais, cette théorie a des imperfections. Par exemple, combien de temps vont-ils prendre pour éradiquer la pauvreté par le développement économique ? Certains pays ont dit dix ans, vingt ans, cinquante ans. Mais, les gens qui vivent dans la pauvreté maintenant, pourront-ils attendre dix ans, vingt ans ou cinquante ans ? »

Yozo Yokota

Né en 1940 à New York, Yozo Yokota est professeur de droit international à la faculté de droit de l’Université Chuo à Tokyo. Expert de la sous-commission des Nations unies sur la Promotion et la protection des droits de l’homme, il a participé à la rédaction du rapport Extrême Pauvreté et Droits de l’Homme : les droits des pauvres.

CC BY-NC-ND