Oxygène pour la démocratie

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Oxygène pour la démocratie », Revue Quart Monde [En ligne], 154 | 1995/2, mis en ligne le 05 décembre 1995, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2911

Dans l'article qui ouvre ce dossier, Madame Stennegry révèle son espoir non seulement d'être comprise mais aussi de pouvoir agir avec d'autres. La démocratie a besoin d'elle. L'oxygène de la démocratie, s'il passe par la confrontation des idées, est la représentation des personnes. Non pas d'abord parce qu'elles ont des idées, mais parce qu'elles espèrent exister aux yeux des autres et agir avec eux.

Etre dans la grande pauvreté signifie être profondément privé de collaborations avec d'autres, condition pourtant essentielle à l'exercice de sa dignité. Lorsque son interlocuteur a interrompu la conversation après avoir su où elle habitait, Madame Stenngry s'est vu dénier la possibilité de cette collaboration. Elle porte pourtant en permanence la volonté de « faire des choses ensemble »

Nous voici, me semble t-il, au cœur des enjeux de la représentation. La citoyenneté implique qu'une communauté humaine désire la vivre et se donne les moyens de la garantir. L'idée même de démocratie suppose que la formation des opinions et des représentations se fasse de manière pluraliste, voire contradictoire. Elle exige un débat permettant l'expression du ou des points de vue des personnes subissant une image réductrice.

La notion de représentation soulève donc conjointement la question de la prise de parole par des sujets, individuellement et collectivement, et celle des lieux dans lesquels cette parole peut se faire entendre et être comprise.

Le dossier envisage la question de la « prise de parole » sous plusieurs aspects.

Noëlle Stennegry la pose au niveau individuel, dans le cadre de la vie quotidienne, puis dans celui d'une vie associative dont le but explicite est d'élaborer une expression à la fois individuelle et collective. Monique Couillard décrit la création d'un espace de parole pour des personnes et des familles connaissant de grandes difficultés de subsistance, espace dans lequel elles échangent peu à peu avec des représentants du monde associatif et des administrations locales. Claude Mormont et Françoise Fierens exposent un débat de ce type entre associations et pouvoirs publics, mais à l'échelle de la Belgique, cette fois.

Comment cette parole, enfin exprimée, est-elle recueillie, puis diffusée par les médias ? Caroline Glorion, journaliste de télévision, montre les mécanismes du passage d'une parole à l'échelle du grand public. Une médiation peu banale est racontée par Jean Louis Claeys : les enfants peuvent être représentants auprès d'adultes, leur renvoyant les espoirs transmis et les valeurs reçues, notamment celle de la paix à laquelle ils sont particulièrement réceptifs. Mais, représentant aussi leurs copains qui souffrent de manière inacceptable, ils offrent leur regard décapant sur des réalités qui viennent à la connaissance de tous.

Cet article sur les enfants devrait peut-être ouvrir à une comparaison plus rigoureuse des positions de représentation : porte parole ; délégué élu, désigné ou reconnu pour tel mandat ; représentant pour tel acte individuel ou collectif ; médiateur créant les conditions d'une rencontre ; expert dans un domaine donné ; artiste ou créateur qui contribue à modifier une image sans pouvoir se prévaloir d'une délégation quelconque de ceux qu'ils donnent en représentation. Peut-on représenter sans se référer à des lieux où exercer cette représentation ?

La question est abordée dans un autre versant du dossier : un article du professeur René Rémond montre, pour la France, la tension entre le fondement égalitaire de la citoyenneté consacré par le droit de vote et la nécessité de représenter des conditions sociales, de fait... inégales, si l'on prend en considération les moyens de se faire entendre. Quatre membres du Conseil économique et social de la Région Rhône-Alpes font écho à cette réflexion à partir de la représentation des populations très défavorisées dans leur propre institution. L'article de Guy Coq remet en perspective les composantes à la fois locales et globales de la citoyenneté. Il interroge le bien-fondé du concept d'exclusion et, comme l'article que je signe, montre en quoi la représentation des plus pauvres touche au fondement même de la démocratie.

Louis Join-Lambert

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