Encore du provisoire !

Bernadette Macabrey et Marie-Hélène Boureau

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Bernadette Macabrey et Marie-Hélène Boureau, « Encore du provisoire ! », Revue Quart Monde [En ligne], 195 | 2005/3, mis en ligne le , consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/361

Quand une famille est enfermée dans le provisoire, elle est enfermée dans la peur : deux volontaires d’ATD Quart Monde à Marseille en témoignent.

Depuis environ trois ans, monsieur et madame Perez “campent ” sur le parking d’une cité pauvre de Marseille avec leurs sept enfants âgés de onze à vingt ans. Une petite caravane, un camion et une vieille voiture servant de chambre à coucher sont proches du logement du père de monsieur Perez. Si un fil électrique branché chez celui-ci apporte un peu de lumière dans la caravane, la famille n’a ni eau ni sanitaire.

Cette famille traîne derrière elle une longue histoire chaotique de logement ou plutôt de non logement. Pendant plusieurs années, parents et enfants furent les seuls habitants d’un immeuble promis à la démolition, donc les “empêcheurs ” de démolir. Ils étaient harcelés sans cesse dans cet appartement sans vitres, au premier étage, accessible par un escalier branlant et sans rampe.

Madame Perez vivait là dans la peur continuelle qu’il arrive quelque chose à ses enfants et qu’ensuite on lui reproche de mal s’en occuper. Sans proposition de logement, la famille vivait repliée sur elle-même, dans la peur de se retrouver dehors sans solution. Elle avait malgré tout des habitudes, quelques relations dans ce quartier où les habitants étaient juste un petit peu mieux lotis qu’eux.

A force de démarches, monsieur et madame Perez obtinrent un appartement au premier étage d’un immeuble donnant directement sur la rue, dans un quartier où ils ne connaissaient personne et dans un environnement peu apte à les accueillir.

Menacés d’expulsion, ils ont fui et ont squatté dans une cité où ils avaient quelques connaissances. Pour la première fois, ils “choisissaient ” un appartement qui leur convenait. Ils en furent expulsés, en tant que squatters. Ils se sont alors repliés sur le petit logement du grand-père, où ce fut très vite invivable. C’est pourquoi ils se sont entassés dans la caravane et les deux voitures au pied de l’immeuble.

Cette insécurité permanente a rendu la mère et les enfants nerveux, et très méfiants. La vie leur a malheureusement appris que toute personne, même compréhensive au départ, peut être une menace pour leur famille. Leur seule sécurité, le seul moyen qu’ils ont trouvé pour se protéger des agressions extérieures, c’est de vivre repliés sur eux-mêmes, de former bloc ensemble.

Ils doivent cependant ouvrir leur porte à de nombreuses personnes qui gravitent autour d’eux, leur proférant tantôt des promesses, tantôt des menaces, alors qu’ils n’ont prise sur rien, qu’ils n’ont aucune compréhension du pouvoir des uns et des autres, de ce qu’ils peuvent en attendre. Ils se demandent qui peut les aider, sur qui ils peuvent vraiment compter.

Ainsi un représentant de l’office HLM de la cité est venu leur dire qu’ils seraient expulsés du parking. Puis un membre d’une association de relogement leur a rendu visite mais ayant jugé leur situation inextricable, il n’est pas revenu. Une association de défense des personnes sans logement va les soutenir pendant un moment, puis les lâchera au motif qu’ “ils ne se prennent pas suffisamment en main et ne sont pas capables d’entrer dans un projet collectif ”

Enfin une proposition de logement : un appartement à la limite de la ville, au quatorzième étage d’un immeuble. Quand madame Perez va le visiter, l’ascenseur est en panne et cela sans doute depuis quelque temps. Elle refuse donc le logement, car elle n’a pas une bonne santé et elle ne peut monter tous ces étages à pied.

Une tutrice aux allocations familiales, en qui la mère avait confiance, a dû se retirer : à force de défendre la famille dans différentes instances, elle a été “ cataloguée ” au point de ne plus se sentir efficace.

Ces expériences difficiles les ont confortés dans le sentiment qu’ils ne peuvent compter sur personne. En même temps, sans maîtrise de rien, ils sont dépendants de tout le monde, des administrations mais aussi des voisins pour les moindres gestes de la vie quotidienne. Par exemple, comment demander de l’eau tous les jours, pour neuf personnes ? Une fois, la lessive n’a pas été complètement rincée, faute d’eau et de courage pour aller en quémander.

Sur le parking, ils sont sans cesse exposés au regard de tout le monde. Leur seule sécurité, c’est d’être entre eux dans la caravane. Les aînés ne fréquentent pas d’autres jeunes. Leur père va jouer un peu aux boules dans la cité, parfois la plus jeune l’accompagne, c’est tout.

Des sorties impossibles.

Dès qu’ils sortent de la cité, une angoisse s’installe : ils ont peur qu’on profite de leur absence pour s’introduire dans la caravane ou pour les chasser. Ainsi, madame Perez et ses filles sont venues à la fête familiale animée par ATD Quart Monde pour la fin d’année, mais elles n’ont pas profité de ce moment de convivialité, tant elles avaient hâte de rentrer - une catastrophe pouvait survenir en leur absence. Madame vécut la même angoisse en participant à une réunion d’université populaire Quart Monde avec sa plus jeune fille.

Et pourtant au creux de toutes ces peurs, l’espoir est là, fragile, qui s’exprime de temps en temps : “ Quand on va déménager - dit madame - les jeunes il faut qu’ils travaillent, ils n’ont pas le choix ”

Aux dernières nouvelles, on a proposé à la famille un appartement de quatre pièces (pour neuf personnes !) au premier étage d’un petit immeuble ancien, dans un quartier très populaire. Les jeunes sont heureux à la perspective d’avoir enfin une salle de bains et un peu d’intimité. Du provisoire encore, mais n’est-ce pas ce qu’ils ont toujours connu ? Comment peuvent-ils faire des projets ? Qui sera à leurs côtés dans cette nouvelle étape ?

Bernadette Macabrey

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Marie-Hélène Boureau

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