Refuser le silence, au nom de l'homme

Alwine A. de Vos van Steenwijk

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Alwine A. de Vos van Steenwijk, « Refuser le silence, au nom de l'homme », Revue Quart Monde [En ligne], 166 | 1998/2, mis en ligne le 05 octobre 1998, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2746

Depuis cinquante ans, l'humanité avance accompagnée d'un repère qu'elle s'est donné à elle même : la Déclaration universelle des Droits de l'homme. Après avoir vécu les déchirements des deux guerres mondiales et découvert le paroxysme de la barbarie, elle a tiré les leçons de son expérience pour les léguer aux générations futures : si vous voulez un monde libéré de la terreur et de la misère, voilà les conditions que vous devez assurer à tous les hommes ! La sagesse universelle, portée depuis des millénaires par des millions de victimes sans voix, devenait soudain proclamée, de manière contraignante. Non pas tant sous la pression de l'horreur récente, mais d'abord parce que la violence et l'humiliation avaient été subies aussi par ceux qui avaient le pouvoir de la parole. Il faut le rappeler, car la question demeure : que faisons-nous de la souffrance des êtres dont la voix ne compte pas, ni même le cri ?

Question plus grave que jamais, en un monde dont la marche semble guidée par la seule accélération du traitement de l'information, financière en particulier. Quand le progrès prend des visages nouveaux et attrayants, telle la communication électronique, voire la mondialisation de l'économie, savons-nous déceler la menace qui pèse sur l'homme ?

Ce n'est pas le diktat des machines qui est dangereux en soi, mais bien le choix des informations que lui ont fournies les hommes. Comment sont elles et seront-elles nourries, ces machines, quand les silencieux de l'histoire n'ont toujours pas marqué ni la mémoire, ni l'expérience, ni l'espoir des techniciens, décideurs, inventeurs et penseurs ? La souffrance des plus pauvres, leurs inventions pour y résister, leur espérance ne s'inscrivent donc pas dans l'ordinateur comme s'y inscrivent, d'une manière ou d'une autre, la peine et les projets de ceux qui savent le manier.

La machine n'est pas contre l'homme. Elle est contre l'homme pauvre. Et si l'humanité accepte cette exclusion-là, pourquoi la machine ne serait-elle pas demain au seul service d'une minorité ? La génération actuelle comprend sans doute mieux que la précédente combien la technologie engendre violence et humiliation pour les plus pauvres. Et c'est peut-être pourquoi elle redécouvre la Déclaration universelle des droits de l'homme. Non pour y relire l'énoncé de droits. Mais pour y rejoindre l'humain. « Nous sommes pour les droits de l'homme, au nom de l'homme, pas au nom du droit » disait le père Joseph Wresinski. N'est-ce pas au nom de l'homme d'abord qu'il nous faut refuser le silence et l'oubli des condamnés a l'inactivité forcée d'aujourd'hui ?

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