Un spectacle à thème historique : « Paris XIIIème 1600-1984 - Pieds humides et Gagne-Petit »

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Un spectacle à thème historique : « Paris XIIIème 1600-1984 - Pieds humides et Gagne-Petit » », Revue Quart Monde [Online], Dossiers & Documents (1988), Online since 24 March 2010, connection on 13 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4441

Les habitants du XIIIème arrondissement et les familles du Quart Monde de divers coins de France et autres spectateurs se retrouvent au lieu-dit « La Poterne des peupliers ». Ils vont revivre en quatre tableaux une partie de l'histoire des très pauvres du XIIIème avec le spectacle Son et Lumière, organisé par l'équipe d'ATD Quart Monde du XIIIème, « Pieds humides et Gagne-Petit » (on appelait ainsi les habitants les plus pauvres des bords de la Bièvre.)

« Pieds humides et Gagne-Petit », Album avec photos, texte intégral, 1984. Editions Science et service Quart Monde.

Index de mots-clés

Culture, Histoire, Mémoire

Index géographique

France

Qui sont ces « pieds humides » et « gagne-petit » ? Qu'ont-ils à nous dire ?

Ce spectacle (les gens s'installent, le spectacle commence, le décor naturel, un étang, un parc boisé éclairé par les projecteurs) est de tous les temps. Au loin, les deux tours de la cité Brillat-Savarin témoignent de la présence humaine actuelle, et particulièrement la présence des familles du Quart Monde qui y habitent.

Il s'agit de revivre l'histoire d'une famille à travers les siècles : les metteurs en scène ont imaginé comment une famille très pauvre pouvait vivre, ressentir des événements comme l'arrivée d'Henri IV à Paris en 1590, la Commune, la Révolution, etc ... et ce qu'aurait été la parole des pauvres à ces différentes époques.

Le prologue indique le caractère universel de cette famille imaginaire :

« Je pourrais habiter tous les pays du monde, à un quelconque moment de leur histoire. »

« Si nous refaisons ce soir l'histoire ensemble, tout ce qui se dit sur nous, si cela venait de nous ! »

« Aurions-nous la prétention d'avoir marqué l'Histoire, avec un grand H, quand nous ne savons même plus si nous influençons notre propre vie. »

« Ce que nous savons pourtant, c'est que de tout temps, nous avons voulu, nous avons aimé, nous avons lutté. Nous sommes fiers ce soir, de témoigner de cette histoire-là. Elle est notre Histoire, enracinée au plus profond des temps. Elle doit nous rassembler et permettre à d'autres de s'y reconnaître. »

Puis on entend les pas d'un cheval au galop, Henri IV arrive sur son cheval blanc, dans un costume magnifique. On entend des chuchotements ;

- (la mère) : « J'aimerais voir le roi le plus près possible. Et si lui nous voyait... »

- (le père) : « Rêve donc pas ma commère ! »

- (la mère) : « Il a promis une poule au pot à chacun tous les dimanches »

- (le père) : « T'en as déjà mangé beaucoup ... ? On ne viendra pas nous chercher, va ! »

Autre tableau, au XVIIème siècle, les teinturiers à la suite de Gobelin s'installent autour de la Bièvre (représentée ce soir par l'étang). Un atelier brûle. N'est pas tanneur ou teinturier qui veut. Après un long apprentissage, il fallait acheter le droit d'exercer le métier. Il y a un teinturier, Racan, qui accepte d'embaucher le père pour le former.

- (la mère) : « Il a commencé à lui montrer à mon homme et à d'autres aussi. Quand les autres teinturiers l'ont su, ils ont protesté, soi-disant que Racan leur faisait une concurrence malhonnête en embauchant des "Pieds humides" qu'il ne payait même pas. Ils ont dit partout que les étoffes faites par Racan étaient mal teintes et de mauvaise qualité et ils sont même venus un soir mettre le feu à son atelier. Alors mon homme, il a fait comme tous les "Gagne-Petit" : il a été preneur de rats, vendeur de chiffons, il a fait des lacets. Il a ramassé des crottes de chiens sur les bords de la Bièvre pour les revendre aux tanneurs. Il a tout essayé, tout fait, pour qu'on ait un peu de pain à manger... »

La famille connaît la mendicité aussi, mais toujours refuse de porter sur la manche la croix rouge et jaune que portaient les mendiants de Paris officiellement enregistrés.

En 1788, la récolte de blé est catastrophique en France et l'hiver qui suit terriblement froid. Écoutons ce que dit cette femme en ces temps de misère : « Le pain est à 14 sous et demi, mon mari gagne 18 sous par jour et c'est avec si peu de chose qu'il faut qu'il vive et qu'il entretienne ses trois enfants. J'aimerais mieux mourir que mendier... »

Le 1er avril 1795, une foule affamée, brandissant des torches allumées, défile. Elle se rend à l'Assemblée en criant : « Du pain, du pain ! »

Plus tard, une feuille circule, ceux qui savent lire disent aux autres ce qui est écrit : « Insurrection du peuple pour obtenir du pain et reconquérir ses droits. »

Les ventres creux, les affamés de Paris n'ont jamais su qu'ils avaient véritablement des droits, mais ils ont besoin de pain pour vivre.

- (la mère) : « Toujours les pauvres auront faim, alors jamais ils ne marqueront l'histoire pour un autre motif que celui-là ? »

Les siècles passent. Les travaux du baron Haussmann entraînent la destruction des quartiers pauvres et chassent des milliers de miséreux à la périphérie de la ville. Le lieu où nous sommes, la Bièvre, foyer d'infections, traverse un quartier habité maintenant par 30 000 individus, entassés. Il est surnommé « faubourg souffrant ».

Malgré ces difficultés accablantes, le 20 mars de l'année 1869, 2 000 personnes rassemblées au 27 avenue d'Italie essayent de créer une coopérative d'enseignement (d'après le compte-rendu d'un habitué de réunions non politiques, Paris, mars 1874, bibliothèque historique de la ville de Paris).

Elles témoignent ainsi de leur volonté d'apprendre. Les événements dramatiques qui vont suivre (la Commune) ne permettront pas la réalisation de ce projet.

Après la Commune, sont représentées ces troupes misérables, en lambeaux, exténuées, composées en grande partie de vieillards, de jeunes et d'enfants affamés (d'après un témoignage de l'époque).

Plus tard, au début du XXème siècle, la Bièvre est recouverte. Ce n'était plus possible de vivre à côté d'elle.

- (la mère) : « Ils sont allés où les gens ? Tout autour de Paris, c'était la zone, c'était là où nous sommes ce soir. C'était quoi, la "Zone" ? Des cabanes en bois, c'était la misère. Tout le monde se côtoyait, il y avait une amitié, tout le monde savait que l'on était tous des miséreux. Tu pouvais rentrer dans une cabane, on t'aurait pas dit : "Qu'est-ce que tu fais là ?" T'étais chez toi. »

La Zone fut détruite entre les deux guerres. Certains habitants furent relogés dans des bastions militaires des anciennes fortifications de Paris. Quelques-uns y vivent encore aujourd'hui. D'autres s'installèrent dans les cités H.B.M. (habitation bon marché), la Cité Brillat-Savarin en 1924 et la cité de Lôme en 1932 (un spot lumineux est envoyé sur les tours).

- (la mère) : « Comment était-ce la vie en ce temps-là ? On trouvait des tas de combines. J'ai vendu du muguet, j'ai vendu des fleurs, j'ai arraché des pissenlits. On se débrouillait pour laver les vitres, pour laver par terre, laver les terrasses des bistrots. »

Pourquoi avoir conçu ce spectacle ?

Depuis 1978, de nombreuses fêtes ont ponctué l'histoire du Mouvement ATD Quart Monde au cœur des Cités Brillat-Savarin et Dupuy de Lôme.

Au cours de la fête de juin 1983, l'équipe ATD a mené, avec quelques familles des cités, une recherche sur l'histoire de ce quartier. Cela avait donné lieu à un modeste stand, mais beaucoup de familles avaient fait à cette occasion l'expérience d'un échange mutuel sur leur passé commun. C'était là un témoignage concret de cette histoire qui rassemble. De là est né l'envie d'aller plus loin.

* Comment ce spectacle a-t-il pu être réalisé ?

Malgré tous les soucis quotidiens, les familles avec l'équipe ATD sont allés jusqu'au bout de leur projet : réaliser un spectacle Son et Lumière sur l'histoire des plus pauvres et leur quartier. Et ils ont su mettre tout le monde dans le coup pour se partager le travail.

A la recherche du passé :

Les alliés et les volontaires lisent plus de 50 livres, avec l'aide de G. Conte, un passionné d'histoire du XIIIème arrondissement. En voici quelques exemples :

- « Sur les bords de la Bièvre » de Marcel Lecoq.

- « Le XIIIème à la pointe des révolutions » (mémoire)

- « Éléments pour une histoire de la Commune dans le XIIIème » de G. Conte

- Des récits de vie, témoignages d'habitants du quartier sur la zone, par exemple

- Des articles de journaux dans le canard du XIIIème, novembre-décembre 82 : « La pauvreté dans le XIIIème. »

On fabrique les décors et costumes.

En avril 1984, 45 personnes commencent à fabriquer les costumes. Elles ont de 4 à 92 ans ! Habitants des cités, voisins, gens du centre social, coupent les patrons, cousent, essayent les costumes. Les jeunes, eux, fabriquent les piques, les haches, les accessoires. Les enfants de l'école Kluss, de la maternelle des Longues Raies, de la bibliothèque de rue et le centre social Boutroux peignent les décors et une fresque. Des artistes les aident.

On répète en public :

En avril, les répétitions commencent, là où aura lieu le spectacle, à la Poterne des peupliers, là où existait la « Zone ». Un des acteurs dit : « En passant par ici, je vois une partie de mon enfance. »

Il faut avoir le courage de commencer à jouer, sous les regards des promeneurs, intrigués, sceptiques ou moqueurs. Mais peu à peu, ils sont séduits : leur histoire se déroulait sous leurs yeux : comment ne pas participer ? Jusqu'à la veille du spectacle, des gens ont rejoint les acteurs : un homme sans domicile fixe a renoué avec son passé en jouant avec les autres, dans ce parc où il passait ses journées, seul. Un habitant, rejeté par ses voisins, a voulu lui aussi participer. Ses voisins l'ont découvert à cette occasion : « On ne peut pas le laisser tomber, on va l'inviter chez nous. »

En répétant ensemble, les 130 acteurs ont noué des liens d'amitié entre eux tous : habitants des cités, instituteur et sa classe, comédiens d'une troupe de théâtre d'amateurs...

Un homme du XIIIème disait depuis plusieurs années : « Il faut qu'il y ait quelque chose de beau qui sorte de nos cités de misère. » Didier Ponsot, un des responsables de cette action, souligne : « Nous étions très guidés par cette réflexion, et aujourd'hui, à l'heure du bilan, nous pouvons dire que nous avons tout fait pour tenir notre place. »

Didier Ponsot rappelle les réactions de quelques personnes du Quart Monde qui rendent compte combien ce spectacle a été important pour les familles, pour retrouver leur identité à travers l'histoire, parce qu'immédiatement elles ont reconnu leur propre histoire. « C'est ma vie qui est en train de se mettre en scène » dit un homme qui vivait dans le parc.

Un autre homme qui a participé au spectacle dit : « J'ai ressenti et revécu, en l'espace d'une heure et demie, 56 ans de lutte pour vivre. Mon émoi est renforcé par la véracité avec laquelle ce spectacle fut interprété. Je n'aurais jamais imaginé que ces gens pourraient, avec autant de vérité, exprimer ce qu'ont ressenti les pauvres pendant des siècles. »

Il dit encore : « Le Quart Monde m'a démontré que, dans nos vies, nous ne sommes pas que des ombres, nous existons. Je croyais être le seul à combattre, pendant que des millions faisaient la même chose. » Et il ne parle pas seulement des millions d'aujourd'hui, mais des millions de l'Histoire.

Rédaction de la Revue Quart Monde

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