Serait-ce céder à l'opportunisme que de consacrer un numéro de la revue Quart Monde à la mondialisation ? Loin de vouloir satisfaire à l'air du temps en surfant sur la vague médiatique, il s'agit, comme le père Joseph Wresinski nous y a toujours invités, de nous interroger en permanence sur les chances et les risques que représente pour les plus pauvres chacune des évolutions de l'histoire humaine. Scruter l'avenir, en questionnant le présent et en prenant racine dans le passé, a été l'une des missions qu'il nous a confiées et pour laquelle il a voulu que cette revue existe et se développe.
En juin dernier, la chaîne de télévision franco-allemande Arte a diffusé un reportage d'une rare sobriété sur la région du Borinage, en Belgique. Plus de cinquante ans après le cinéaste Henry Storck, auteur dans les années 1930 du film « Misère au Borinage », un jeune réalisateur, revenu sur les mêmes lieux, y retrouve les mêmes souffrances. Il nous fait découvrir des hommes et des femmes, des jeunes et des enfants, qui ne comptent pas, qui ne pèsent pas, qui "sont de trop en ce monde insensé". Ils sont hors communauté.
Comme le sont également les personnes et les familles les plus pauvres d'El Alto, dans la banlieue de La Paz en Bolivie. Le progrès (est-ce la mondialisation ?) s'y est manifeste à travers l'implantation d'une entreprise multinationale de distribution d'eau. Et pourtant, pour savoir chaque matin quand et où elle pourra faire la cuisine et laver son linge, madame Charo dépend toujours du bon vouloir de son propriétaire. Celui-ci, à peine mieux loti qu'elle, a en effet réussi à faire partie des personnes raccordées au tout nouveau réseau d'adduction d'eau.
Les enfants du Borinage, tout comme madame Charo et les siens, nous invitent à réfléchir. Cette société qui se construit sous nos yeux se fait-elle avec ou sans eux ? Auront-ils une place dans la communauté ou seront-ils, une fois encore, de trop ? Ils nous demandent avec insistance : de quel monde s'agit-il lorsque nous parlons de mondialisation ? Sommes-nous vraiment du même monde ?
C'est ce questionnement que, des années durant, Alwine de Vos van Steenwijk, n'a cessé de poser à la communauté internationale depuis son engagement aux cotés du père Joseph Wresinski. Diplomate de métier, elle a su entraîner le Mouvement ATD Quart Monde à entrer en concertation avec les fonctionnaires et les représentants des institutions internationales, aux Nations unies, au Conseil, de l'Europe et dans d'autres enceintes encore.
C'est d'ailleurs pour donner un prolongement à ce questionnement qu'elle accepta, après la mort du père Joseph Wresinski en février 1988, d'ajouter à sa responsabilité de présidente de notre Mouvement international celle d'écrire les éditoriaux de la revue Quart Monde. Qu'elle choisisse, souhaitant passer le relais à de nouvelles générations, d'arrêter cette longue et chaleureuse collaboration avec ce numéro sur la mondialisation est un signe. Elle nous laisse sa confiance en ceux qui assument des responsabilités publiques pour continuer à œuvrer en faveur d'un monde de justice et de paix.