Quand les enfants font l’histoire

Pierre Hosselet

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Pierre Hosselet, « Quand les enfants font l’histoire », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1988), mis en ligne le 24 mars 2010, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4437

Tout a commencé autour de l'Atelier de promotion professionnelle pour adultes et du Pivot culturel, créés par le Mouvement ATD Quart Monde dans la Cité de promotion familiale de Noisy-le-Grand, lieu de vie de familles très démunies.

Index de mots-clés

Histoire, Enfance

L'exposition centrée sur le thème du travail, qui a eu lieu à la Cité en décembre 1983, est l'aboutissement de trois années d'efforts conjugués des enfants, de leurs parents et des animateurs pour s'approprier l'histoire populaire et découvrir ensemble les histoires familiales de la Cité.

Le but n'était pas de faire œuvre d'experts en Histoire, mais plutôt en Humanité, par l'histoire que les familles très pauvres traînent derrière elles. Il s'agissait de donner aux grands événements du passé, l'épaisseur humaine, telle que « nos parents et nos grands-parents l'ont vécue. »

Après l'école, les enfants qui fréquentaient le Pivot culturel allaient rejoindre leur père à l'Atelier, et les mamans se rassemblaient à proximité, attendant la sortie de leur mari.

Bien vite, les enfants se sont mis à parler de ce que faisait leur père à l'Atelier, et il est devenu nécessaire de porter cette préoccupation du Travail à l'intérieur même du Pivot. Il a d'abord été question des métiers en général par des récits et des visites chez des artisans. Le travail est apparu comme un problème important à étudier en tant que « moyen de subsistance » :

« Un travail, ça sert à avoir des sous. On a besoin d'argent pour manger. »

« Ce n'est pas un vrai métier que tu fais, si tu n'as pas assez d'argent pour vivre ! »

Quelques temps plus tard, le Pivot a organisé une « Porte ouverte » au cours de laquelle les parents se sont rendu compte de ce que leurs enfants avaient appris sur le travail. Peu à peu les parents se sont mis à parler de leur expérience personnelle et ont accepté d'en raconter l'histoire en la confiant à leurs enfants transformés en reporters et aux animateurs qui les accompagnaient :

« Tu sais, moi aussi le travail ça me connaît, parce que j'ai commencé à 14 ans. »

Nous nous sommes rendu compte à quel point il était important de savoir lire et écrire pour obtenir un travail :

« Ma mère dit que pour avoir un travail, il faut bien apprendre à l'école. »

« Il faut bien apprendre à l'école, sinon on n'aura jamais de métier. »

Les parents se sont également rappelé leur enfance, ce que leurs parents faisaient, ce que leur père disait quand il rentrait du travail, comment cela se passait à la maison quand le papa avait du travail et quand il n'en avait pas. Ce souci est toujours présent dans les familles. Un enfant remarque : « Ma mère me dit, je me demande bien ce que tu feras plus tard. » Un autre : « Si on ne travaille pas, on s'inquiète. »

Poussés à leur tour par cette dynamique, les animateurs ont éprouvé le besoin de se documenter un peu plus, afin d'avancer avec les familles dans la connaissance de l'histoire des plus pauvres.

Deux livres, en particulier, ont permis cet apprentissage :

« Enfants trouvés, enfants ouvriers. XVIIème-XVIIIème siècles. » (Jean Sandrin).

« Une famille d'ouvriers de 1770 à nos jours » (roman historique de Jacques Marseille)

L'histoire de Camille, imaginée par les animateurs à partir du premier ouvrage, présentait un enfant trouvé, contraint de travailler très jeune. Elle a passionné les enfants, qui se sont mis à propager leur curiosité et leur enthousiasme dans la Cité :  « Camille faisait un vrai travail, parce qu'il était payé. »

De leur côté, les parents ont commencé à expliquer leur propre histoire en référence à ce récit, que les animateurs allaient raconter le soir dans les foyers. Ce fut alors l'occasion de rassembler des traces du passé : récits, vieilles photographies, etc ...

Les histoires d'enfants de la fin du XVIIIème siècle n'ont pas retenu l'attention des enfants pour tel ou tel détail pittoresque ou piquant, mais plutôt pour les résonances que ces expériences passées créaient dans leur propre vie : « Les enfants qui travaillent très jeunes, c'est normal. »

Au jour le jour, les réflexions des parents et des enfants ont montré aux animateurs la direction à prendre pour avancer.

Le dialogue s'est ensuite établi entre les Conservateurs de musée, auxquels les enfants ont écrit pour leur demander des renseignements sur Camille.

Ils sont allés visiter par exemple le musée de l'Assistance publique. Les petits mots épinglés par la maman sur la layette des enfants trouvés leur ont permis d'établir un lien entre l'histoire passée des familles et le placement d'enfants, préoccupation bien actuelle de leurs propres parents.

La démarche entreprise a finalement débouché sur une exposition, car il paraissait tout naturel de montrer à d'autres tout ce qui avait été recueilli. Il s'agissait bien d'une nouvelle connaissance à partager. Nous avons d'abord mis en ordre tout ce qui avait été accumulé. Les familles avaient rassemblé dans ce but tous les documents témoins de leur passé : lettres, certificats, photos, etc ... Puis nous avons arrangé, exposé, et enfin lancé les invitations !

Le 10 décembre 1983 a donc eu lieu l'inauguration de l'exposition. Quelle fierté pour les enfants d'avoir pu inviter leur classe et leur instituteur, et de voir présents des élus de la commune, qu'ils ont guidés eux-mêmes à travers l'exposition !

Pour l'inaugurer, ils ont invité J. Marseille, historien et professeur à l'Université de Paris VII. Lui-même s'émerveillait : « D'habitude les gens choisissent d'exploiter avec les enfants mon livre sur l'histoire des paysans parce que c'est plus pittoresque. C'est la première fois que je vois des enfants rechercher l'histoire ouvrière de leurs parents. Je vois vivre mon livre. » Après avoir coupé le ruban, il a expliqué : « J'ai voulu raconter l'histoire de millions de Français, de travailleurs dont l'histoire n'est jamais racontée, c'est un peu votre histoire. »

Pierre Hosselet

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