« L’apartheid est la misère de notre temps », disait Nelson Mandela. Et « la misère est le fléau le plus grave que se créent les hommes de tous temps » avait affirmé avant lui le père Joseph Wresinski. D’un bout à l’autre du globe un même appel de deux hommes qui ne se sont jamais vus face à face mais qui se rencontrent dans un même langage né de leur expérience de vie d’avoir partagé la condition de la mise à l’écart comme un rebut de l’humanité.
Car la mise à l’écart de l’autre, qui commence par lui nier une humanité égale à la sienne propre, n’aboutit-elle pas tôt ou tard à la négation de tous ses droits d’homme et à la spoliation de tous ses moyens d’assumer ses responsabilités envers les siens et le monde qui l’entoure, faisant de lui comme un non-existant, un « mort-vivant », comme disait le père Joseph Wresinski ?
N’est-ce pas pour cela que nous devons tellement nous méfier de toute forme de mise à part d’autrui quel qu’en soit le prétexte : social, ethnique, religieux ou politique ? Elle ne commence pas entre les pays et les peuples, mais en chacun de nous, nous rappelait le père Joseph Wresinski. Aussi la combattre n’est pas seulement ni même d’abord une affaire de lois mais un projet de civilisation : renforcer en chacun, vivre dans nos communautés la conviction non pas tant que l’apartheid est néfaste - car qui y croit vraiment au plus profond de son humanité - mais qu’il n’est pas fatal.
Qu’il est fatal, justement, nous pourrions le croire en voyant ce qui se passe en Afrique du Sud, malgré une législation qui devait le bannir. Nous pourrions le croire en voyant ce qui se passe dans le monde, alors que les États ont signé une Déclaration universelle des conventions sur les droits de l’homme ; alors qu’ils ont créé une Commission des droits de l’homme à l’ONU, érigé une Cour européenne à Strasbourg pour garantir leur application. Qui oserait dire que nos États n’ont pas énoncé les principes et créé des instruments pour veiller à ce qu’ils soient respectés ? Alors, s’ils continuent d’être foulés du pied, n’est-ce pas que « personne n’y peut rien » ?
Personne n’y peut-il rien ou n’y croyons-nous pas assez ? N’est-ce pas que nous baissions trop vite les bras, ne croyant plus que les hommes peuvent tout à condition de se mettre ensemble, ce que refusait cet homme venu de la misère que fut le père Joseph Wresinski ? Qu’il refusait, fort de cette expérience à laquelle si peu avaient voulu croire et qu’il réalisa quand même : de faire sortir son peuple de cet apartheid extrême qu’est la misère pour le replacer au cœur de l’histoire de l’humanité.
Temps du scepticisme envers la politique, temps de la méfiance dans l’homme qui nous fait chercher le salut dans une pensée économique unique, il faudrait si peu pour secouer nos fatalismes, il suffirait d’un regard : non pas sur ce qui n’a pas été encore accompli mais sur ce qui a été réussi apparemment envers et contre tout.
« L’heure de l’homme est revenue » nous avertissait le fondateur du Mouvement international ATD Quart Monde. L’heure de l’homme, non seulement de quelques grands hommes, mais l’heure des citoyens. Pour peu qu’ils trouvent parmi eux les Nelson Mandela, les Gandhi, les père Joseph Wresinski autour de qui avoir envie de s’unir parce qu’ils ne cherchent pas à les mobiliser pour leurs propres idées, mais à se mettre à leur service pour réaliser ce à quoi toute l’humanité aspire profondément.