Présentation des jeunes du Quart Monde

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Présentation des jeunes du Quart Monde », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1993), mis en ligne le 15 avril 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4500

Présentation animée par Messieurs Jean-Yves Divry et David Prudhomme, délégués du Quart Monde ; Messieurs Hervé Lefeuvre et François Guillot, volontaires permanents du Mouvement ATD Quart Monde ; Monsieur Patrick Brun, Directeur du Centre Pédagogi A et membre actif du Mouvement ATD Quart Monde

Index de mots-clés

Jeunesse, Formation professionnelle

Présentation des jeunes du Quart Monde, des obstacles qu'ils rencontrent pour accéder à la formation et à l'emploi

M. Heydecker : Le Mouvement ATD Quart Monde va se présenter afin de vous permettre de bien situer l’expérience faite à Reims.

M. Lefeuvre : Je suis permanent d’ATD Quart Monde à Reims. J’ai, à ma droite, Jean-Yves Divry. Il a 20 ans. Il vient juste de commencer un stage à l’atelier Avenir Jeunes Reims pour apprendre à lire et à écrire. Il représente aujourd’hui les jeunes de son milieu, des jeunes très défavorisés, des jeunes du Quart Monde. Par un court échange, on aimerait que Jean-Yves nous aide à mieux connaître qui sont les jeunes du Quart Monde, ce qu’ils vivent aujourd’hui.

Jean-Yves, quels sont les souhaits et les rêves des jeunes de ton milieu ?

M. Divry : Notre souhait est d’avoir un travail sérieux, de pouvoir  fonder une famille. Si on n’a pas de travail, on ne peut pas fonder une famille.

M. Lefeuvre : Peux-tu nous expliquer pourquoi tu ne sais pas lire et écrire ?

M. Divry : Mes parents ne travaillaient pas, seule ma mère savait lire. Nous n’avions pas toujours de quoi vivre. Nous vivions dans une caravane, nous changions donc souvent d’école. Nous étions au fond de la classe. Les professeurs disaient que nous étions des nomades. On ne faisait rien.

M. Lefeuvre : De quel soutien auraient besoin les jeunes comme toi pour arriver à avoir une qualification ? Quelle personne vous faudrait-il avoir à côté de vous pour arriver à faire des démarches, à trouver un travail ?

M. Divry : Il faudrait des personnes qui viennent nous vois chez nous, nous dire ce qu’il faut faire, nous montrer comment il faut remplir les papiers, comment faire pour trouver un travail.

M. Lefeuvre : Qu’est-ce que ces personnes doivent savoir sur vous ?

M. Divry : Ils doivent savoir que tout le monde n’est pas pareil, il faut qu’ils connaissent le niveau des personnes qu’ils vont voir, qu’ils connaissent leur vie pour savoir comment ils se sont débrouillés jusque là. Certains veulent vraiment s’en sortir pour avoir quelque chose, d’autre non. Il faudrait qu’ils viennent voir plus souvent les jeunes de notre âge.

M. Lefeuvre : Un jeune comme toi qui a eu ce parcours et cette vie, que peut-il apprendre aux autres ? Qu’a-t-il appris dans sa vie qu’il peut transmettre aux autres ?

M. Divry : Nous, nous avons toujours été malheureux, ce n’est pas une vie que de vivre toujours en caravane. On essaie de se débrouiller comme on peut, quand on peut aider quelqu’un, on essaie de la faire.

M. Guillot : Je vais donner la parole à David Prudhomme, qui travaille à l’atelier et va lire le texte préparé par Jacques Théron, l’un des premiers jeunes qui ont bâti l’atelier AJR et qui ne pouvait être là aujourd’hui.

M. Prudhomme : A 18 ans, je n’avais rien. Je me disais, les autres ont peut-être raison de dire que je ne suis pas capable. On était cinq ou six comme moi dans le club du savoir d’ATD Quart Monde. Avec François Guillot, on a parlé de monter un atelier. Il fallait que cela démarre. On y a cru à fond, on n’avait pas le choix. On voulait prouver que l’on pouvait travailler avec rien dans les mains au départ, aucun diplôme. L’atelier AJR, nous l’avons construit avec nos mains et nos idées.

Nous en avions beaucoup parlé avant. Nous avons été invités dès le départ du projet. Il faisait partie de notre vie. François est venu chez nous, il connaissait notre vie, notre famille, notre quartier. C’est très important pour se mettre à la place d’un jeune. Si on va dans un atelier mais que l’on ne sait pas comment le jeune vit, à quoi il pense, cela ne va pas.

Quand on a monté l’atelier AJR, on touchait à tous les métiers du bâtiment, on pouvait voir ainsi ce que l’on aimait faire. On avait cours le matin, atelier l’après-midi dans la même entreprise. Il n’y avait que comme cela qu’on pouvait y arriver. Les formateurs poussaient beaucoup les jeunes et nous donnaient les moyens de réussir. Ils nous laissaient prendre des initiatives, ils nous  laissaient le temps d’apprendre. Tous les jours, on faisait un compte-rendu d’un quart d’heure. On parlait entre nous, c’est ainsi qu’on pouvait s’améliorer.

On apprenait le caractère des formateurs, eux apprenaient qui on était. Il faut que les jeunes puissent échanger des idées, prennent de l’assurance en prenant la parole. Si les jeunes ne dialoguent pas avec les autres, ils perdent leurs moyens et paniquent devant la machine.

Il faut faire confiance aux jeunes, leur donner une chance. A AJR, cela a toujours été ainsi. On ne nous a jamais dit que l’on n’était bon à jamais dit que l’on n’était bon à rien. Il faut donner aux jeunes un papier qui a de la valeur, qui dit leur niveau, sinon cela les décourage. Avoir un travail, un logement, ce sont des valeurs. On est comme tout le monde.

M. Guillot : Ce que refusent avec le plus de force, parfois par la révolte, parfois par une souffrance silencieuse, les jeunes des milieux les plus défavorisés, c’est ce sentiment d’exclusion, d’isolement, de mépris dont Jean-Yves nous a parlé dans on intervention.

Au cumul de précarités que vivent les familles les plus pauvres, qui les prive de la sécurité de base sans laquelle il n’y a pas de vie digne, ni de promotion familiale et sociale possible, s’ajoute le poids du regard des autres.

Ces familles sont regardées, jugées par leurs voisins, par l’opinion publique, par la société. Ces regards sont faits d’incompréhension, de non-connaissance de ces familles, voire de rejet ou de mépris. Regards, incompréhension, jugements que les jeunes de ces familles captent avec une extraordinaire rapidité et qui écorchent leur soif d’égalité et de fraternité.

Dans bien des cas, ne fait-on pas porter aux pauvres la responsabilité de leur sort ? Les jeunes ont trop connu le courage, la résistance de leurs parents pour savoir qu’ils ne sont pas les seuls responsables de leur situation. A mesure que l’enfant de milieu en grande pauvreté grandit, grandissent avec lui des murs qui excluent.

Les jeunes et les quartiers où ils vivent sont séparés par ces murs du reste de la société et des institutions qui sont censées leur venir en aide.

Ce que nous disent ces jeunes, c’est bien cela. Pourquoi aller de l’autre côté de ces murs puisque l’on ne veut pas de moi, que l’on me rejette et que je n’y trouve pas ce dont j’ai besoin ?

Mais ces jeunes sont des jeunes comme tous les autres jeunes. Ils ont le même besoin de vivre, de bouger avec d’autres jeunes, d’avoir des amis, de devenir libres, autonomes. Ils ont les mêmes rêves. Ils ont les mêmes envies d’apprendre, d’aimer, de devenir quelqu’un de bien, d’être reconnu. Ils souffrent de ne pas avoir les moyens de pouvoir vivre cela à l’extérieur de leur famille, de leur quartier.

Est-il possible de vivre sans avoir reçu les capacités de communication, d’expression, de création ? Sans pouvoir être utile aux autres, sans pouvoir donner gratuitement de soi, sans avoir un métier en main, sans avoir l’emploi qui donne une reconnaissance et les moyens de vivre ?

Est-il possible que l’on se prive, en les gâchant, de toutes les potentialités originales que ces jeunes pourraient apporter à nos sociétés ? Redonner une place aux jeunes les plus défavorisés, leur donner une formation professionnelle et en emploi, reviendra donc à détruire ces murs. Pour cela, il faudra d’abord connaître leur histoire, le milieu auquel ils appartiennent, l’identité qu’ils sont en train de bâtir, pour en tenir compte dans les projets d’insertion les concernant.

Jacques nous dit cela par la voix de David, quand il nous a dit son cheminement avec le Mouvement ATD Quart Monde et sa participation à la création de l’atelier AJR de Reims. Tous les acteurs de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes se demandent comment rejoindre les valeurs, les attentes de ceux-ci afin de ne pas leur opposer la logique de nos systèmes, de nos institutions et de nos dispositifs.

Jean-Yves, Jacques et David nous disent les attitudes, les actions que l’on doit proposer aux jeunes pour les conduire jusqu’à une qualification professionnelle, jusqu’à un métier. Ils nous disent comment notre objectif de donner un métier à tous les jeunes peut vraiment atteindre les jeunes les plus défavorisés, en respectant trois conditions :

- La première condition porte sur l’accueil, la rencontre avec ces jeunes. Ils nous disent : « Nous avons besoin de gens qui nous rencontrent là où nous vivons. De gens qui viennent à nous pour nous connaître, pour bâtir une relation de confiance qui deviendra avec le temps une vraie amitié. Nous avons besoin que l’on nous écoute pour que nous osions prendre la parole. Il faut qu’on nous donne la confiance de parler. » Cela ne demande-t-il pas de redéfinir comment nous organisons l’accueil, l’accompagnement, la rencontre de ces jeunes ?

Existe-t-il assez de lieux, tant individuels que collectifs, d'expression, d'écoute, de valorisation, de remise en confiance des jeunes ?

Met-on assez en priorité les moyens humains pour que les éducateurs, les animateurs s’engagent au plus près des jeunes là où ils vivent ? Forme-t-on les jeunes de ces milieux qui le désirent et qui en ont les capacités pour devenir des animateurs, des médiateurs dans ces quartiers entre les jeunes et le dispositif de formation ?

- La deuxième condition porte sur les formateurs et leur formation. Jacques nous disait que les jeunes doivent rencontrer des gens qui croient en eux plus que les jeunes croient en eux-mêmes, des gens qui croient à leurs possibilités et qui mettent en œuvre les conditions de leur réussite. Jacques nous dit notamment que les formateurs qui sont pour eux une chance de réussite sont ceux qui, en respectant leur milieu, leur donnent des repères solides dans le monde du travail et du métier, modèles et repères dont les jeunes ont besoin pour s’identifier.

- La troisième condition porte sur une sécurité de durée que l’on doit donner à toute formation. Durée suffisante pour faire les apprentissages qu’ils n’ont pas pu faire avant. Les jeunes ont besoin qu’on leur donne le temps nécessaire pour expérimenter, pour découvrir, pour faire des essais et pour avoir aussi le droit à l’erreur.

En conclusion, rejoindre les jeunes là où ils vivent, les reconnaître dans leurs aspirations profondes, faire émerger leurs projets, bâtir les actions de formation pour les mettre en œuvre, sont les étapes successives pour gagner cette ambition de donner un métier à tous les jeunes, ambition qui nous rassemble aujourd’hui.

M. Brun : Monsieur le Préfet, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, à l’automne 1990, le Mouvement ATD Quart Monde était préoccupé par l’évolution du Crédit Formation Individualisé (CFI). Est-ce que vraiment le CFI, comme il avait été annoncé, servait aux jeunes les plus défavorisés ? On pouvait en douter, c’est la raison pour laquelle le Mouvement a pris l’initiative, encouragé par la Délégation à la Formation Professionnelle, d’en faire une évaluation ; avec François Guillot et Thierry Viard, volontaires permanents d’ATD Quart Monde, j’ai eu l’honneur et le plaisir de conduire cette évaluation qui a abouti au rapport intitulé : « Le Crédit Formation Individualisé, au regard des jeunes issus des milieux très défavorisés. »

Ce sont les principales propositions de ce rapport que je reprendrai dans un moment, après une courte introduction.

Depuis dix ans, depuis que le rapport Schwartz en 1981 a introduit officiellement la question de l’insertion professionnelle et sociale des jeunes en difficulté, je pense que deux remarques reviennent régulièrement dans les propos que les milieux de la formation peuvent tenir.

La première remarque, c’est qu’au fil des dispositifs, on découvre les niveaux plus faibles, les besoins plus grands, et les difficultés plus ardues à résoudre qu’on ne le pensait.

La deuxième remarque, c’est que les mesures mises en place pour favoriser l’insertion des jeunes les plus défavorisés atteignent partiellement leur objectif, mais bénéficient souvent à des jeunes moins défavorisés ; et, en quelque sorte, à chaque fois il faut prendre de nouvelles mesures pour tenter d’atteindre les jeunes les plus défavorisés, ceci avec des résultats inégaux...

Cette double remarque manifeste à la fois la prise de conscience progressive et réconfortante des milieux politiques et des milieux de la formation sur les besoins, mais aussi une relative impuissance.

Le Crédit Formation Individualisé est né au printemps 1989. Il introduisait plusieurs innovations d’importance en vue de garantir le droit de tous à une qualification. Dans la circulaire du 29 mai 1989, il était précisé : « Le CFI doit permettre aux jeunes demandeurs d’emploi sortis de la formation initiale sans avoir obtenu au moins le CAP ou le BEP, de s’engager dans un parcours de formation personnalisé leur permettant d’obtenir un niveau de qualification professionnelle reconnu, correspondant à celui du CAP, facilitant une insertion professionnelle durable. »

Cet objectif était confirmé par les propos du Ministre de la Formation de l’époque, Monsieur Laignel : « Nous avons très clairement décidé d’ouvrir le CFI aux jeunes les plus éloignés de la qualification, d’en faire un dispositif qui soit accessible dans les faits aux jeunes illettrés. » Qui pourrait croire, ajoutait-il, « que, pour ceux-ci, le CAP est au bout de 800 h de formation » ? C’est bien là le problème : les besoins étaient si importants, qu’on ne s’est aperçu que deux ans plus tard que le CFI n’avait pas les moyens de ses ambitions.

Les difficultés étaient doubles : difficultés financières, les enveloppes ne permettant pas d’accompagner aussi longtemps qu’on l’aurait voulu les jeunes les plus défavorisés ; difficultés pédagogiques, un hiatus important, difficile à combler, séparait les jeunes les moins qualifiés de la qualification recherchée.

De ce fait, dans un certain nombre de cas, on a pris l’initiative de dire aux jeunes qui étaient accueillis : le CFI, ce n’est pas pour vous. Réponse particulièrement grave par rapport aux ambitions initiales.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts ; le programme PAQUE (Préparation Active à la Qualification et à l’Emploi) est en train de démarrer. On espère que ce dispositif tiendra ses promesses par rapport au public dont nous parlons, promesses que le CFI n’a pas tenues.

Mais à quelles conditions ? Ce sont ces conditions que je voudrais rappeler et que, au terme de notre évaluation, nous affirmions dans le rapport sur le CFI.

Je vais rappeler les six propositions qui sont encore très largement à mettre en œuvre. Certaines recouperont Ce que F. Guillot vient d’indiquer.

Première condition : bien connaître les jeunes.

Il est inquiétant que depuis dix ans, on désigne les jeunes sous un terme générique vague et flou, en disant « les faibles niveaux de qualification », ou les « jeunes en difficulté d’insertion. » Ces termes de « bas niveaux », « faibles niveaux », « difficulté d’insertion » recouvrent une grande variété de situations.

Il nous reste encore à mettre en œuvre une typologie opérationnelle qui permette de rendre compte des différents types de difficultés pour pouvoir ajuster à celles-ci les dispositifs de formation.

Cette typologie devrait prendre en compte un  certain nombre d’indicateurs :

- les éléments de déséquilibre dans la vie personnelle des jeunes qui perturbent leur parcours de formation ;

- les difficultés de socialisation personnelle et professionnelle ;

- le cheminement et les étapes dans l’élaboration d’un projet professionnel ;

- le potentiel d’aptitudes et de compétences que présente le jeune, non seulement de par son parcours scolaire souvent interrompu, mais aussi de par toute l’expérience de sa vie et sa richesse d’expérience souvent plus grande que chez des jeunes scolarisés.

Une fois que l’on aura inventorié ces caractéristiques, on pourra en quelque sorte établir une carte d’identité du jeune. En effet, l’identification du jeune est différente selon qu’on la considère sous la forme de catégorie statistique ou selon qu’on la découverte dans la relation quotidienne que l’on a avec lui : un jeune qui se montrera en échec scolaire, ou qui présentera de graves déficiences dans un bilan de compétences, pourra révéler un potentiel plus important et même tout à fait étonnant dans la relation valorisante qu’il aura avec son formateur ou dans un dispositif qui lui permettra de mettre en lumière ses compétences réelles.

Il ne faut pas avoir peur des mots, la valorisation des jeunes suppose une relation d’amour et d’amitié. Il faut aimer les jeunes pour qu’ils puissent montrer ce dont ils sont capables. Ceci ne sera jamais remplacé par aucun dispositif.

Deuxième condition, sur laquelle a bien insisté F. Guillot : rejoindre les jeunes pour les accueillir.

Il est dans bien des cas illusoire de demander aux jeunes l’effort considérable de sortir de leur quartier, de venir contacter des institutions dont ils n’ont pas l’habitude, de rencontrer des gens qui leur parlent un langage qui n’est pas le leur, qui leur parlent de dispositifs qui leur sont tout à fait étrangers, qui leur demandent des démarches qui souvent n’ont pas de résultats immédiats.

Est-il légitime et raisonnable de demander à des jeunes l’effort, dans un premier temps de venir nous contacter ? N’est-ce pas à nous de faire le premier pas, de faire la démarche et d’aller vers eux ?

Aller vers eux, qu’est-ce que cela veut dire ? F. Guillot l’a rappelé tout à l’heure, c’est aller les rencontrer sur les lieux où ils vivent, c’est susciter des médiateurs parmi eux, des jeunes qui puissent éventuellement établir des relations entre nous et eux, c’est susciter des lieux où ils puissent être à l’aise, où ils puissent s’identifier positivement. Les clubs du savoir, tels que le Mouvement  ATD Quart Monde les a mis en place, ont été de ces lieux et le sont encore. Il faut associer les jeunes eux-mêmes à l’élaboration des décisions qui les concernent, savoir favoriser leur parole et les écouter.

Une information sur les dispositifs, sur les mesures qui concernent les jeunes, ne parvient souvent à son destinataire que si elle est reliée, médiatisée, par des personnes et un milieu. Il est aussi sans doute dommage que l’on considère les personnes en tant qu’individus et non comme appartenant à un milieu. On s’adresse à des individus à qui on demande des démarches purement individuelles alors que les jeunes, comme nous tous, seront plus à l’aise s’ils viennent en faisant une démarche collective, en groupe, de sorte qu’ils puissent ainsi s'entraider.

Troisième condition : articuler les formations sur une mise en situation professionnelle.

Ceci est très important. Depuis dix ans, la conception même des rapports entre la formation et l’entreprise a beaucoup évolué. Il y a dix ans, formation et entreprise étaient deux mondes séparés. La formation des adultes, des plus de 18 ans, était une sorte de nouvelle école où l’on considérait que l’on fournissait un certain nombre de compétences pour permettre ensuite aux gens de mieux trouver leur place en entreprise.

Puis l’on a introduit l’alternance dans la formation. Ce fut une réforme considérable, mais bien souvent cette alternance a été la juxtaposition d’une période de formation et d’une période en entreprise, ou inversement, sans qu’il y ait interaction, ni imbrication entre les deux.

Aujourd’hui, on est dans une démarche qui renverse les termes de la question, on part de la mise en situation professionnelle pour construire à partir d’elle tout un cheminement des compétences, voire une démarche qui associe tuteurs, formateurs, personnes en formation, à l’élaboration même du programme de formation.

Là, je ne voudrais pas manquer d’évoquer ce qui me paraît aujourd’hui être une démarche exemplaire, lancée par Bertrand Schwartz : la démarche des nouvelles qualifications, qui obéit à ces stratégies.

En ce qui concerne les jeunes, il y a au moins quatre raisons pour que la mise en situation professionnelle soit prioritaire.

La première, c’est qu’ils ont vécu l’échec scolaire ; cette expérience est encore tellement vive que la mise en situation de formation réactualise ces blocages qu’ils ont vécus à l’école et empêche une progression et un apprentissage dans le stage.

La deuxième raison, c’est que le travail n’est pas simplement une activité lucrative, mais un modèle identique, on l’a rappelé tout à l’heure. La formation, avec le statut de stagiaire, ne donne pas une identité professionnelle alors que le travail la donne. C’est un modèle identitaire, et cette possibilité d’identification à un salarié est une dynamique même d’insertion qui facilite l’apprentissage.

La troisième raison, et je l’emprunterai à Bertrand Schwartz qui nous a tellement apporté dans ce domaine, c’est ce qu’il appelle « un court-circuit pédagogique. » A partir de la situation de travail, s’opère un véritable cour-circuit pédagogique. Les compétences, les savoir-faire, les savoirs qui sont acquis, le sont sur la base de l’exigence concrète, d’un besoin immédiat et non pas  - je ne voudrais pas que mon propos soit trop caricatural, parce qu’il faut aussi des référentiels de formation - à partir de référentiels de formation qui parfois ont été élaborés bien des années avant et surajoutent aux compétences nécessaires pour exercer une tâche, un certain nombre d’autres pré-requis.

Enfin, la dernière raison est une raison matérielle, mais qui va au-delà du matériel. Pour qu’un apprentissage puisse être fait, il faut qu’il y ait une rémunération. Il faut stabiliser la vie personnelle, il faut permettre au jeune de devenir autonome dans sa vie personnelle. La rémunération est importante aussi parce qu’elle implique une reconnaissance sociale.

Cette mise en situation professionnelle et l’articulation entre la mise en situation professionnelle et la formation peuvent prendre différentes formes. Nous évoquerons certainement dans les tables rondes qui vont suivre, le rapport entreprise et formation : l’AJR en est un exemple ; la création de postes en insertion dans des entreprises classiques ; l’articulation du travail intérimaire ou saisonnier avec de la formation, c'est un modèle sur lequel on travaille déjà depuis longtemps, qui jadis, on s’en souvient peu, a suscité un dispositif appelé les « AMOF », (Association de Main-d’œuvre et de Formation.) Le dispositif n’a pas, malheureusement, été mis en œuvre, mais les réflexions que l’on peut avoir sur ce point, rejoignent celles qui avaient présidé à sa création. Je n’insiste pas là-dessus, je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir.

Quatrième condition : donner du temps au temps.

F. Guillot tout à l’heure a aussi insisté là-dessus. Il faut dire que la vie des personnes les plus défavorisées est une vie en miettes, hachée, une vie où l’instantané prend le pas sur le moyen ou le long terme, où en permanence les difficultés de la vie quotidienne empêchent de faire des projets.

Il faut que tout dispositif d’insertion, au contraire, soit un dispositif qui permette d’ouvrir un horizon, de stabiliser des personnes pour qu’elles reprennent pied, d’assurer leur sécurité de base, d’élaborer des projets d’insertion, et finalement faire droit à la notion de parcours et d’itinéraire.

Un itinéraire, ce n’est pas un chemin rectiligne. C’est une voie en zigzag, c’est une ligne brisée, il y a des échecs, des retours, il y a des succès, des abandons, il y a toutes sortes de péripéties. Cette notion d’itinéraire était dans le rapport Schwartz de 1981. Que voulait-il dire par itinéraire ? Cela voulait dire donner, face aux aléas qui peuvent jalonner un parcours emploi/formation/insertion, une sécurité de base qui consistait en un statut pendant plusieurs années, mais donner aussi, pour  les jeunes qui s’écartaient un moment de la voie qu’on leur proposait, la possibilité de revenir dans un dispositif.

Autrement dit, que l’abandon soit légitime ou non, avoir des difficultés d’insertion, c’est aussi avoir le droit à l’erreur. On l’a dit tout à l’heure.

Cette notion de temps est capitale. Le parcours des jeunes les plus défavorisés demande sans soute plusieurs années, entre deux et quatre ans. Pourquoi ne pas leur donner ce temps alors que l’on considère comme tout à fait naturel pour un écolier ou un étudiant de disposer de trois, quatre, cinq, six ans devant soi ?

Cinquième condition : prendre en compte la globalité de la personne par un accompagnement personnel, global et permanent.

Ceci est très important et a d’ailleurs été reconnu dans les textes sur le CFI par l’institution du correspondant. Mais l’expérience des correspondants me conduit aujourd’hui aux remarques suivantes :

- Pour qu’un correspondant ou pour qu’un accompagnant puisse être réellement le référent d’un jeune, il faut tout d’abord qu’il soit au plus près du terrain, c’est-à-dire sur le terrain du jeune et non pas sur le terrain de nos institutions. Là encore, il faut que la personne soit quelqu’un d’accessible, que le jeune puisse aller la rencontrer quand il en a besoin.

- Cela suppose que le correspondant n’accompagne qu’un petit nombre de jeunes. Les chiffres prescrits par les textes parlaient de cinquante, c’est sans doute un nombre trop important ; que dire alors des correspondants qui ont accompagné cent, cent dix, cent vingt, et parfois cent cinquante jeunes. Cela ne voulait plus rien dire. Sans doute les moyens dont dispose l’Etat ne permettent-ils pas d’avoir un accompagnant pour vingt jeunes, mais sans doute aussi faut-il pour cette raison susciter, dans un souci de partenariat, la collaboration de toutes les institutions qui rencontrent les jeunes sur le terrain, et que tous les efforts qui sont déjà faits dans ce sens puissent être reconnus et, parfois, rémunérés comme il se doit.

- Il faut aussi à mon sens sue le correspondant n’ait pas de responsabilité directe dans la prescription d’un stage pour le jeune. Les correspondants sont, au sein des Missions Locales ou des permanences d’accueil, des gens qui ont la double responsabilité, certes de rencontrer le jeune, mais aussi de lui faire suivre un stage. Et je remarque que la préoccupation de la « mise en dispositif » l’emporte parfois sur l’accompagnement personnel du jeune, notamment, avec des programmes comme celui de PAQUE, qui se met en place depuis le mois de juillet, et se traduit en termes de commande pressante aux correspondants, pour que tant de jeunes soient entrés en stage avant telle date.

Alors, la priorité est de caser le jeunes dans les délais les plus rapides. Comment une telle préoccupation peut-elle s’accorder avec le souci d’accompagner personnellement le jeune au long de l’itinéraire qui est le sien ?

- Autrement dit, le correspondant, l’accompagnant, a un double profil, une double responsabilité : il est un référent personnel du jeune, y compris dans sa vie personnelle dans la mesure où le jeune le souhaite, et il est aussi un catalyseur, c’est-à-dire la personne qui est capable de reglobaliser les problèmes par la collaboration avec les divers intervenants sociaux dans la vie du jeune : le tuteur, le travailleur social, le formateur, etc.

C’est l’homme qui recompose l’unité des intervenants autour de la personne du jeune, qui mobilise les intervenants comme partenaires des jeunes.

Sixième condition : valoriser le potentiel de compétences, l’évaluer, le reconnaître, le valider. Nous avons toujours deux logiques à l’œuvre depuis dix ans et l’on n’en sort pas.

La première logique, qui part de la personne, est de valoriser, de reconnaître ses acquis et d’essayer de les faire reconnaître et de les traduire en termes professionnels.

Cette logique est une logique pédagogique de développement de la personne qui, en ce qui concerne les publics en difficulté, nous paraît être la seule logique qui puisse être efficace. L’autre logique est celle de la validation officielle, c’est-à-dire de diplômes qui ont été institués au sein des différentes commissions, qui ont été décrétés, qui ont fait l’objet de référentiels de métiers et de formations et qui sont délivrés par un certain nombre d’instances.

Ces deux logiques ne parviennent pas à se rejoindre. Je ne sais pas comment nous pouvons sortir de cette situation. Les CAP par unités capitalisables ont été certainement un grand progrès à cet égard. Il faudra qu’en ce qui concerne AJR, nous travaillions de près cette question qui est un des obstacles que nous rencontrons. Il faut arriver à concilier ces deux logiques.

Un certain nombre des points que je viens d’indiquer ressortent du rapport d’évaluation du CFI, mais vont au-delà de celui-ci ; plusieurs de ces points pourraient illustrer le cas d’AJR, et je pense que ce sera l’une des suites de ce colloque.

Cependant, il ne faudrait pas considérer que la question ne se pose qu’au niveau technique malgré la technicité des questions qui pourraient être abordées. Au sein du Mouvement ATD Quart Monde, nous sommes très sensibles à ne pas dissocier ce qui peut être évolution des dispositifs et mesures à prendre en vue de la promotion collective d’un milieu.

A cet égard, je voudrais terminer par une réflexion qui donne bien la perspective dans laquelle nous situons ces propositions. C’est la réflexion d’un responsable d’ATD Quart Monde à Bordeaux que je cite. Il écrivait : « Il s’agit d’une démarche unifiée de mise en route avec une population en vue de la restaurer dans ses droits. Rejoindre les plus pauvres pour permettre leur participation à la vie sociale est la première étape vers le droit au métier. »

C’est à ce droit à la citoyenneté qu’en définitive nous voulons aboutir.

Rédaction de la Revue Quart Monde

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