Ce dossier aborde un thème que nous avons déjà évoqué1 :celui de l’histoire, ou comme l’écrit Christopher Winship, des histoires, des récits, de la mémoire collective et individuelle. Il puise sa matière dans les actes d’un séminaire de travail2. Il part d’un constat : le combat des femmes et des hommes qui s’unissent pour refuser la misère n’a pas de mémoire reconnue. Les plus pauvres, premiers acteurs de ce combat, souffrent de ne pas faire partie de l’histoire des autres.
Ce séminaire s’était efforcé de traiter ensemble, comme une histoire commune nous unissant, l’histoire du fondateur d’ATD Quart Monde, celle des plus pauvres et celle de leurs amis. Pour manifester cette histoire commune, le Mouvement ATD Quart Monde s’est engagé dans la construction du Centre international Joseph Wresinski, situé à Baillet-en-France, et a entrepris d’y regrouper l’ensemble des fonds écrits, photographiques, audiovisuels qui constituent sa mémoire. Une militante interrogeait : « Qui sont donc ces volontaires qui écrivent des bouts de notre vie ? » C’était pour elle une question vitale : pouvait-elle ou non faire confiance à ces volontaires, à ce mouvement ? La même, plus récemment, nous écrivait : « Ce que je retiens de plus important, c’est cette volonté du Mouvement de regarder la vie et l’avenir à partir de notre réalité telle qu’elle est, et non pas telle que d’autres peuvent l’expliquer ».
Comment écrire l’histoire d’un groupe qui vit l’exclusion sociale ? Comment bâtir avec des familles très pauvres une histoire de fierté et de liberté ? Comment bâtir une seule histoire - celle de l’humanité - qui soit ancrée dans la vie, la souffrance et le courage des plus pauvres ? C’est ce rêve qui habitait le père Joseph Wresinski et lui faisait dire : « Demain, il n’y aura qu’une seule histoire à raconter aux enfants ».
C’est vers la réalisation de ce rêve que nous voulons aller. Alberto Ugarte et Gustave Depincé en témoignent depuis Noisy-le-Grand ; Maryvonne Caillaux à partir de ce qu’elle a vécu à la Nouvelle Orléans. Marie Jarhling et Françoise Ferrand nous introduisent dans la réflexion conduite sur ce sujet lors du programme Quart Monde/Université. Didier Robert et moi-même illustrons une autre dimension de cette histoire commune à travers le patient effort pour que le Quart Monde soit reconnu aux plans national et international comme un partenaire indispensable. Paule René-Bazin souligne le rôle indispensable des archives en même temps que leurs limites. Au-delà des contributions données au séminaire, quelques articles élargissent le propos : les réflexions croisées de Guillaume Charvon et Brigitte Jaboureck s’appuient sur la pensée de Paul Ricoeur. Vincent Veschambre, parle de la mémoire et de la symbolique des lieux en partant de son expérience à Angers. Michèle Grenot, rappelle la naissance et le sens du mot Quart Monde, créé pour faire place à la part des plus pauvres dans l’histoire commune de l’humanité.