Mondialisation et pauvreté

Xavier Godinot

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Xavier Godinot, « Mondialisation et pauvreté », Revue Quart Monde [En ligne], 175 | 2000/3, mis en ligne le 05 mars 2001, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2190

Quels sont les risques de la mondialisation pour la lutte contre la grande pauvreté, les chances à saisir aujourd'hui pour renforcer demain le refus de la misère à travers le monde ? Telles sont les questions autour desquelles ce numéro de la revue Quart Monde a été construit.

En décembre 1999, un millier d'organisations syndicales et non-gouvernementales, proclamant que « le monde n'est pas à vendre », ont transformé en fiasco la réunion de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle. Beaucoup ont vu dans cet événement une victoire des mouvements de citoyens sur les puissances économiques et financières occidentales.

Certains ont voulu y voir une victoire des pays pauvres. A ceux-là, Michel Camdessus, ancien directeur du Fonds monétaire international, rappelle certaines « incohérences formidables : d'un côté on réduit la dette des pays pauvres, et de l'autre, on se montre incapable d'ouvrir les marchés des pays industrialisés aux produits des pays les plus en difficulté ».

Mais qu'est-ce que la mondialisation ? Elle est caractérisée par trois phénomènes interdépendants. Tout d'abord, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui permet de communiquer d'un bout à l'autre du monde à vitesse croissante et coût décroissant. Le développement des échanges commerciaux et des investissements transfrontaliers est une seconde caractéristique, liée à la diminution des droits de douane et du protectionnisme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, la « mondialisation financière » est caractérisée par l'accroissement considérable des mouvements de capitaux et de la « bulle financière » (les mouvements spéculatifs).

Tout est fait pour faciliter les échanges croissants d'informations, de marchandises et de capitaux, qui caractérisent la mondialisation. Et tout est fait pour contrôler la circulation des personnes, car les pays du Nord tentent de limiter le flot d'immigres qui fuient les guerres et la misère du Sud ou de l'Est. Les filières clandestines prospèrent, et il en résulte des drames, comme la découverte en juin 2000 de 58 Chinois étouffés dans un camion à Douvres.

Georges de Kerchove évoque cette question des « sans-papiers de la mondialisation » dans une Europe qui a tendance à s'ériger en forteresse. Jacques Ribs montre qu'il y a un véritable affrontement entre la Déclaration universelle des droits de l'homme, acte majeur de la mondialisation, et la loi du marché érigée en absolu. Le professeur Bartoli montre que la mondialisation d'aujourd'hui accroît les inégalités, et prône la mise en place d'instances mondiales de régulation, économiques et politiques.

Le risque d'uniformisation culturelle que véhicule la mondialisation peut susciter de violentes réactions de rejet, des crispations identitaires nationalistes, religieuses, etc. Pierre de Charentenay rappelle que la construction européenne est une réponse à ce risque, qu'elle veut conjurer en construisant une certaine autonomie continentale. Le dernier pré-rappport de la Banque mondiale sur la lutte contre la pauvreté souligne la nécessité de conférer aux pauvres davantage de pouvoir.

Pour Jean-Baptiste Nsanzimfura, cela implique de prendre les milieux pauvres d'Afrique comme partenaires, de partager avec eux la science et la connaissance, pour qu'ils soient « outillés mentalement et spirituellement » : il s'agit de mondialiser les solidarités.

Françoise Coré plaide pour que les populations pauvres et les associations qui les rassemblent soient associées à la définition des « indicateurs de pauvreté », ce qui serait une manière de les associer à l'évaluation des politiques.

Donner du pouvoir aux pauvres, c'est d'abord leur donner du pouvoir sur notre propre vie, n'a cessé de rappeler le père Joseph Wresinski tout au long de sa vie. Il nous faut considérer que « plus l'homme est abandonné, méprisé, écrasé, plus il est précieux », et nous mettre à son école pour inventer avec lui une nouvelle manière d'être, de penser, d'agir.

La mondialisation constitue un nouveau défi pour les mouvements sociaux, et les provoque à inventer de nouvelles façons d'agir. Pierre Galand dénonce l'imposture d'une mondialisation qui sert les intérêts du Nord. Les organisations non-gouvernementales devraient lui opposer un nouvel internationalisme solidaire. Mais combien d'entre elles ont réellement pris le parti des pauvres ? Avec les organisations membres de la coordination « Jubilé Sud », Lidy Nacpil Alejandro, des Philippines, revendique avec vigueur « l’annulation totale et inconditionnelle de la dette des pays du Sud », qu'elle considère comme le nouvel instrument de la domination néo-coloniale des pays riches sur les pays pauvres. Elena Flores et Victor Solé expliquent l'action modeste mais tenace que mène en Belgique la « Coordination des ONG pour la dignité humaine », en essayant notamment d'influencer les positions des représentants belges dans les Institutions financières internationales.

Sophie Charlier témoigne des nouvelles coalitions créées pour combattre le totalitarisme de l'argent, comme le « Réseau d'action contre la spéculation financière » La mondialisation est un défi collectif, mais aussi une chance pour chacun de nous, convié à inventer de nouvelles manières d'être citoyen du monde.

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