Pauvreté : où en est l’écologie ?

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Pauvreté : où en est l’écologie ? », Revue Quart Monde [En ligne], 146 | 1993/1, mis en ligne le 01 octobre 1993, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3261

L’explosion des villes et des techniques a affaibli les cultures imprégnées des rythmes de la nature et de ses lois. L’écologie prend leur place pour avertir que des catastrophes irréversibles sont possibles dans la mince sphère où la vie s'est nichée autour de la terre.

Scientifiques, politiques, militants associatifs, voire spiritualistes, les écologistes soulèvent des questions sur les conditions du vivant et s’engagent pour les défendre. Ils sont donc souvent voisins de ceux qui veulent découvrir avec les plus pauvres les conditions de l’humain et, avec eux, promouvoir ces conditions.

Le dossier qui suit, trop bref et qui demande à être poursuivi, met ce voisinage en lumière. Oui, les plus pauvres sont concernés par l’écologie. Pour le meilleur et pour le pire. Oui, l’écologie est concernée par la pauvreté et devrait l’être, en priorité, par la plus grande.

Marqués par le rendez-vous de la Conférence des Nations Unies pour l’environnement à Rio en juin 1992, les auteurs des articles suivants introduisent aux débats sur l’avenir du développement, de la nature et de la pauvreté : Serge Antoine au débat entre gouvernements, Michel Faucon à celui entre organisations non-gouvernementales de solidarité avec les pays pauvres, puis Jacques Véron au débat sur la population et Guy Béney sur l’écologie globale parmi les scientifiques.

Dans cet ensemble, que pensent les plus pauvres ? Puisse ce dossier ouvrir la question en s’appuyant sur quatre contributions. Régis de Muylder fait comprendre des familles qui vivent sur une décharge d’une grande ville. Des extraits d’un très beau poème du père Joseph Wresinski ont été repris comme témoignage que la misère noire peut altérer profondément jusqu’à la perception de l’environnement. Le dossier s’ouvre par quelques réflexions d’Eugen Brand, ci-dessous, et je m’efforce de le conclure provisoirement en soulignant quelques questions centrales.

Avec les plus pauvres

Eugen Brand

La famille Schneider habite en Alsace, sous tente avec treize enfants. Depuis toujours, elle est chassée de lieu en lieu, confrontée à un entourage hostile qui lui fait violence. Actuellement, elle a planté sa tente dans une forêt près de G. Elle cherche une maison, essuie refus après refus de la commune.

Récemment, la commune a décidé d’installer un WC pour la famille, en pleine forêt. Les Schneider n’en veulent pas, réclamant un toit, un véritable « chez soi » pour les enfants : « Ils ne veulent pas de nous. Ils ont décidé cela pour protéger la forêt. » Les autorités sont choquées : voilà qu’elles se démènent pour cette famille, et elles ne reçoivent en retour ni coopération, ni reconnaissance, ni remerciement.

Il ne s’agit pas de juger de la bonne ou mauvaise foi de cette commune, mais de comprendre l’expérience des plus pauvres par rapport à l’environnement. Depuis toujours, on les a laissé croupir dans des conditions qui usent la santé et tuent à petit feu. Tel était le cas d’une cité d’urgence à Genève, appelée « Le bout du monde », formée de baraques à l’intérieur desquelles l’eau gelait en hiver. La cité a été rasée par la suite pour laisser place à un immense « Centre de bien-être. » Les derniers habitants ont vu des hélicoptères venir poser sans délai des pylônes électriques, alors que l’installation du courant à la cité avait demandé des années.

Non seulement on tient souvent les plus pauvres pour coupables de dégrader l’environnement, mais ils sont eux-mêmes souvent traités comme des souillures. Dans le but de présenter une belle image de la ville, des familles sont repoussées plus loin, reléguées dans des lieux inhabités et inhabitables.

Une question d’impose à chaque citoyen, là où il est : « Prend-on des mesures pour protéger les hommes contre la pauvreté ou l’environnement contre les pauvres ? »

L’environnement est devenu aujourd’hui un sujet prioritaire. Priorité partagée pratiquement par tous, car la santé et l’avenir de chacun sont en jeu. En préparation de la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement, un rapport estimait à 1,5 milliard le nombre de personnes vivant sur les décharges publiques, dans des bidonvilles ou zones rurales dénuées de toute ressource. Et de s’interroger sur le lien entre pauvreté et dégradation de l’environnement.

Mais prend on en compte l’enthousiasme que nous avons vu chez ces jeunes très démunis, lorsque à La Haye ils ont prix eux-mêmes l’initiative d’entretenir la propreté de leur quartier, lorsque à Ouagadougou ils ont contribué à apprêter la ville pour le Festival du film africain. Des exemples similaires abondent, qui prouvent l’aspiration des plus pauvres à participer eux aussi à la responsabilité de la terre.

Le combat pour l’environnement est vital et légitime. Mais nous savons que si les plus pauvres n’y sont pas associés en priorité, il se retournera contre eux et, par conséquent, contre l’homme. Voilà l’interprétation que j’ai reçue de Mme Schneider, et que je ne peux garder pour moi.

Louis Join-Lambert

Directeur de l'Institut de Recherche et de Formation aux Relations Humaines

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