Nécessaire insatisfaction

Alwine A. de Vos van Steenwijk

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Alwine A. de Vos van Steenwijk, « Nécessaire insatisfaction », Revue Quart Monde [En ligne], 142 | 1992/1, mis en ligne le 05 août 1992, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3620

En cette époque où les grands projets idéologiques ont perdu de leur crédibilité, les jeunes demeurent pourtant à la recherche d’authenticité, de charisme, de grandeur, d’absolu. A la recherche d’expériences, à travers lesquelles refuser la mesquinerie, le mensonge ou, pour le moins, la fadeur dont leurs aînés semblent toujours finir par s’arranger. Sans doute, la gymnastique douce, les préoccupations écologiques, les expériences spirituelles hors des cadres traditionnels, l’exploit sportif extrême ne sont-ils pas tous sur le même plan. Pourtant ne relèvent-ils pas tous de ce besoin (et, disons-le, du droit) des jeunes à tester par eux-mêmes des valeurs transmises et à les contester, à vérifier des conceptions et à les adapter, pour savoir sur quoi fonder leur propre authenticité, demain ?

La jeunesse ne possède pas l’authenticité, ni la justice, ni même la sincérité. Elle les cherche avec les audaces voulues, avec les risques que nous-mêmes ne pourrions plus prendre, et qu’il faut pourtant oser affronter pour expérimenter les voies nouvelles. En cela, elle teste ce que nous avons sauvé d’authenticité, de justice et de sincérité à travers les blessures et les échecs de la vie. En cela, elle nous est indispensable, en même temps que nous sommes indispensables à la réussite de sa recherche.

La recherche des jeunes ne peut que nous déstabiliser, si elle doit conduire à les bâtir, eux, en adultes capables de porter plus loin les idéaux que nous leur avons légués, vaille que vaille. Tenons-nous assez à leur avenir, avons-nous assez de sincérité et d’ambition à l’égard de nos enfants, pour leur permettre ce temps, pas plus facile pour eux que pour nous, de l’insatisfaction à l’égard de ce que nous sommes sur le point de leur transmette ?

Le père Joseph prenait les jeunes à parti. Il leur déniait tout monopole sur l’avenir. Sa totale sincérité le lui permettait ainsi que son ambition qu’ils puissent apprendre par eux-mêmes la validité de ce qu’il leur proposait au nom des plus pauvres. La jeunesse à ses yeux n’était pas un problème mais une chance. Pour l’avenir sans doute mais d’abord pour le présent et pour ceux qui subissent les effets de nos insuffisances. Il savait que nos enfants peuvent nous ébranler comme les plus pauvres ne le peuvent pas. Font-ils autre chose lorsqu’ils refusent les frontières que nous passons notre vie à établir pour plus de sécurité dans tous les domaines ?

Car l’extraordinaire apport de la jeunesse d’aujourd’hui n’est-il pas dans ce refus des frontières ? Frontières géographiques, certes, mais aussi celles des milieux sociaux, des performances scolaires et universitaires, des pouvoirs économiques que nous finissons par croire indépassables, inévitables, inéluctables ?

Il est bien vrai que le monde ne peut pas être livré à la seule jeunesse. Celle-ci ne le demande pas. Pourtant dans ce temps privilégié où elle se prépare à la citoyenneté, elle doit être protégée contre les stérilités de la cité. Aujourd’hui touchée de plein fouet par le chômage, n’est-elle pas plus capable que nous de comprendre que la vraie citoyenneté consiste à œuvrer à « cette terre, notre terre, où chacun aurait laissé le meilleur de lui-même avant que de mourir » ?

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