Pour combattre la pauvreté et l’exclusion, repenser l’activité humaine

Alwine A. de Vos van Steenwijk

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Alwine A. de Vos van Steenwijk, « Pour combattre la pauvreté et l’exclusion, repenser l’activité humaine », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1998), mis en ligne le 27 avril 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4624

Contribution au Sommet mondial pour le développement social, Copenhague, mars 1995

Le Sommet mondial pour le développement social sera l’occasion d’une vaste réflexion sur les conditions d’un développement pour tout homme et pour tous les hommes, dans toutes les régions du monde. Son contexte est celui d’une interrogation sur les finalités mêmes du développement. Si nous voulons poursuivre l’idéal d’un développement des hommes, plutôt que des économies, il est sans doute urgent de rechercher et d’expérimenter une nouvelle synthèse entre développement économique, développement social et développement culturel. Cette synthèse devrait concilier une saine compétitivité économique avec le droit de tous à la participation et, par conséquent, concilier la croissance économique non seulement avec la solidarité, mais avec le partenariat de tous.

Les Nations unies qui organisent le Sommet de Copenhague ont défini quelques priorités auxquelles celui-ci doit s’attacher :

- « le renforcement de l’intégration sociale, particulièrement des groupes sociaux les plus désavantagés et marginalisés » ;

- « l’atténuation et la réduction de la pauvreté » ;

- « le développement d’emplois productifs. »

Car il y a « nécessité de réorienter les politiques sociales et de placer les besoins humains au centre des politiques » et il importe d’entreprendre « une démarche très diversifiée portant sur tous les aspects du développement et impliquant tous les acteurs. »1

Rappelons que, dans la pensée de l’ONU, la notion de développement social recouvre à la fois les politiques sociales sectorielles (santé, éducation, emploi...) et les questions relatives au fonctionnement et au devenir des sociétés (égalité des chances, répartition des revenus et des services...)

Le « Sommet s’intéressera surtout aux aspects communs de la condition humaine à travers le monde et aux aspirations partagées par des communautés qui restent séparées par la géographie et l’histoire [et visera à] stimuler la coopération internationale sous toutes ses formes, afin d’aider à la mise en œuvre, au niveau national, de politiques sociales adaptées, efficaces et impliquant tous les citoyens. »

Pour le Secrétaire général de l’ONU, il faudra pouvoir évaluer les décisions et recommandations du Sommet « à l’aune de leur contribution aux idées et politiques qui façonnent les conditions de vie des peuples, et particulièrement des plus faibles d’entre eux. »2

C’est dans le cadre d’une telle approche que le Mouvement international ATD Quart Monde entend poursuivre une réflexion portant conjointement sur : l’emploi, l’intégration sociale et la lutte contre la pauvreté, en prenant les plus pauvres comme partenaires privilégiés de la pensée et comme acteurs indispensables à la réalisation de la politique à préconiser.

Intégration sociale, lutte contre la pauvreté, emploi : un même enjeu

Depuis 1945, les États membres de l’ONU ont toujours eu à faire face à la pauvreté. Ils ont cru, pendant un temps, que celle-ci allait disparaître dans les pays riches et s’atténuer ailleurs. Nous savons aujourd’hui qu’il en est allé tout autrement.

Dans les pays du Nord, l’extrême pauvreté n’a jamais été vaincue et les situations de pauvreté relative progressent de nouveau. Parmi les facteurs constants de précarité : la fragilité de la situation professionnelle, voire l’absence d’emploi.

Dans les pays du Sud, même là où l’économie nationale a progressé de manière significative, la pauvreté reste préoccupante. Quant à la pauvreté extrême, toujours difficile à circonscrire, elle y atteint un nombre croissant d’individus.

Partout, la pauvreté a partie liée avec la situation de travail.

C’est au père Joseph Wresinski que nous devons une meilleure compréhension de ce processus qui peut conduire des précarités de l’existence, notamment de l’absence d’emploi, à la grande pauvreté. Pour plus de clarté, reprenons sa définition adoptée par le Conseil économique et social français en 1987 :

« La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible. »3

Cette définition de la pauvreté, comme « processus » de privation progressive des moyens d’assumer des responsabilités et d’exercer des droits, a été dictée par l’expérience des plus pauvres eux-mêmes et exprimée par un homme né lui-même dans une pauvreté extrême. Elle atteste qu’on peut aller de la marginalisation relative à l’exclusion totale.

Le risque de refoulement vers la marge d’une société peut être lié à des causes très diverses, relatives à la santé, au sexe, à l’appartenance culturelle, ethnique, religieuse ou politique. Mais toutes les précarités ne conduisent pas obligatoirement à la grande pauvreté. Pour l’illustrer, nous nous appuyons sur deux exemples :

- dans beaucoup de pays européens, un cadre au chômage se retrouve certes en marge de la vie professionnelle, mais il ne perd pas pour autant toute relation, ni toute participation à la vie culturelle, sociale, spirituelle ou politique. Tandis qu’un travailleur sans instruction ni métier, frappé de chômage et vivant dans des conditions de grande précarité, risque à terme de voir se rompre le peu de liens qu’il avait. Pour lui et avec lui, toute forme de partenariat est compromise en raison de son état de dépendance totale de la solidarité publique ;

- dans des zones rurales à première vue relativement homogènes, comme en Amérique Latine, la pénurie économique ne pèsera pas de la même façon sur celui qui possède un peu de terre et sur celui qui n’en a pas. Le premier participera toute l’année au travail communautaire et au partage de son fruit. Le second ne pourra s’y investir que de façon saisonnière pour une rémunération minime, selon les besoins en main d’œuvre du moment. Ses enfants les plus grands seront placés comme domestiques chez des familles en ville. Les plus jeunes n’iront pas à l’école, faute de moyens pour payer les fournitures scolaires. Et si un enfant tombe malade, la famille ne pourra pas lui assurer les soins nécessaires.

Ainsi nous pouvons mieux saisir le lien qui existe entre précarité et marginalisation, entre grande pauvreté et exclusion. Dans la mesure où, en plus grand nombre qu’hier, sont repoussés vers la marge de nos sociétés ceux qui souffrent du cumul de certaines précarités, cette marginalisation, par la rupture des liens sociaux qui l’accompagne, se confond avec le cercle vicieux qui entraîne les personnes et les familles vers la grande pauvreté.

A la limite, grande pauvreté et exclusion totale se présentent à nous comme un seul et même phénomène. Elles représentent l’aboutissement d’un même processus. C’est pourquoi notre réflexion porte sur la pauvreté en même temps que sur l’exclusion. Nous partons du fait que l’absence de possibilités et de moyens pour participer par le travail à la vie économique joue un rôle prépondérant.

Pourquoi un partenariat avec les plus pauvres ?

La continuité que l’on observe, entre précarité et pauvreté extrême d’une part, entre marginalisation et exclusion totale d’autre part, ne doit pas nous faire oublier que lorsque les précarités s’accumulent et que les conditions de vie deviennent insupportables, ceux qui les subissent se trouvent dans une situation où il devient impossible de s’inscrire dans des projets communautaires. En effet, ils n’ont plus de prise sur leur propre existence. Chaque jour, ils doivent trouver les moyens de survivre, sans avoir de garanties pour le lendemain. On dira d’eux qu’ils « ne veulent pas s’en sortir » et on fera de moins en moins appel à eux.

Au sein de l’Union européenne, nous constatons que l’idée est toujours communément admise que la meilleure façon de lutter contre la pauvreté et l’exclusion est de garantir un socle de droits sociaux fondamentaux pour les travailleurs.4 Ces droits, pense-t-on, s’étendront automatiquement aux catégories plus vulnérables de la société. L’histoire de la sécurité sociale en Europe nous démontre que les choses sont en réalité beaucoup moins simples. Il est vrai qu’au cours d’une période de prospérité, dans les années soixante, des droits acquis pour les travailleurs salariés ont été étendus à d’autres catégories. Mais, sous la pression d’une réduction imposée des dépenses publiques, ils sont aujourd’hui, pour certains ayants droit, soumis à des conditions spécifiques, comme par exemple la signature d’un contrat d’insertion (qui se limite souvent d’ailleurs à l’obligation d’accepter n’importe quel travail, fût-il le moins gratifiant qui soit). Finalement on constate que de plus en plus d’individus n’ont pas accès à ces droits.

En fait, l’histoire de l’Europe occidentale nous montre que certaines conquêtes sociales ne bénéficient que très difficilement, voire jamais, aux populations les plus pauvres qui en ont été exclues au départ. Le père Joseph Wresinski a toujours demandé que soit créé un plancher de droits en dessous duquel nulle personne, si défavorisée soit-elle, ne puisse plus tomber. N’avoir pas su instaurer un tel plancher au temps de la prospérité, fait qu’en des temps d’insécurité économique générale, des personnes jusqu’alors à l’abri peuvent basculer dans la pauvreté et l’exclusion.

Nous avons là deux raisons pour lesquelles il nous paraît indispensable à l’avenir d’élaborer les politiques en partenariat avec les plus pauvres.

Parce qu’ils connaissent l’exclusion parfois depuis de nombreuses générations, parce qu’ils n’ont guère ou pas du tout bénéficié des avancées sociales, les plus pauvres peuvent apporter leur expérience et leurs réflexions. Cette contribution serait bénéfique non seulement à eux-mêmes mais aussi à tous ceux qui connaissent aujourd’hui des situations de précarité et d’exclusion.

Ensuite, nous constatons que pour qu’une politique bénéficie effectivement aux plus pauvres, il est nécessaire que ceux-ci soient d’emblée pris en considération. Ils doivent l’être dès la conception de ces politiques, durant leur réalisation et jusqu’à leur évaluation.

En somme, rendre ces populations exclues partenaires, agents de leur propre développement, est une question à la fois de justice et d’efficacité. Bâtir la communauté nationale et internationale à partir de l’expérience des plus pauvres, et en collaboration active avec eux, témoignerait d’une société qui aurait définitivement rompu avec la juxtaposition de politiques destinées au plus grand nombre et de politiques spécifiques pour les exclus.

Redistribution, intégration, protection

Dans son message5 aux participants du colloque sur le Sommet mondial pour le développement social organisé à Paris par le Centre d’information des Nations unies pour la France en collaboration avec le Mouvement international ATD Quart Monde, Monsieur Boutros Boutros Ghali a précisé que les politiques à définir devraient concerner particulièrement la redistribution des revenus, l’intégration des individus et la protection sociale.

La redistribution des revenus, moyen classique pour rechercher la justice sociale dans une économie de marché, demeure toujours nécessaire. Mais la crise actuelle semble montrer qu’elle est insuffisante. Seule une véritable redistribution des chances peut venir à bout de la pauvreté et de l’exclusion.

L’intégration des individus dans la société dépend de leur possibilité d’y assumer un rôle. Aussi l’emploi et, d’une manière plus générale, l’activité utile de tous doivent devenir une finalité explicite des politiques économiques et sociales.

La protection sociale, telle qu’elle a été développée dans les économies de marché, a suivi les mouvements conjoncturels du cycle économique. Aujourd’hui, de véritables mutations structurelles affectent la vie économique, au Nord comme au Sud. Aussi la protection sociale doit devenir partie intégrante des ajustements structurels.

Repenser l’activité humaine

Nous voudrions dans les pages qui suivent traiter des thèmes de la pauvreté et de la marginalisation à travers leur manifestation primordiale en notre temps : l’impossibilité pour des personnes ou des groupes d’être à la fois autonomes et utiles à leur entourage, par le travail en particulier. Nous le ferons en nous appuyant sur l’expérience et la vie des plus pauvres.

Nous partageons l’idée déjà répandue qu’un « traitement social » du chômage et de l’exclusion ne suffit plus et qu’il est devenu indispensable de concevoir autrement l’ensemble de l’activité humaine à l’intérieur et en dehors des systèmes économiques dominants. Pour cela, nous nous référerons à l’expérience, à la vie et à la pensée d’un homme issu lui-même de la grande pauvreté, le père Joseph Wresinski. Durant trente ans, celui-ci a inspiré une démarche originale, fondée sur le droit de tout homme d’être responsable, en partenaire authentique, de l’avenir de son pays et de la communauté internationale.

Peut-on englober dans une même démarche toutes les situations, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest ? C’est une question qui nous est souvent posée. Le Sommet, nous l’avons souligné, prévoit de s’intéresser « surtout aux aspects communs de la condition humaine à travers le monde ... » C’est une option que nous partageons d’autant plus volontiers que, depuis trente-huit ans, nous sommes témoins que les populations les plus pauvres et les plus exclues vivent, dans divers pays du monde, des expériences de souffrance, de pensée et d’espérance réellement communes.

I. Situation de départ

Nous voudrions dans ce chapitre reprendre, brièvement, les analyses les plus courantes des phénomènes économiques qui, à travers le monde, peuvent être considérés comme les principales causes des précarités et marginalisations. Nous devons le faire en nous posant une question que la plupart de ces analyses passent sous silence : comment ces phénomènes économiques affectent-ils actuellement les personnes et familles déjà épuisées par une longue misère ? Nous nous interrogerons aussi sur ce qu’en pensent d’une part les intéressés et d’autre part les gouvernements, les organisations intergouvernementales, les ONG et l’opinion publique.

1. Au niveau global, des progrès ont été réalisés

La seconde partie du vingtième siècle a enregistré d’importants changements : croissance économique, augmentation de l’espérance de vie, amélioration des conditions de vie. Même si, comme le souligne l’Unicef6, les populations pauvres majoritaires dans le monde ne reçoivent toujours qu’une part minoritaire des crédits, il faut reconnaître que de nombreuses actions ont tenté d’améliorer les niveaux d’instruction et de santé, de promouvoir de meilleures conditions pour les femmes et les enfants, de soutenir des projets de développement.

En ce qui concerne les plus pauvres, il existe des signes qui témoignent d’un changement à leur égard : la reconnaissance par l’ONU du « 17 octobre » comme Journée mondiale du refus de la misère7 ; le souci d’organisations intergouvernementales « d’atteindre les plus pauvres »8 ou d’étudier les liens existant entre grande pauvreté, famille et droits de l’homme9. Ce changement est significatif car il conduit à considérer les êtres humains vivant dans la misère comme des citoyens capables de penser et d’agir pour le bien d’autrui et le leur propre. La reconnaissance internationale du combat du père Joseph Wresinski, de son rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale10, de sa conception de la lutte contre la pauvreté en termes de responsabilités et de droits humains, y a beaucoup contribué.

2. Inégalité, pauvreté et misère s’aggravent

2.1. Inégalités entre pays

Ces deux dernières décennies, sous les coups d’une « crise » révélatrice d’une mutation profonde, les inégalités existantes se sont aggravées, au dire de nombreux experts. Elles ont précipité dans la misère et l’exclusion des populations entières.

L’écart entre les nations a continué de s’accroître. La Banque mondiale11 nous apprend qu’une croissance globale de 1,3 % a été observée en 1992. Mais si l’Asie du Sud-Est a connu un fort décollage, la situation dans les pays à faible revenu, lourdement endettés, s’est nettement dégradée. D’autre part, l’indice des prix des produits de base non pétroliers a atteint son plus bas niveau depuis la seconde guerre mondiale. Pour des pays où la production agricole et minière constitue la principale richesse, cette évolution est catastrophique.

Ce même phénomène se remarque aussi entre des régions d’un même pays ou d’un groupe de pays comme l’Union européenne. Ainsi en Italie, la division nord-sud s’élargit. Au Royaume-Uni, on relève de grandes disparités régionales. L’Allemagne a la région la plus riche de l’Union, Hambourg, mais aussi la plus pauvre, la Thuringe12.

Nous ne détaillerons pas la situation dans les pays de l’Afrique sub-saharienne dont de nombreuses analyses notent l’enlisement dans la pauvreté. On peut constater par exemple une dégradation de la qualité de l’enseignement primaire, une désorganisation des systèmes de santé, une aggravation de la malnutrition et de la mortalité infantile13.

Dans ce contexte, il importe de souligner le courage des gouvernants et des populations qui résistent et inventent chaque jour des solutions aux multiples problèmes posés. Ce sont d’innombrables gestes pour s’en sortir envers et contre tout, généralement ignorés par l’opinion, qui permettent à des peuples de ne pas sombrer dans la désespérance la plus totale. On peut se référer sur cet aspect à l’étude de James Scott14.

Il est vrai cependant que certains pays, se retrouvant sans moyens propres, avec des fonctionnaires payés sur des fonds étrangers, ne peuvent pas reconquérir, par eux-mêmes, un développement et un dynamisme économiques tant soit peu autonomes. Dans ces nations les plus en difficulté, l’épuisement des corps et des esprits touche une majorité de la population. Comment, dans de telles conditions, l’écart avec les autres pays en développement ne se creuserait-il pas encore davantage ?

2.2. Inégalités entre groupes sociaux

Partout, les effets des guerres et des pénuries sont diversement ressentis. Ce sont généralement les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut à ces fléaux. Par exemple à Sarajevo, des médecins alliés du Mouvement ATD Quart Monde ont constaté que, durant les hostilités, le taux de mortalité infantile était huit fois plus élevé dans les rues les plus dégradées de la ville que dans les quartiers résidentiels ; mortalité due non pas au conflit armé mais à la malnutrition, à la maladie, au froid...

Dans le cadre de ce document, nous abordons la pauvreté et la marginalisation à partir de l’exclusion du marché de l’emploi. Dans les pays occidentaux, le travail est devenu un facteur important d’égalité entre citoyens et progressivement le moyen essentiel d’une reconnaissance sociale. Dans les Universités populaires Quart Monde15, de nombreux hommes ayant vécu dans des conditions de grande misère expliquent que le travail permet d’assurer des ressources, mais aussi de faire reconnaître sa dignité, notamment vis-à-vis de ses propres enfants.

Déjà dans les années de prospérité, le père Joseph Wresinski dénonçait l’exclusion des plus pauvres du monde du travail. Aujourd’hui, l’extension du chômage à d’autres populations moins défavorisées conduit certains organismes à s’inquiéter d’une dualisation de la société. A côté des chômeurs de longue durée, l’OCDE prend en compte une nouvelle catégorie de « travailleurs découragés, à temps partiel contre leur gré, ou sous-employés »16. On estime par exemple qu’en Allemagne, d’ici à l’an 2000, les travailleurs sous-employés pourraient constituer une réserve latente de 2,6 millions de personnes en plus des 3,3 millions de chômeurs déclarés auxquels il faut s’attendre. En outre, et c’est sans doute plus grave encore, réapparaît dans le langage administratif la notion d’un ensemble de chômeurs irrécupérables « dont la remise au travail n’est pas négociable. »

L’exclusion des circuits officiels de l’emploi est liée à d’autres précarités. C’est ce que le père Joseph Wresinski a souligné à maintes reprises17. On ne peut pas isoler le chômage chronique des travailleurs sans qualification de tout ce qui affecte la vie des très pauvres : l’absence de logement décent, l’errance, les pressions faites dans les domaines de la santé et de la vie familiale, l’illettrisme qui reste un défi non seulement dans les pays en développement mais aussi dans les pays industrialisés.

Cette absence de toutes les sécurités de base (travail, logement, santé, ressources, instruction...) met en cause, pour les plus pauvres, les libertés fondamentales. Parmi celles-ci, le droit de vivre en famille. Le rapport Familles du Quart Monde, acteurs de développement18 souligne combien, dans tous les pays du monde, la misère risque de détruire la famille : des hommes doivent partir au loin dans l’espoir de trouver du travail, d’autres fuient par honte de ne pouvoir subvenir aux besoins des leurs... De ce fait, certains enfants sont parfois livrés à la rue. Malheureusement, on relève trop peu que ces familles très pauvres font souvent preuve d’endurance et de renoncement pour essayer de maintenir leur unité. Mais il est certain que la misère persistante empêche ceux qui en sont victimes d’exercer leurs droits fondamentaux.

L’opinion publique et les décideurs ont trop tendance à rendre ces victimes responsables, voire coupables de leur situation. En témoignent dans de nombreux pays les contreparties du revenu minimum, exigées en particulier des très pauvres, sans cesse soupçonnés de paresse ou de fraude : travaux humiliants, rétribués de façon dérisoire, défiant les accords internationaux signés dans le cadre de l’OIT...

Il est vrai que ces transgressions des normes internationalement admises permettent parfois aux travailleurs les moins qualifiés de trouver quelque emploi. Mais lorsqu’ils continuent de se laisser embaucher (ou de laisser embaucher leurs enfants) dans de telles conditions, ces travailleurs les plus démunis provoquent la protestation des organisations syndicales qui dénoncent à travers eux une exploitation du travail et une violation des droits de l’homme.

Dans les pays en voie de développement, le fossé entre les populations vivant dans un état de pauvreté relative et les populations totalement exclues semble s’accentuer aussi. Dans plusieurs pays d’Asie où l’économie progresse de façon spectaculaire, les plus pauvres sont les victimes de cette nouvelle croissance. Les terrains occupés par des bidonvilles dans les grandes agglomérations ont pris une telle valeur que leurs propriétaires, publics ou privés, ont entrepris de déloger massivement leurs habitants. Les autorités leur proposent des terrains de remplacement dans des zones non défrichées, encore moins viabilisées, loin du centre de la ville et, par conséquent, éloignées des réseaux de l’emploi et des marchés.

Prenons l’exemple d’Haïti quand l’embargo international a frappé le pays. Dans la lutte plus âpre pour la survie, les relations entre pauvres et très pauvres, d’amicales ou pour le moins tolérantes, sont devenues hostiles. Voici ce que disait une mère de famille à l’équipe d’ATD Quart Monde demeurée sur place : « Nos enfants avaient une chance de survivre, non pas grâce à des aides souvent données au compte-gouttes, mais parce qu’ils nous voyaient, nous leurs parents, nous lever tôt le matin pour essayer de trouver un travail journalier, pour faire la lessive à gauche ou à droite ; parce qu’ils nous voyaient tenir un petit commerce, acheter un petit panier de pistaches pour les revendre sur le bord de la route et pour pouvoir dire le soir : "Voilà ce que je garde pour mon commerce et pour faire manger mes enfants." Maintenant que nous ne trouvons plus rien, les enfants qui ne nous voient pas travailler, ne le feront plus à leur tour. Le malheur réside dans le fait que nous sommes amenés à mendier avec nos enfants, même auprès de personnes auxquelles nous n’avions rien demandé d’autre que d’accepter notre amitié. »

Ces exemples illustrent la distinction qui s’opère, apparemment de manière irréversible, entre pauvres et très pauvres. Partout à travers le monde, les équipes d’ATD Quart Monde ont vu des familles disloquées contre leur gré à cause de la misère. Elles ont vu des hommes, des femmes et même des enfants devoir utiliser leur énergie pour survivre, gâchant là tout autre investissement (instruction, formation, travail...) susceptible de bâtir un avenir. Partout les plus pauvres sont considérés comme « infra-humains » à cause de leurs conditions de vie, jugés incapables de fonder une famille, d’élever leurs enfants, de travailler, de participer à la vie en société, bref d’agir pour leur bien propre et celui d’autrui. Il faut bien se rendre à l’évidence que les caractéristiques de la misère sont aujourd’hui universelles. Cela ne nous fait pas oublier les contextes spécifiques à chaque région. Et notamment le fait que, dans les pays pauvres, vouloir atteindre les plus pauvres et les considérer comme partenaires demande de prendre aussi en considération les besoins - souvent très importants - de l’ensemble de la communauté.

3. Un modèle économique dominant qui devient unique, quel espoir offre-t-il aux plus pauvres ?

On a longtemps pensé que l’économie de marché se développerait partout dans le monde d’une manière linéaire, en passant par les mêmes étapes d’industrialisation que celles qui ont façonné l’histoire des pays riches. Il faut bien admettre que nombre de pays pauvres ont sauté certaines de ces étapes et qu’ils sont précipités dans une société postindustrielle. Ce n’est pas à la légère que les experts parlent d’une mondialisation des économies comme d’ailleurs des cultures. C’est dire que les effets néfastes de l’économie de marché sont aussi de même nature à travers le monde.

3.1. Analyses courantes de l’évolution économique

De l’avis des experts, nous ne vivons pas une banale conjoncture de transition. Les équilibres sur lesquels étaient fondées les sociétés développées sont durablement remis en cause. Sous l’effet de la révolution technologique, une nouvelle logique s’est mise en place, se manifestant par le passage du produit à la fonction et par la primauté de l’échange sur la production. La différence entre biens et services s’est estompée. Concrètement, ce n’est pas seulement la machine qui a remplacé le travailleur, mais ce sont aussi la coopération et la relation qui ont remplacé la force de travail.

L’autonomie ouvrière reposait sur une force de travail et un savoir-faire extérieur à l’entreprise. Le métier reposait sur des apprentissages en situation de travail. Ce qui était produit structurait la qualification. Ces aptitudes contributives sont aujourd’hui remplacées par la capacité de s’intégrer dans un système complexe : il faut savoir communiquer et comprendre les relations de son poste de production à l’environnement. La solidarité interne à l’entreprise devient plus pertinente, plus utile que la solidarité de classe. Ce changement de nature des rapports sociaux au sein de l’entreprise tend à rendre inopérants la plupart des droits des travailleurs. Parce que la nature du processus de production a changé de manière irréversible, la création de richesses et la croissance se dissocient, dans une certaine mesure, de la création d’emplois.

3.2. Insertion dans la production

Il semble que la formation ne puisse, à elle seule, relever le défi de l’adaptation de la main d’œuvre. D’une part, ses débouchés dépendent du niveau de création d’emplois (cercle vicieux). D’autre part, les exclus de l’emploi sont aussi les laissés-pour-compte de la formation. Marqués par l’échec scolaire, par l’exclusion sociale en général, de nombreux chômeurs n’arrivent pas à intégrer les logiques de formation et développent des résistances vis-à-vis de tous les stages par lesquels ils sont contraints de passer. Ils éprouvent les plus grandes difficultés à intégrer la nouvelle culture du travail. De ce fait, resurgissent vis-à-vis d’eux des attitudes et un langage d’abandon.

La logique économique actuelle promeut la productivité comme valeur. Pour tenir sur un marché financier, il faut apparaître comme le plus performant. L’école, l’université, la formation professionnelle, doivent préparer un « capital humain » capable de soutenir une compétitivité face aux concurrents étrangers. Cette réalité ne peut qu’accentuer les inégalités entre individus, groupes sociaux, régions, pays et même continents.

3.3. Quelles sont les réponses concrètes généralement offertes ?

La restitution d’un emploi correctement salarié est considérée comme une exigence incontournable par certains courants de pensée, tandis que d’autres envisagent de découpler complètement emploi et revenu, en créant une « allocation universelle » versée à tous les citoyens adultes.19 On reconnaît dans des cercles de plus en plus larges que le travail rémunéré ne pourra plus jouer le rôle hégémonique qu’il a tenu en Occident depuis les débuts de la révolution industrielle. Mais cela ne va pas sans ambiguïtés.

Au nom de la « pleine activité », certains veulent réserver des activités « socialement utiles » et en dehors de l’emploi aux groupes les plus éloignés du marché du travail. Ils semblent résignés à abandonner le droit à l’emploi des travailleurs les moins qualifiés, les condamnant à dépendre de l’assistance publique sous une forme ou sous une autre.

D’autres défendent une position qui nous semble beaucoup plus juste : partager les emplois, et donc les revenus et les statuts qui en découlent, entre tous ceux qui veulent travailler. Tout en reconnaissant que d’autres activités que l’emploi doivent prendre une place accrue dans la vie de chacun.20 Si chaque citoyen accordait moins de temps au travail rémunéré et plus de temps aux autres activités socialement utiles (activités familiales, associatives, sportives, culturelles, spirituelles ou d’économie domestique), le droit au travail rémunéré pour tous, affirmé dans l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, serait plus facile à mettre en œuvre.

4. Pour un autre développement à partir des plus pauvres

4.1. Actes de résistance des très pauvres eux-mêmes et soutiens offerts par leur proche entourage

Les plus pauvres n’attendent pas les soutiens publics pour résister à la misère qui est la leur. Ils mettent déjà en œuvre de nouvelles façons de concevoir l’activité humaine, dans les domaines les plus divers et, bien entendu, dans celui du travail. Ce qu’il est convenu d’appeler le marché de l’emploi informel repose pour une large part sur la volonté acharnée des pauvres de travailler coûte que coûte. Au-delà du marché informel organisé, il existe un secteur informel non organisé dans lequel on retrouve des millions de personnes improvisant au jour le jour les gagne-pain les plus inattendus pour vivre et pour faire vivre leur famille.

Le « Forum permanent : Extrême pauvreté dans le monde »21 recueille d’innombrables faits qui témoignent de cette résistance. Il enregistre aussi les difficultés des ressortissants de milieux ou de régions pauvres pour obtenir des financements, des soutiens logistiques, ou plus simplement des moyens de réfléchir avec d’autres. Mais il est clair que progresse aujourd’hui la prise de conscience de cette résistance des très pauvres eux-mêmes et qu’elle pourrait changer profondément à la fois les attitudes et l’action à mettre en œuvre avec eux.

4.2. Place de la famille

Trop souvent on s’est attardé à des catégories de population : enfants, jeunes, femmes, malades, chômeurs... sans prêter assez attention à la vie familiale des intéressés. Cette tendance semble aujourd’hui de plus en plus abandonnée. Là encore l’inspiration paraît venir des populations les plus pauvres qui, pour éviter l’éclatement familial, endurent souvent les pires situations.

Ceux qui veulent prendre au sérieux ces efforts des très pauvres découvrent l’importance de la famille, si démunie soit-elle, comme lieu essentiel du développement de la personne humaine. Les plus pauvres nous enseignent en outre que la famille est le lieu privilégié où ils trouvent les motivations pour résister à la misère et à l’exclusion, pour renouveler sans cesse leurs efforts, pour manifester leur utilité.

« Perdre une certaine cohésion de la vie familiale est grave pour tout homme. Pour les plus pauvres, c’est la dernière protection contre la destruction de la dignité de la personne qu’ils perdent ainsi. »22

4.3. Place de la solidarité

Dans les pays du Nord, à mesure que s’estompait l’idéologie de la lutte de classes, on a pu voir se répandre une pensée nouvelle (sinon toujours une pratique) concernant une solidarité communautaire, entre groupes de population aux intérêts contradictoires. Les Églises ont certainement assumé un rôle dans cette évolution.

Au sein de la communauté internationale, le débat sur un nouvel ordre économique, qui a longtemps opposé les pays du Sud aux pays du Nord, a cédé quelque peu la place à un autre langage, sur la solidarité entre les peuples. Tout se passe comme si l’idée de solidarité entre groupes de pays ou de populations aux intérêts divergents avait pris le pas sur l’idée de solidarité au sein même de chacun de ces groupes.

La misère, on le sait, est peu propice à la solidarité telle que nous la concevons. Or, sans solidarité interne, une population voit faiblir son identité, sa cohésion, sa culture, la mise en œuvre de toutes ses forces vives. Dès lors la solidarité entre elle et d’autres groupes génère des liens de domination, de paternalisme et de dépendance qui, à leur tour, vont affaiblir les relations d’entraide interne. Le père Joseph Wresinski, à la lumière de l’expérience des plus pauvres, a fait ressortir que la solidarité interne et la solidarité externe sont indivisibles.23

Cette réalité a été peu prise en compte dans les politiques de lutte contre la misère. Sans doute pour deux motifs : d’une part, la peur d’« organiser les pauvres » qui peuvent devenir un danger politique ; d’autre part, l’obstination à considérer les très pauvres comme une population à aider, à instruire et à guider, plutôt qu’à prendre pour partenaire.

L’ambition des programmes publics ne semble pas encore être celle de nombreuses ONG : favoriser le partenariat des plus pauvres à travers le monde, en leur permettant de créer entre eux des solidarités internationales, comme le font aujourd’hui la plupart des autres groupements d’intérêts.

4.4. Place de la culture

Dans le monde entier, nous enregistrons la demande des populations enfermées dans la misère de voir reconnaître leur savoir et de participer à celui du monde environnant. Le père Joseph Wresinski explique pourquoi cette aspiration se fait jour dans de nombreux projets d’ONG.

« Il n’est pas vrai que l’enfant apprend d’abord pour son bien, ni l’adulte d’abord pour faire carrière. Tout être humain aime apprendre à communiquer, à se communiquer, dans la mesure où il se sait attendu. »24

« Savoir, c’est d’abord avoir conscience d’être une personne, c’est pouvoir donner un sens à ce que l’on vit et pouvoir l’exprimer. C’est se rendre compte que l’on a un rôle à jouer dans le monde, c’est connaître ses racines, s’identifier à une famille, à une communauté. Savoir c’est être capable de comprendre ce que l’on vit et pouvoir le partager avec d’autres, c’est vivre des expériences desquelles on ne sort pas humilié mais fier. »25 Dès que l’occasion leur en est offerte, les très pauvres expriment une attente dans le domaine culturel. Non pas du tout comme un besoin « en plus », à considérer lorsque les besoins cruciaux de nourriture, de travail, de logement seraient satisfaits, mais comme une nécessité fondamentale aussi vitale que les autres. La prise en compte de l’aspiration des plus pauvres au savoir et à la culture a très certainement modifié le contenu de bien des projets d’action sur le terrain. Ceux qui ont servi de base à l’exploration « Atteindre les plus pauvres »26 ont montré avec beaucoup de clarté, et dans des contextes très divers, l’importance de la culture. Non seulement pour atteindre les plus pauvres, mais aussi pour leur permettre de devenir des partenaires reconnus dans un programme d’action.

4.5. Courants de pensée universitaires

Pour penser le développement social face à la pauvreté en termes de droits de l’homme, l’Université a pris du retard sur les organes de l’ONU et les ONG. Aux Pays-Bas, par exemple, nous sommes en présence d’un débat déjà ancien entre les auteurs qui attribuent la pauvreté à des facteurs structurels et ceux qui l’attribuent à des causes personnelles. Un point d’accord paraît pourtant acquis : les définitions de la pauvreté en termes exclusivement économiques ne peuvent plus suffire.

Plus que la pauvreté et l’exclusion en tant que telles, ce sont les mutations économiques contemporaines qui semblent avoir déclenché, dans les universités des pays du Nord, un nouveau courant d’intérêt pour les aspects sociaux. Au-delà des causes et des effets économiques, de nombreux chercheurs analysent aujourd’hui les conséquences sociales. Sur ces analyses pourrait éventuellement se greffer une nouvelle réflexion sur la lutte contre la pauvreté et pour les droits de l’homme. Plus pertinent pourrait être le courant de pensée qui se consolide actuellement, en Europe occidentale, autour de notions telles que « l’économie solidaire et plurielle »27, le « tiers-temps », le « temps civil », « l’économie nouvelle »28 ou encore « le travail nouveau »29. Ces notions traduisent une volonté de repenser solidairement le partage des temps de travail et d’autres services à la communauté, de repenser aussi sur de nouvelles bases la rétribution et la distribution des avantages sociaux. L’ouvrage de Raymond Racine30 nous introduit pour sa part à une réflexion plus fondamentale sur le droit de toute personne de participer au devenir de sa société.

5. Quels enseignements nous offrent les plus pauvres ?

5.1. Insuffisance d’un « traitement social », voire d’un « traitement économique », du chômage

La communauté internationale, nous le disions, ne considère plus aujourd’hui le chômage comme un effet malencontreux du système économique, qui demanderait un « traitement social ». L’idée d’un « traitement économique », voire d’un traitement du « système économique », a déjà largement fait son chemin. A cette prise de conscience, s’en ajoute une autre : le type d’économie de marché qui prévaut aujourd’hui ne permettra pas de réaliser le droit au travail, qui figure dans nos déclarations et nos conventions des droits de l’homme.

L’opinion publique, les économistes et les dirigeants politiques semblent d’accord : beaucoup peut et doit encore être fait pour élargir le plus possible l’accès au marché de l’emploi. Aussi la communauté internationale se préoccupe-t-elle, sans toujours beaucoup d’effets pratiques jusqu’à ce jour, de repenser l’activité économique dans les pays riches afin d’atténuer les conséquences sociales du chômage. Mais ces réflexions et les initiatives qu’elles génèrent prennent très peu en compte, voire pas du tout, les millions de travailleurs déjà globalement exclus de la vie économique, sociale, culturelle et politique. Dire cela, ce n’est pas ignorer l’effort remarquable de nombreux militants, fonctionnaires ou autres acteurs qui, d’une manière ou d’une autre, cherchent à créer l’« économie d’insertion » qu’analyse Patrice Sauvage pour la France31.

D’une manière générale, dans les pays du Nord, les programmes de formation ne semblent pas donner lieu à un nombre suffisant d’embauches, encore moins à de véritables carrières.

La création d’emplois et les aides publiques consenties aux entreprises à cet effet favorisent les chômeurs d’un niveau de qualification relativement élevé. Les moins instruits ne peuvent souvent espérer, au mieux, que des activités de survie, peu prestigieuses même si elles sont baptisées « d’utilité collective », souvent de véritables « voies de garage ». Ainsi certaines dispositions pour remédier au chômage demeurent exclusives. De nombreux chômeurs s’éloignent du marché de l’emploi, mais aussi de la population en chômage qui peut encore espérer retrouver du travail. Nous nous trouvons généralement devant une mosaïque de mesures palliatives en vue d’une adaptation largement individuelle et non devant une politique globale susceptible d’agir sur les causes de la mise à l’écart de millions de personnes.

5.2. Dynamisme économique et dynamisme socioculturel

Aujourd’hui, les possibilités de s’investir hors du champ proprement économique sont distribuées de façon tout à fait inégalitaire. Ce sont les favorisés de la vie économique et de l’emploi qui disposent également des moyens de développer leur utilité culturelle, sociale et politique. Les populations économiquement les moins favorisées ne se montrent pas du tout moins portées vers de tels investissements. Mais leurs moyens sont tellement moindres que leurs initiatives citoyennes (pour refuser la misère, promouvoir les droits de l’homme, poser des gestes d’entraide, créer la beauté autour d’eux...) sont pratiquement invisibles au regard de leurs contemporains plus privilégiés. Dans un monde qui a besoin de toutes les énergies et intelligences pour passer avec succès d’une civilisation à une autre, nous voilà en présence d’un gâchis humain difficilement acceptable et pourtant accepté.

Aurions-nous oublié que le dynamisme économique n’est pas une réalité en soi ? L’ensemble des motivations et des activités des peuples en sont nourries et y contribuent. Accepter que les moyens d’agir dans tous les domaines de l’existence soient réservés à une partie seulement de la population mondiale signifie un appauvrissement de toute l’humanité. Les plus pauvres ne cessent de rappeler ce gaspillage massif de ressources humaines.

II. Le droit d’être utile : les enseignements du père Joseph Wresinski

1. Le droit au travail : une pensée née de l’extrême pauvreté

Dès les années soixante, le père Joseph Wresinski affirmait que le droit au travail n’existait pas pour les travailleurs apparemment les moins rentables, ceux qui sont les plus atteints par les effets d’une trop longue et trop profonde pauvreté. Et il lançait cet avertissement : si ce droit n’existe pas au bas de l’échelle sociale, ne pourra-t-il pas, selon les vicissitudes de la vie économique, être retiré aussi à d’autres ?

« Faire travailler les pauvres à toutes tâches, quelles qu’elles soient, pourvu qu’ils soient utiles, a toujours été le projet des sociétés où l’homme passe après l’intérêt et l’efficacité. Cette conception de l’homme travailleur coûte que coûte a justifié, au cours des âges, tous les esclavages, les aliénations et l’exploitation de l’homme par l’homme. (...) C’est à cause de celle-ci que le pain dépend du travail et que leur sueur et leur peine ont servi à bâtir une société dont les hommes ne sont pas la finalité. C’est cette conception de l’homme travailleur, pourvu d’un emploi, qui a progressivement détruit la structure morale et spirituelle de nos sociétés modernes. (...)

Être libre par le travail fut l’idéal proposé par les sociétés libérales. En écho, les régimes totalitaires leur répondirent : "Seul le travail te sauvera." Ainsi la reconnaissance, le respect des hommes, de leur dignité, n’eurent guère de prise dans l’évolution actuelle. Travailler, oui, être utile, oui, apporter sa quote-part au progrès, non. Car, pour cela, il eût fallu être reconnu, c’est-à-dire être un travailleur ayant une identité conférée par un métier appris, une liberté assurée par une profession et une compétence reconnues ; être écouté non parce que vous travaillez, mais parce que votre travail vous donne de la valeur. (...)

Ce qui rend libre, ce n’est pas le travail, c’est la dignité qu’il confère. (...) »32

Pour le père Joseph Wresinski, le droit au travail doit permettre à toute personne de matérialiser son autonomie, sa créativité, son égalité et son utilité par rapport aux autres. Il ne pensait pas que n’importe quel emploi mal rémunéré, mal protégé, mal considéré socialement, pouvait correspondre au droit de chacun d’être un homme librement utile aux autres. Dès les années soixante, il avait dressé une liste des occupations auxquelles pouvaient prétendre alors les travailleurs au plus bas de l’échelle sociale : toutes étaient à la fois néfastes à la santé, mal rétribuées et en voie de disparition.33 Le père Joseph Wresinski nous rappelait que les travailleurs acceptaient ces situations professionnelles précaires, certes pour sortir de l’isolement, de l’ennui, de l’angoisse, mais surtout pour justifier d’une utilité vis-à-vis des leurs : « Pour être quelqu’un », comme disaient beaucoup. Il ajoutait volontiers : « Tout homme est habité d’esprit et appelé à contribuer au bien de tous. » D’après son expérience, c’est cela que nous apprenaient les travailleurs les plus pauvres et les plus exclus.

2. Concevoir la vie active de tous dans le sens d’un partage égalitaire, aussi bien de l’activité culturelle et sociale que de l’activité proprement économique

Dès le départ de son action, le père Joseph Wresinski plaidait pour une nouvelle manière de concevoir le droit de tout être humain d’être utile à la communauté environnante. C’est dans cette perspective que lui-même développa une vie associative, des actions de partage du savoir, des Universités populaires Quart Monde, des ateliers de promotion professionnelle où des personnes en grande pauvreté puissent se rencontrer avec des personnes d’autres milieux et s’exercer ensemble à la créativité économique, sociale et culturelle. Sur d’autres continents, il lança des initiatives telles que la « Cour aux cent métiers » et des programmes « Art et Poésie ».

Beaucoup de ces actions allient initiation à la vie professionnelle, découverte de la culture et promotion d’une vie associative. Leur but n’est pas de créer des services spécifiques pour les plus pauvres, qui les maintiendraient dans la périphérie de la communauté. C’est déjà la volonté de repenser l’activité humaine, le partage de la créativité entre travailleurs de différents milieux. Le père Joseph Wresinski développa par la suite sa réflexion et fut conduit à concevoir non seulement un partage du temps de travail, mais un juste partage, tout au long de la vie active de chacun, entre temps d’activité dans le champ économique et temps de créativité sociale, politique, culturelle ou même spirituelle.

« Lutter pour que chacun ait un travail de valeur et puisse avoir l’honneur d’être considéré comme un travailleur de rang est un combat essentiel. Mais justement pour réussir ce combat de fond, il faut en même temps lutter avec opiniâtreté pour que la période parfois inévitable de chômage soit ce temps sabbatique de l’avancée humaine et culturelle, temps de formation la plus vaste, y compris à la participation politique, religieuse et à la création artistique. Aussi le Mouvement international ATD Quart Monde demande-t-il aux "États généraux du chômage et de l’emploi ;

- d’exiger, pour les chômeurs de longue durée, pour tous les chômeurs et pour tous les travailleurs de niveaux de formation modestes et menacés de chômage, le droit à la culture ;

- d’exiger que des mesures significatives soient prises pour que le double droit au travail et à la culture soit ancré de manière irréversible dans les devoirs de l’État. »34

Ainsi, la situation des plus pauvres telle que le père Joseph Wresinski nous l’a révélée en termes d’exclusion des droits de l’homme, nous apprend que le défi actuel n’est pas simplement de faire face à une mutation profonde de la vie économique. Il est d’appréhender cette mutation à partir d’une situation d’inégalités graves. En conséquence, si nous voulons à la fois être justes et efficaces, ne devons-nous pas accorder une priorité aux populations déjà marginalisées et notamment à celles qui sont plongées dans la misère ?

3. Action de création sociale et politique

Pour sortir de leur état de dépendance totale à l’égard de la charité publique et privée, les très pauvres devraient trouver leur place et leur droit de parole auprès des instances où se décident les grandes politiques nationales et internationales. Dès 1957, le père Joseph Wresinski rappela ce qu’a d’insoutenable, au regard des droits de l’homme, le fait que les services publics puissent à leur gré, sans vous entendre, vous désigner n’importe quelle résidence, vous retirer vos enfants ou les affecter à des filières scolaires parallèles.

Le père Joseph Wresinski a mis en lumière un certain nombre de considérations qui semblent avoir gardé toute leur valeur pour l’action à entreprendre aujourd’hui, en tous pays et en toutes cultures. On pourrait dire qu’elles relèvent d’une nouvelle créativité sociale et politique :

- une population ne tombe pas dans un état de grande misère matérielle et sociale sans une longue résistance. Si elle en est arrivée là, c’est qu’elle a subi durablement des précarités d’existence, des marginalisations paralysantes, parfois depuis plusieurs générations. Quand les esprits, les corps et les cœurs ont été ainsi façonnés de père en fils par un dénuement et une humiliation extrêmes, une population a besoin à ses côtés de la présence d’hommes et de femmes de milieux plus favorisés qui, par un partage de vie, viennent lui rendre confiance, lui permettre de retrouver foi en elle-même, dans la société environnante et dans l’avenir ;

- une population rejetée et sans identité reconnue ne peut sortir de l’exclusion sans se réapproprier son passé. Restituer à un peuple son histoire est une condition inéluctable de sa libération ;

- cette population doit recouvrer sa liberté d’opinion et de prise de parole commune par l’usage de sa liberté d’association. L’investissement de personnes engagées auprès d’elle et la restitution de son histoire doivent y contribuer prioritairement ;

- dans tous les cas, on a tout intérêt à prendre appui sur les innombrables initiatives déjà mises en œuvre dans cette perspective par des personnes ou des petits groupes.

4. Créativité culturelle

Nous avons déjà évoqué le rôle clé de l’action proprement culturelle dans le combat pour l’insertion économique et sociale. Les écarts creusés par l’extrême pauvreté et l’exclusion ne peuvent être résorbés par les seuls programmes d’alphabétisation, d’instruction scolaire ou de formation professionnelle. Ceux-ci sont indispensables mais insuffisants. Pour persévérer sur le chemin conduisant à la participation, les populations dont l’expérience et la mémoire sont tissées d’échecs et de mises à l’écart ont besoin d’autres valeurs, d’autres horizons, d’une autre assurance en soi que ceux conférés par quelques modestes savoir-faire.

La misère, nous le constatons partout, empêche de garder vivante une culture. Pour le père Joseph Wresinski, la culture des plus pauvres est révélatrice de l’exclusion qui les marque.

« La honte subie par les plus pauvres les met en marge du droit à la culture. En effet, quand votre vie est sans continuité et vous exclut de l’appartenance à une communauté, vous ne pouvez être sujet de culture... La discontinuité établit le plus démuni en marge du droit et l’oblige à imaginer des réponses individuelles et immédiates aux questions de chaque jour. Réponses qui pallient le présent mais qui ne construisent aucun avenir. Et le Quart Monde sait bien qu’il ne peut rien bâtir de stable ni de prometteur pour les siens, tant qu’il sera tenu à l’écart des droits essentiels... Et il affirme, par la souffrance qu’il endure, combien il est vain de vouloir parler d’accès à la culture sans parler d’accès aux sécurités premières de l’existence.

Revenons un instant sur l’histoire, la spiritualité, le travail, la citoyenneté et la famille. A travers une lente élaboration et compréhension de ces cinq dimensions de l’existence, l’être humain s’est forgé une culture. Et, peu à peu, il a su ériger ces réalités en droits. Mais de ces droits pourtant fondamentaux, les familles du Quart Monde sont exclues. Car il n’est d’accès aux droits que face à des communautés qui vous reconnaissent en identifiant l’apport que vous leur fournissez. Hors de cette reconnaissance, toutes les mesures sont des mesures d’assistance qui ne permettent pas d’être des hommes de culture à part entière. »35

Le père Joseph Wresinski insiste sur le sens que doit avoir toute action culturelle : « Toute action culturelle en milieu très pauvre doit unifier les familles au sein des cités et quartiers. Elle doit renforcer ce refus de la misère. (...) Car toute action culturelle doit donner à la population les moyens de ses convictions et les possibilités de les rendre crédibles à l’extérieur. »36 L’action culturelle ainsi définie est nécessaire pour une vie associative libératrice, capable d’engendrer un partenariat d’égal à égal. Les moyens d’une telle action peuvent être très divers. Le Mouvement international ATD Quart Monde en a initié un certain nombre. L’essentiel n’est pas dans la forme mais dans le principe de base selon lequel toute promotion culturelle repose sur la réciprocité, sur une double démarche d’apprentissage et de créativité propre. Les populations concernées disposent d’un savoir original, peut-être peu organisé mais très réel, sur ce que signifient la grande pauvreté et l’exclusion, et sur les conditions à remplir pour y mettre fin.

Il importe de faire surgir ce que le père Joseph Wresinski appelait « une culture du refus de la misère ». Celle-ci demeure, ou tout au moins renaît de jour en jour, même dans les situations les plus désespérées.

« Le pauvre développe sa conscience non pas tant dans le contraste avec le riche que dans le refus de la condition d’exclusion qui est la sienne. Ce refus est la marque de sa volonté de comprendre ce qu’il vit et le monde qui l’environne. (...)

Vouloir comprendre les pauvres exige que nous acceptions d’être, au moins pour un temps, livrés à leur mode de pensée, afin d’en être transformés. Et ce n’est pas facile, tant il est vrai que les hommes ont pris l’habitude de se mouvoir parmi des repères sécurisants qu’ils ne sont pas prêts à perdre ou à quitter, tant ils se sont battus pour les obtenir. La culture n’est-elle pas toujours déjà la mémoire de ce combat ? Aussi devrions-nous être très lucides sur ce que nous affirmons être le choix de vie des plus pauvres. Laisser entendre qu’ils veulent rester dans la condition où ils vivent, n’est-ce pas leur refuser de participer à cette mémoire, sous prétexte que nous ne savons plus retrouver en celle-ci nos propres intuitions de départ ? En bâtissant le monde d’aujourd’hui, les hommes ne voulaient pas de l’exclusion. Que celle-ci existe ne signifie pas que ce que vivent les plus pauvres soit la vérité. Par le refus de leur condition, ils ne nous demandent pas de renier ce que nous avons construit, mais seulement de rechercher avec eux comment ils pourraient maîtriser le monde et en être des partenaires à l’égal de tous. »37

Au regard du père Joseph Wresinski, il faut avoir conscience des gestes que posent les très pauvres pour refuser la misère. Ils révèlent à la fois une valeur culturelle essentielle et les manières utilisées pour la mettre en pratique. Cela constitue un enseignement indispensable à toute politique, à tout programme d’action que l’on voudrait mettre en œuvre dans un esprit de partenariat. C’est dans un tel développement culturel que la vie associative des plus pauvres a puisé un dynamisme qui n’a cessé de croître depuis les années cinquante. Des expériences ont été vécues en partenariat entre populations pauvres et populations plus favorisées. A cause de cela, des personnes de milieux non pauvres ont réorganisé leur vie active autrement. C’est déjà le signe de ce qui peut être entrepris selon une nouvelle conception de l’activité humaine.

III. Repenser l’activité humaine sur la base d’une expérimentation

1. Repenser l’ensemble des efforts de l’homme pour créer des richesses

De nombreuses propositions touchant aux thèmes du Sommet de Copenhague cherchent, nous le disions, la solution des entraves à la vie sociale dans des réorganisations de la vie économique. L’expérience mise en route par le père Joseph Wresinski avec des populations très pauvres invite à une démarche complémentaire : la recherche de solutions par des réorganisations dans la vie sociale et culturelle.

Cette approche est suggérée par les plus pauvres eux-mêmes. Ainsi au Bangladesh, une femme confie : « Pensez-vous que ce soit une vie de voir mes enfants mendier ? Je commencerais bien un petit commerce au marché. Je serais indépendante. Mais pour obtenir un prêt, il faut que les gens du quartier disent du bien de moi. Eux, ils ne m’adressent même pas la parole. » On peut rapprocher ces paroles de celles d’un homme qui exprime les difficultés qu’il rencontre dans une agence pour l’emploi en France : « Si j’étais quelqu’un, si je savais parler, on ne songerait pas à m’y traiter comme on le fait. »

Ainsi, dans des contextes très différents, on se rend compte que pour participer à la vie économique, il faut « savoir parler », il faut « que les gens du quartier disent du bien de vous. « En fait, il faudrait déjà avoir un travail honorable. C’est là, nous le voyons, que nous sommes prisonniers d’un cercle vicieux. Une voie pour le briser nous est indiquée par le témoignage d’une femme de Manille. Celle-ci apprécie que ses enfants participent à une activité proprement culturelle de lecture et d’art pictural, non pas parce qu’elle les occupe et les détourne de la délinquance, mais « pour qu’ils apprennent, qu’ils développent leur cœur et leur esprit... Ainsi ils seront bien dans la vie et trouveront du travail. »

La créativité culturelle et sociale représente une force en soi. Le père Joseph Wresinski le rappelait en ces termes peu de temps avant sa disparition :

« ... il faut un autre consensus de la Nation pour ce qui concerne la valorisation réelle du temps où les travailleurs n’auront pas d’emploi. Des fonctionnaires, des employés, des cadres, des instituteurs, des travailleurs indépendants, parlent de plus en plus de la nécessité, dans la vie professionnelle moderne, d’années sabbatiques, de temps de recyclage libre, de mise en congé volontaire... Ils revendiquent et obtiennent, avec raison, ce temps destiné non pas à une formation plus poussée dans leur champ professionnel strict mais à un élargissement significatif de leur formation culturelle plus générale.

Ceux qui sont ainsi dans la course pour la participation la plus large à la vie économique de demain ne se trompent pas sur l’exigence de base que représente un solide enrichissement culturel. Malheureusement, ce moyen manque totalement aux chômeurs de longue durée, alors qu’il leur est plus nécessaire encore, parce qu’ils ont souvent bénéficié de moins d’acquis culturels et en ont même perdus. La culture au sens large est ce dont, d’une façon générale, le monde ouvrier a toujours été privé. Il a dû se bâtir et sortir de la pauvreté à la force de ses poignets et grâce à son organisation. Les travailleurs en grande pauvreté n’ont pas cette possibilité-là. La culture est désormais pour eux un besoin et un droit absolu. »38

Alors la question posée aujourd’hui n’est-elle pas celle-ci : comment jalonner de manière équitable la vie de tous par des temps de formation, de création et d’utilité dans tous les domaines où l’humanité doit pouvoir avancer ?

Les privilégiés du savoir et de la culture, qui sont aussi les privilégiés de la vie sociale, représentent une relative minorité dans le monde. Comment partager leurs acquis avec tous ceux qui sont sous-privilégiés ? Aujourd’hui, seuls les revenus monétaires sont soumis à imposition. Le temps n’est-il pas venu d’imaginer d’autres formes d’impôt ? Comment amener les privilégiés de la culture à aller à la rencontre des très pauvres qui, nous l’avons dit, sont en marge de tout droit à la culture ? Comment permettre à ceux qui sont occupés à la fois dans le champ des activités économiques et dans celui des activités socioculturelles de libérer de leur temps dans l’un ou l’autre de ces champs pour y associer ceux qui en sont exclus ? Nous savons que cela est possible puisque cela a été expérimenté, nous l’avons évoqué, dans les actions culturelles promues par le Mouvement international ATD Quart Monde et par d’autres ONG.

2. Une recherche-action qui restitue aux plus pauvres les moyens d’exercer leurs responsabilités et leurs droits

Il est trop tôt pour spéculer sur les modèles de société auxquels pourrait nous conduire une autre manière de valoriser et de répartir l’ensemble de l’activité humaine. Nous avons besoin d’approfondir encore notre pensée, en nous exerçant, dans des projets concrets, à des relations de partenariat. Il ne peut plus être question de mandater des experts à faire encore des études sur les très pauvres. Depuis le rapport Wresinski Grande pauvreté et précarité économique et sociale, nous avons compris que ces études réalisées par des professionnels ne peuvent, dans un premier temps, qu’illustrer l’état de dépendance des populations en question et l’absence de leur droit à la parole. Le temps n’est-il pas venu d’une vaste recherche-action engagée par la communauté internationale ?

L’avancée d’une civilisation, nous en sommes tous d’accord, dépend de ce type de démarche consistant à « agir pour comprendre. » « La jeunesse nous suivra dans des projets dictés par la vie » disait le père Joseph Wresinski. La politologue Anne Muxel lui fait écho quand elle dit que les jeunes générations attendent aujourd’hui une politique « qui s’attaquerait aux "vrais" problèmes, ceux de la vie quotidienne tout autant que ceux qui concernent la société à l’échelon planétaire »39.

La recherche-action, à condition de remplir un certain nombre d’exigences, a l’avantage de répondre à cette nécessité de ne pas retarder par nos études la restitution de leurs responsabilités et de leurs droits fondamentaux à ceux qui en ont été trop longtemps privés.

3. Les exigences d’une recherche-action qui change quelque chose dans la vie des populations exclues

La première exigence est sans doute celle de la réciprocité des savoirs. Quel que soit l’objet particulier d’un programme d’action, celui-ci doit permettre à tous les partenaires d’apporter leur savoir propre et de contribuer à partir de là à une pensée commune.

Un tel partenariat ne peut naître que d’un cheminement dans la durée, d’une vie quotidienne partagée durant une période suffisamment longue pour que les partenaires se fassent confiance et développent une appréciation commune des situations. C’est là la seconde exigence.

4. Le choix des activités

Le rapport Wresinski a démontré avec netteté qu’un combat contre la pauvreté et l’exclusion qui soit un combat pour les droits de l’homme demande une politique globale, cohérente et prospective. Cela ne veut pas dire que nous devons attendre pour agir d’avoir les moyens d’aborder tous les domaines de l’existence en même temps. La recherche-expérimentation sera nécessairement limitée. Ce n’est pas un inconvénient si les partenaires sont conscients d’ouvrir un chemin parmi d’autres. L’important est de ne jamais croire avoir trouvé la clé, alors qu’on détient seulement une des clés de la solution. L’important est de se rendre compte qu’on ne mène pas une action simplement pour réussir un programme en soi mais pour s’attaquer à la misère, à travers ce programme particulier.

Le choix des activités immédiates peut alors être très libre et varié. Il doit tenir compte du contexte, épouser la situation d’une population, ses priorités, les moyens qui lui sont familiers et les grandes lignes de la politique du pays où l’action va se développer.

5. Quelques considérations économiques

Certes, un fort courant d’opinion se manifeste aujourd’hui contre une économie laissée en liberté, qui divise l’humanité en travailleurs diversement efficaces, certains étant même considérés comme inutiles. Mais, comme nous le disions déjà, la pensée économique dominante a du mal à se défaire de l’idée que la solution au chômage est dans la seule création d’emplois « marchands », par une croissance économique dont la logique demeurerait inchangée.

Les conclusions des réunions annuelles à Davos du Forum économique mondial40 sont particulièrement parlantes. La cause majeure de la régression de l’activité économique résiderait dans « les rigidités de l’emploi » et dans les « excès du passé de la société de bien-être. » Pas étonnant qu’on y prévoit que l’adaptation structurelle sera difficile en raison de son coût social élevé. Le discours de la BIRD41 est infiniment plus nuancé. Plus encore que d’autres organes, la Banque mondiale est tiraillée entre le pouvoir d’un système économique et la misère qu’elle est appelée à mesurer, à défaut de pouvoir encore vraiment la combattre.

Sans doute la vraie question est-elle de savoir si la pensée et les discours des organes des Nations unies pourront effectivement prévaloir à terme, si des portes pourront s’ouvrir à une recherche-action sur l’ensemble de l’activité humaine.

Conclusion

Pour le père Joseph Wresinski, repenser l’activité humaine commençait avec l’effort mis en œuvre pour expérimenter le droit de toute personne de participer pleinement à la création des richesses économiques, sociales, intellectuelles, culturelles et spirituelles des peuples. Les pauvres ne devaient plus avoir à attendre que nous découvrions, de décennie en décennie, toujours de nouvelles clés à leur délivrance. Ils devaient recevoir les « pouvoirs » de prendre part, ici et maintenant, à la recherche de ces clés. Tout l’objet de ce document est là. Réaliser une telle ambition relève de l’idéal. Ni le système des Nations unies ni aucun des États membres ne sont bâtis pour supporter, du jour au lendemain, pareil renversement. Il s’agit dans l’immédiat d’en ouvrir les chemins. Pour ce faire, l’ONU peut beaucoup.

Ce sont en effet, à tous les échelons, les fonctionnaires du Secrétariat et des diverses agences des Nations unies à travers le monde qui pourraient donner une impulsion déterminante au projet de recherche-action que nous avons esquissé. Ils jalonneraient leur vie professionnelle de temps sabbatiques pendant lesquels ils mettraient leur personne et leurs capacités au service de programmes qui s’attacheraient à offrir aux plus pauvres à la fois un métier d’avenir et les moyens de s’exercer à la vie associative.

L’expérience de ces temps sabbatiques ne peut se développer que sur un terrain préparé. Celui qu’offrent beaucoup d’ONG, partenaires autonomes qui ont su et savent se tenir près des plus pauvres, est particulièrement propice. Aussi est-ce ensemble que les fonctionnaires des Nations unies et les ONG pourraient, à l’occasion de ces périodes sabbatiques, commencer à établir un partenariat avec les plus pauvres qui permettrait à ceux-ci de participer également à la vie économique, sociale et culturelle.

De telles initiatives lancées par les agents des Nations unies pourraient ensuite se développer à travers les organisations régionales, la fonction publique des États membres et de leurs diverses collectivités territoriales. Elles pourraient progressivement s’étendre au secteur des entreprises privées. Les expériences antérieures, riches de leçons, pourraient être répertoriées en vue d’une action généralisée.

L’expérience de l’ONU a largement démontré que, là où se rassemblent des intelligences et des bonnes volontés, naissent des projets et se trouvent des finances. Avec leur marge de liberté pour concevoir, proposer et exécuter leurs programmes, les agences spécialisées de l’ONU ont les possibilités d’innovation et d’action que l’on sait.

L’Unicef est sans conteste l’organe de l’ONU demeurée le plus proche des très pauvres. Autant qu’avec l’OMS, l’Unicef pourrait s’allier à l’Unesco, première institution spécialisée de l’ONU à avoir vu dès 1961 que la grande pauvreté demeurait un problème mondial : ses connaissances en ce domaine se sont depuis considérablement enrichies.

Le savoir du BIT permettrait d’éclairer les conditions à réunir pour que tous puissent obtenir des chances égales de contribuer au développement.

Le Centre des droits de l’homme à Genève, administration sur laquelle s’appuie la Commission des droits de l’homme, dispose de moyens réduits. C’est pourtant à son directeur et à ses collaborateurs qu’est due une remarquable avancée dans la compréhension de la relation entre pauvreté et droits de l’homme.

C’est bien sûr au Secrétaire général qu’il faut confier la responsabilité globale des actions ici proposées. Il peut beaucoup, en mettant dans la balance son autorité et son prestige personnel, pour faire changer des mentalités. Il l’a déjà fait. Il peut le faire toujours plus, en s’appuyant sur l’ensemble de ses services, sur ceux de l’information en particulier, sur les bureaux de l’ONU dans le monde entier.

C’est au Secrétaire général que le Mouvement international ATD Quart Monde doit d’avoir pu conduire jusqu’à son aboutissement la reconnaissance internationale du « 17 octobre » comme Journée mondiale du refus de la misère. Journée non pas de discours, mais de rencontres entre pauvres et plus favorisés, entre ceux qui exercent leurs droits de citoyens et ceux qui en sont exclus.

Un langage est à créer, une interrogation permanente à faire entrer dans les mœurs : nous, les peuples des Nations unies, qu’avons-nous fait des plus vulnérables de nos frères ? Que deviennent dans nos politiques et nos programmes, dans nos mutations, ceux qui ne participent déjà plus au devenir du monde ?

Mobiliser les peuples, mobiliser les petits et les humbles, cela a toujours fait peur à certains. A tort ou à raison ? Ceux d’entre nous qui ont l’honneur de fréquenter les habitants des zones de misère savent que, plus que tous les autres hommes, ils ont soif de paix. A cause de leur désespérance, ils peuvent à l’occasion être mobilisés pour le pire. Leurs aspirations profondes les conduisent peut-être plus que d’autres à vouloir le meilleur.

Quant au père Joseph Wresinski, homme de la misère, il a su mobiliser les siens dans tous les continents. Mais il ne les a pas mis en route, seuls. Trente ans durant, il a entraîné aussi, toujours plus nombreux, des hommes et des femmes aux compétences éprouvées, de toutes cultures et de tous milieux. Pour leur faire appréhender la misère universelle, et leur apprendre à découvrir le monde par le bas. Il leur a fait assumer leur diversité, parce que, pour lui, l’unité des êtres humains ne pouvait exclure aucune des valeurs dont chacun est porteur.

En procédant ainsi, le père Wresinski n’a pas propagé une idée, il a créé une histoire. Il a expérimenté sa vision, il l’a fondée dans la vie. A sa suite, des personnes de toutes conditions, pauvres et non pauvres, ont préfiguré une nouvelle façon de vivre ensemble le temps de la vie sociale, culturelle et économique.

Si les agences du système de l’ONU, sous l’impulsion de son Secrétaire général, pouvaient à leur tour se porter garantes de cette histoire, n’est-ce pas l’idée même de l’unité des Nations qui se trouverait enracinée un peu plus dans les réalités du monde ?

1 Rapport du Secrétaire général de l'ONU au Comité préparatoire du Sommet mondial pour le développement social, New York, janvier 1994.

2 idem.

3 Conseil économique et social (France), Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Rapporteur M. Joseph Wresinski. (Avis et rapports du

4 Cf. le livre vert de la Commission européenne, L'avenir de la politique sociale européenne, Bruxelles, 1993. (Com(93)551). Cf. aussi la réponse de

5 Message du Secrétaire général de l'ONU , Colloque sur le Somment mondial pour le développement social, Centre d'information des Nations unies à

6 2 Unicef, Eau et assainissement : atteindre les objectifs mondiaux. New York, mars 1994.

7 Assemblée générale des Nations unies, résolution 47/196 (22 décembre 1992).

8 Atteindre les plus pauvres, étude réalisée par le Mouvement international ATD Quart Monde, pour le compte de l'Unicef.

9 Commission des droits de l'homme de l'ONU. Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, présenté par le Rapporteur spécial M.

10 Commission des droits de l'homme de l'ONU. Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, présenté par le Rapporteur spécial M.

11 Banque mondiale. Rapport annuel 1993 (Washington D.C., août 1993), C'est par rapport à la lutte contre la pauvreté que devrait être jugée l'action

12 Cf. The European, du 10.10.1994.

13 Cf. article de Katherine Marshall, directeur du Département Afrique sahélienne à la Banque mondiale, dans le journal Le Monde du 12.04.1994 (

14 James Scott, Weapons of the weak : Everyday forms of peasant resistance. (Yale University Press, 1985)

15 Les Universités populaires Quart Monde ont été créées par le père Joseph Wresinski dans les pays occidentaux, dans le cadre de son action pour le

16 OCDE, Forum sur l'Avenir. Janvier 1994, introduction page 4.

17 Cf. Joseph Wresinski, Les plus pauvres, révélateurs de l'indivisibilité des droits de l'homme in 1989 : les droits de l'homme en question. (

18 Mouvement international ATD Quart Monde, Les familles du Quart Monde, acteurs de développement. (I.R.F.R.H., Pierrelaye, 1993). Rapport réalisé

19 Par exemple Philippe Van Parijs et le Basic Income European Network. Cf. Philippe Van Parijs, Arguing for basic income. Ethical Foundations for a

20 Guy Roustang, La pleine activité ne remplacera pas le plein emploi. Esprit, décembre 1995, pages 55 à 64.

21 Le « Forum permanent : Extrême pauvreté dans le monde », fondé par le père Joseph Wresinski, est un réseau de personnes et de petites associations

22 Père Joseph Wresinski, Conférence à Bonnecombe, 1985. Archives de la maison Joseph Wresinski, Baillet-en-France.

23 Voir, entre autres, Père Joseph Wresinski, Écrits et Paroles, Tome 1 (Luxembourg/Paris, Éditions Saint Paul/Éditions Quart Monde, 1992).

24 Allocution du père Joseph Wresinski à un groupe de parents très pauvres aux Pays-Bas, en 1976

25 Père Joseph Wresinski, Revue Igloos n°105-106, L'enfant du Quart Monde en quête de savoir (Pierrelaye, Éditions Science et service, 1979).

26 Atteindre les plus pauvres, op.cit.

27 Patrice Sauvage, De l'exclusion à l'emploi, une politique possible, in On voudrait connaître le secret du travail. Éditions de l'Atelier/Quart

28 B. Delplanque, Pour un tiers temps de travail neuf, in Revue Etudes, décembre 1993.

29 Jean-Yves Calvez, La transformation du travail, in Revue Etudes, décembre 1993

30 R. Racine et al., L'Europe au-delà du chômage, Centre européen de la culture, Genève (Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes, 1992).

31 Patrice Sauvage, op. cit

32 Extraits de l'éditorial de la Revue Igloos n°99-100, Comment identifier un peuple sans connaître son histoire ? (Pierrelaye, Éditions Science et

33 A.A. de Vos van Steenwijk, La provocation sous-prolétarienne (Pierrelaye, Éditions Science et service, 1972)

34 Extraits du message que le père Joseph Wresinski avait préparé pour les « États Généraux du chômage et de l'emploi », tenus à Paris (France) en

35 Intervention du père Joseph Wresinski au colloque « Culture et pauvreté » tenu à la Tourette, à Eveux sur l'Arbresle (France), décembre 1985.

36 « Culture et pauvreté », op. cit

37 « Culture et pauvreté », op. cit.

38 Père Joseph Wresinski, communication aux « États Généraux du chômage et de l'emploi », op. cit.

39 Anne Muxel, Jeunesse des années 90 : à la recherche d'une politique « sans étiquette ». CEVIPOF/CNRS, pré-actes du colloque d'avril 1993, tome 1

40 Forum économique mondial. Rapport et principales conclusions de la réunion annuelle à Davos (Suisse), février 1994.

41 The World Bank group. Learning from the past, Embracing the future, publié en juillet 1994

1 Rapport du Secrétaire général de l'ONU au Comité préparatoire du Sommet mondial pour le développement social, New York, janvier 1994.

2 idem.

3 Conseil économique et social (France), Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Rapporteur M. Joseph Wresinski. (Avis et rapports du Conseil économique et social. J.O. de la République française, année 1987, n°6)

4 Cf. le livre vert de la Commission européenne, L'avenir de la politique sociale européenne, Bruxelles, 1993. (Com(93)551). Cf. aussi la réponse de la Confédération européenne des syndicats - résolution du Comité exécutif - Bruxelles, 10-11 mars 1994

5 Message du Secrétaire général de l'ONU , Colloque sur le Somment mondial pour le développement social, Centre d'information des Nations unies à Paris, Communiqué de presse n°29/94 du 14 décembre 1994.

6 2 Unicef, Eau et assainissement : atteindre les objectifs mondiaux. New York, mars 1994.

7 Assemblée générale des Nations unies, résolution 47/196 (22 décembre 1992).

8 Atteindre les plus pauvres, étude réalisée par le Mouvement international ATD Quart Monde, pour le compte de l'Unicef.

9 Commission des droits de l'homme de l'ONU. Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, présenté par le Rapporteur spécial M. Leandro Despouy. 28/06/96. (E/CN.4/Sub.2/1996/13.)

10 Commission des droits de l'homme de l'ONU. Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, présenté par le Rapporteur spécial M. Leandro Despouy. 28/06/96. (E/CN.4/Sub.2/1996/13.)

11 Banque mondiale. Rapport annuel 1993 (Washington D.C., août 1993), C'est par rapport à la lutte contre la pauvreté que devrait être jugée l'action de la Banque.

12 Cf. The European, du 10.10.1994.

13 Cf. article de Katherine Marshall, directeur du Département Afrique sahélienne à la Banque mondiale, dans le journal Le Monde du 12.04.1994 (supplément « L'économie »).

14 James Scott, Weapons of the weak : Everyday forms of peasant resistance. (Yale University Press, 1985)

15 Les Universités populaires Quart Monde ont été créées par le père Joseph Wresinski dans les pays occidentaux, dans le cadre de son action pour le droit au savoir, à la vie associative, et à la participation aux affaires de la société. Elles rassemblent des hommes et des femmes de tous milieux qui mettent en oeuvre la priorité aux plus pauvres.

16 OCDE, Forum sur l'Avenir. Janvier 1994, introduction page 4.

17 Cf. Joseph Wresinski, Les plus pauvres, révélateurs de l'indivisibilité des droits de l'homme in 1989 : les droits de l'homme en question. (Commission nationale consultative des droits de l'homme. La documentation française. 1990) ; cf. également son intervention à la 43ème session de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, La grande pauvreté, défi posé aux droits de l'homme en notre temps (E/CN/.4/1987/NGO/2).

18 Mouvement international ATD Quart Monde, Les familles du Quart Monde, acteurs de développement. (I.R.F.R.H., Pierrelaye, 1993). Rapport réalisé avec le soutien du Secrétariat de l'ONU pour l'Année internationale de la famille. Publié en 1994 sous forme de livre aux Éditions Quart Monde sous le titre Est-ce ainsi que des familles vivent ?

19 Par exemple Philippe Van Parijs et le Basic Income European Network. Cf. Philippe Van Parijs, Arguing for basic income. Ethical Foundations for a Radical Reform. London, Verso, 1992.

20 Guy Roustang, La pleine activité ne remplacera pas le plein emploi. Esprit, décembre 1995, pages 55 à 64.

21 Le « Forum permanent : Extrême pauvreté dans le monde », fondé par le père Joseph Wresinski, est un réseau de personnes et de petites associations engagées auprès de populations très démunies. Il compte des membres dans plus de cent pays.

22 Père Joseph Wresinski, Conférence à Bonnecombe, 1985. Archives de la maison Joseph Wresinski, Baillet-en-France.

23 Voir, entre autres, Père Joseph Wresinski, Écrits et Paroles, Tome 1 (Luxembourg/Paris, Éditions Saint Paul/Éditions Quart Monde, 1992).

24 Allocution du père Joseph Wresinski à un groupe de parents très pauvres aux Pays-Bas, en 1976

25 Père Joseph Wresinski, Revue Igloos n°105-106, L'enfant du Quart Monde en quête de savoir (Pierrelaye, Éditions Science et service, 1979).

26 Atteindre les plus pauvres, op.cit.

27 Patrice Sauvage, De l'exclusion à l'emploi, une politique possible, in On voudrait connaître le secret du travail. Éditions de l'Atelier/Quart Monde, 1995, pages 181 à 204.

28 B. Delplanque, Pour un tiers temps de travail neuf, in Revue Etudes, décembre 1993.

29 Jean-Yves Calvez, La transformation du travail, in Revue Etudes, décembre 1993

30 R. Racine et al., L'Europe au-delà du chômage, Centre européen de la culture, Genève (Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes, 1992).

31 Patrice Sauvage, op. cit

32 Extraits de l'éditorial de la Revue Igloos n°99-100, Comment identifier un peuple sans connaître son histoire ? (Pierrelaye, Éditions Science et service, 1978)

33 A.A. de Vos van Steenwijk, La provocation sous-prolétarienne (Pierrelaye, Éditions Science et service, 1972)

34 Extraits du message que le père Joseph Wresinski avait préparé pour les « États Généraux du chômage et de l'emploi », tenus à Paris (France) en mars 1988

35 Intervention du père Joseph Wresinski au colloque « Culture et pauvreté » tenu à la Tourette, à Eveux sur l'Arbresle (France), décembre 1985. Extraits des Actes du Colloque

36 « Culture et pauvreté », op. cit

37 « Culture et pauvreté », op. cit.

38 Père Joseph Wresinski, communication aux « États Généraux du chômage et de l'emploi », op. cit.

39 Anne Muxel, Jeunesse des années 90 : à la recherche d'une politique « sans étiquette ». CEVIPOF/CNRS, pré-actes du colloque d'avril 1993, tome 1, page 67.

40 Forum économique mondial. Rapport et principales conclusions de la réunion annuelle à Davos (Suisse), février 1994.

41 The World Bank group. Learning from the past, Embracing the future, publié en juillet 1994

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