L’entreprise : une alliée indispensable

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « L’entreprise : une alliée indispensable », Revue Quart Monde [En ligne], 135 | 1990/2, mis en ligne le 05 août 1990, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3870

Index de mots-clés

Economie, Entreprise, Emploi

Notre premier dossier sur l’entreprise - n° 121, septembre 1986 - constatait l’aggravation, avec la crise économique, de la situation des travailleurs les moins qualifiés, leur éviction des travaux qui leur étaient jusque-là confiés et leur rejet dans des situations précaires : travail au noir et chômage. Il appelait les citoyens à réagir pour qu’une place digne leur soit faite en matière de formation et d’emploi.

Puis, le chômage s’est encore aggravé dans plusieurs pays (dont la France) et l’idée que l’époque du plein emploi était révolue s’est développée, du moins en Europe. On a d’abord vu s’installer le « traitement social du chômage » pour compenser le manque d’efficacité des « mesures actives » pour l’emploi. Parallèlement, sans qu’aucune réflexion fondamentale sur la solidarité entre ceux qui ont un travail et les chômeurs n’ait ébranlé l’opinion, on a vu s’amorcer des idéologies de remplacement de la valeur du travail.

Aujourd’hui la reprise économique est là ! Elle semble avoir plutôt pour effet de diminuer la peur des agents économiques menacés que de les amener, dans l’ensemble, à vouloir réintégrer ceux qui ont été exclus au nom de l’urgence des restructurations nécessaires. Le nombre des chômeurs de longue urée continue à augmenter. Entre l’entreprise et ces exclus le fossé est devenu profond mais pas insurmontable.

Profond car aux difficultés réelles s’ajoute un certain fatalisme. C’est le refus de ce fatalisme qui fonde notre dossier. Nous restons attachés à la volonté de réaliser le plein emploi. Un plein emploi où s’intègrent les périodes de formation permanente de reconversion et de temps sabbatiques, autant de moyens de préparer l’avenir et d’exercer une pleine citoyenneté. Un plein emploi qui n’a pas les défauts de ce qui a été appliqué dans les pays d’économie planifiée, mais qui découle de l’expérience même des plus pauvres. Leur humiliation de n’être utiles à personne, et à cause de cela d’être toujours indépendants des plans des autres, est une souffrance permanente.

Les idées nouvelles sur le dépassement de la valeur du travail ne manquent pas d’intérêt. Est-il juste pour autant d’oublier des hommes dont l’identité de travailleur est en perpétuelle quête de reconnaissance ? Est-il juste de les mettre en première ligne de tentatives qui s’enracinent souvent davantage dans l’action sociale que dans l’histoire populaire.

Ce dossier développe trois thèmes.

Un constat. Il n’est pas purement chiffré ou statique. Il se présente plutôt comme un tableau qui fait entrer dans les préoccupations des acteurs. Préoccupations de travailleurs en grande pauvreté d’abord : de quelle nature est la distance qui les sépare de l’entreprise ? Comment la vivent-ils ? Préoccupations des pouvoirs publics et des partenaires sociaux ensuite : quelles ont été les politiques, les attitudes et les tendances qu’ils ont développées dans les dernières années ?

Une illustration que l’aventure à partir et avec les travailleurs les plus pauvres est possible. Sans disposer à priori de solutions, se rendre disponible dans un simple accompagnement ou dans un projet qui peut déboucher sur une entreprise ou encore dans un projet de formation à inventer à partir des jeunes ou moins jeunes qui sont là, n’est-ce pas pleinement se situer en entrepreneur, être souvent plus efficace que les projets prédéfinis ?

Une question. Quelle est la responsabilité sociale de l’entreprise vis-à-vis de ces travailleurs qui n’ont même plus accès aux lieux de travail et aux relations sociales avec ceux qui travaillent ? L’entreprise a été peu à peu conduite et parfois contrainte à prendre en compte son environnement et à agir dessus. A travers syndicats professionnels, organismes consulaires comme les chambres de commerce etc., les entreprises se dotent de moyens de prendre des responsabilités sur leur environnement social. Ce sont des moyens de refuser certaines fatalités.

Il reste qu’il n’est jamais facile d’aller jusqu’aux plus pauvres. Aucun système institutionnalisé ne le garantit. Mais dans toutes les institutions, il existe des personnes capables d’un engagement personnel d’où naîtra pour tous des savoir-faire en matière d’accueil, de collaboration et de partenariat avec les travailleurs qui ont été trop longtemps à l’écart de l’entreprise. Des savoir-faire qui, aujourd’hui, demandent à être renouvelés et développés parce que franchir le fossé ente l’entreprise et ceux qui vivent en grande pauvreté ou aider à le combler, est plus exigeant que jamais.

Louis Join-Lambert

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