Lors du sommet de Nice en décembre 2 000, les institutions européennes (Commission, conseil des ministres, Parlement) ont adopté la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans un même texte, sous un classement reprenant les valeurs essentielles que sont la dignité, les libertés, l’égalité et la solidarité, sont rassemblés les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels garantis sans discrimination à toute personne résidant sur le territoire européen. Reste cependant à donner à cette Charte une portée juridique et politique. Ce devrait être l’oeuvre du futur traité en 2 004, dont l’élaboration a commencé au sommet de Laeken/Bruxelles en décembre 2 001.
Cause commune entre syndicats et ONG
Depuis une bonne dizaine d’années, syndicats et ONG sociales européennes ont appris à se connaître, à s’apprécier. Certes chacun doit garder son identité et sa spécificité mais rien n’empêche de réfléchir et d’agir ensemble dans de très nombreux domaines : droits fondamentaux, sécurité sociale, luttes contre les inégalités, les précarités et les exclusions sociales, accès sans discrimination à l’emploi, actions contre l’illettrisme...
Au début des années 1990, des expériences ont été faites en commun sous le sigle d’une campagne « Pour une plus grande solidarité en Europe », entre la Confédération européenne des syndicats (CES) et une série d’associations européennes (ATD Quart Monde, Emmaüs international, Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (EAPN), Coordination paysanne européenne, etc.) et leurs affiliés en Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Belgique, Espagne et Portugal. Ces expériences s’inscrivaient dans des programmes nationaux : accès au logement, intégration des jeunes à l’emploi, production et consommation de produits fermiers de qualité, assistances diverses et réintégration sociale pour des ex-prisonniers ou ex-drogués... Ce fut un apprentissage de collaboration entre syndicats et ONG sociales nationales.
Parfois difficiles, partiellement réussies mais pleines d’enseignements, ces expériences ont permis de détecter les obstacles mais aussi toutes les conditions pouvant contribuer aux potentialités de ces activités communes. Cette action était aussi engagée dans la préparation du sommet mondial pour le développement social (Copenhague, 1995).
Par la suite, la Plate-forme des ONG européennes du secteur social s’est créée. Elle a entamé avec la Confédération européenne des syndicats une campagne de signatures en vue de l’adoption d’une Charte des droits fondamentaux dans l’Union. Celle-ci s’appuyait sur le rapport de 1996 du comité des sages (présidé par madame Pintasilgo) qui préconisait l’adoption d’un document reprenant les droits civils et sociaux en vigueur au sein de l’Union européenne. Ce rapport, à la satisfaction des ONG et syndicats, faisait référence aux instruments du Conseil de l’Europe : Convention européenne des droits de l’homme et Charte sociale européenne révisée. Quand la présidence allemande décida à Cologne en mai 1999 d’ouvrir des travaux en vue d’une Charte des droits fondamentaux, syndicats et ONG étaient déjà au travail.
Groupe de travail pour formuler les droits
Dès février 1999, un groupe de travail, rassemblant des représentants des syndicats européens et de la plate-forme des ONG sociales s’est mis à la tâche. ATD Quart Monde en était membre et son représentant en a été avec moi le co-rapporteur.
Ce groupe a établi un inventaire des droits existants garantis par des textes des Nations unies, des conventions de l’Organisation internationale du travail et des instruments du Conseil de l’Europe afin de placer ces droits dans un contexte universel et paneuropéen.
L’option a rapidement été prise de rassembler dans un même texte les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels, afin de témoigner de leur indissociabilité, de leur interactivité et de leur interdépendance : toutes les personnes vivant sur le territoire de l’Union devant avoir accès à tous ces droits.
Puis commença l’écriture des articles. Vingt-huit rédactions successives furent nécessaires pour parvenir à une formulation d’ensemble, acceptable par tous les partenaires.
Un processus démocratique
Cela pouvait sembler une gageure de se mettre d’accord entre la Confédération européenne des syndicats et une plate-forme de réseaux européens oeuvrant sur de multiples terrains. Il a fallu beaucoup de débats, de mises au point, de relances pour arriver à un accord collectif.
Chaque groupe a dû s’expliquer sur le sens, la portée, les effets qu’il donnait à chacun des droits. Ce furent des moments très intenses où chaque participant faisait état de ses expériences en relation avec des réalités de terrain. Chaque organisation donnait à découvrir aux autres ses compétences, ses expertises, ses conceptions sur les politiques sociales, les représentations des populations, les relations avec les pouvoirs publics ou les entreprises. Ainsi, de façon très concrète, le social était recomposé.
Il est apparu qu’ensemble, syndicats et ONG sociales, nous avions par nos expériences d’actions, nos qualifications, nos mandats respectifs et nos responsabilités, des savoirs et des savoir-faire assez complets et opérationnels en matière de droits.
Des moments difficiles
L’action de la Confédération européenne des syndicats et de la Plate-forme pour une Charte des droits fondamentaux a consisté à entretenir des relations permanentes avec la Convention2. Elle a aussi initié, dans les quinze Etats membres, des informations et des débats sur le contenu, la portée politique et juridique de la Charte. Préparée dans chacun des pays, cette campagne n’a cependant pas réussi à ouvrir des débats publics au-delà des groupes militants. Néanmoins, lors de l’évaluation de ces actions communes avec cent cinquante organisations nationales, tout le monde a jugé la démarche positive, malgré quelques résistances dans plusieurs pays.
La conférence d’évaluation de la campagne, en septembre 2000, s’est tenue à un moment où les opposants (certains gouvernements des Quinze, quelques parlementaires conservateurs encouragés par un lobby très actif des milieux d’affaires européens) semblaient avoir emporté la partie :
- peu de droits sociaux dans la Charte ;
- quelques droits civils et politiques réservés aux seuls ressortissants de l’Union ;
- par contre, garantie du droit de propriété et de droits pour l’entreprise.
La conférence Confédération européenne des syndicats/Plate-forme permit une réaction rapide et énergique. Le rapport de forces s’en trouva modifié et, en septembre 2000, la Convention remettait sa proposition qui fut adoptée au sommet de Nice en décembre 2000.
La Charte : un processus positif mais inachevé
Bien entendu, l’Alliance sociale (ONG sociales et CES) aurait souhaité un texte plus complet, notamment sur les droits sociaux (similaire à celui de la Charte sociale européenne révisée du Conseil de l’Europe) avec des droits égaux pour toutes les personnes vivant en Europe. De plus, plusieurs articles ont été rédigés de façon maladroite et ambiguë, fruits de compromis au sein de la Convention. Enfin la portée juridique et politique n’a pas été précisée.
Cependant, malgré ses limites et ses imperfections, la Charte des droits fondamentaux constitue un document important car elle explicite les valeurs fondamentales de l’Union et établit l’indissociabilité des droits les explicitant. La portée juridique sera établie progressivement par la Cour de justice de Luxembourg et consacrée, comme sa portée politique, par son insertion dans le traité de 2004 en tant qu’axe principal de la future Constitution de l’Union européenne.
Mais il faut que cela reste un processus ouvert, notamment pour améliorer le texte, en introduisant par exemple le principe du revenu minimum garanti, le droit au logement, le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale ou encore en précisant le droit à des actions collectives transfrontalières ou l’accès à ces droits pour tous les résidants en Europe.
Processus ouvert également dans la perspective de disposer pour toute la future Europe d’un socle unique, constitué de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Charte de Nice et de la Charte sociale européenne révisée, avec la reconnaissance du dialogue social et civil afin que le recours aux procédures de démocratie participative soit systématisé.
Outre son amélioration et sa portée juridique et politique, qui font l’objet de propositions de la Plate-forme et de la Confédération européenne des syndicats, il faut assurer le suivi de la mise en œuvre de ce texte, notamment par les organisations nationales.
La Confédération européenne des syndicats et ATD Quart Monde se sont reconnus réciproquement partenaires avec des convergences fortes sur la représentation des populations, sur l’attention prioritaire aux exclus, sur les actions participatives. Ils souhaitent que ces conceptions de la transformation sociale soient partagées par beaucoup, afin qu’un mouvement social puissant, dans les contextes économiques et politiques actuels, soit capable de rassembler des militants nombreux, compétents, dynamiques qui permettent aux citoyens, même les plus démunis, de faire ce qu’ils se croient incapables de faire : penser et agir par eux-mêmes pour eux-mêmes. La bataille des droits n’est jamais terminée !
Quand on est sans travail, sans domicile, sans revenus et sans relations ou quand on en a trop peu (ce qui est le sort de la grande majorité des populations du monde), on exige des actes conformes aux droits proclamés. C’est la responsabilité commune des organisations sociales et des syndicats d’y contribuer. Aussi faut-il mettre ensemble nos énergies, nos compétences, nos expertises... Il en va de la dignité de millions de personnes ici et là-bas.
« ...L’Europe doit devenir le modèle de la solidarité universelle de l’avenir... La loi de la solidarité des peuples s’impose à la conscience contemporaine. Nous nous sentons solidaires les uns des autres dans la préservation de la paix, dans la défense contre l’agression, dans la lutte contre la misère, dans le respect des traités, dans la sauvegarde de la justice et de la dignité humaine... L’économie politique devient inévitablement une économie mondiale. Cette interdépendance a pour conséquence que le sort heureux ou malheureux d’un peuple ne peut laisser les autres indifférents. Tous sont unis pour le meilleur et le pire dans une commune destinée...»