Troisième table ronde

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Troisième table ronde », Revue Quart Monde [Online], Dossiers & Documents (1993), Online since 15 April 2010, connection on 10 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4509

Cette table ronde s’est déroulée avec la participation de Monsieur Pierre Ferry (Société Ferry-Capitain) ; Monsieur Pierre Laurent, AGEFOS PME (Haute Marne) ; Monsieur Alain Larouzée (Sociologue) ; Monsieur Xavier Godinot ( Mouvement ATD Quart Monde) ; Monsieur Michel Lemoine (Maire Adjoint de Sainte-Menehould)

Index de mots-clés

Jeunesse, Formation professionnelle

Les jeunes et leur environnement : quel partenariat bâtir pour l'accès au métier et à l'emploi ?

M. Laurent : Je suis conseiller en formation de l’AGEFOS PME. L’AGELOS PME, c’est le fonds d’assurance-formation des salariés des petites et moyennes entreprises. Je rappellerai très brièvement qu’un fonds d’assurance-formation est un organisme paritaire qui a pour mission, d’une part de gérer les budgets-formation des entreprises adhérentes, et d’autre part, d’apporter à leurs dirigeants et salariés des conseils dans l’élaboration des plans de formation.

Depuis 1985, un certain nombre de fonds d’assurance-formation sont aussi ce que l’on appelle des organismes mutualisateurs agréés. Dans ce cade, ils sont amenés à mettre en œuvre et à gérer des mesures de formation par alternance, en particulier le contrat de qualification dont on a parlé tout à l’heure.

Plus précisément, le projet qui fait l’objet de mon intervention est conduit en partenariat avec une grande entreprise, EDF/GDF. Cette grande entreprise nationale a choisi notre fonds d’assurance-formation comme organisme mutualisateur dans la mesure où nous pouvions, l’un et l‘autre, calquer nos structures décentralisées.

Le projet est aujourd’hui un programme en cours, sur lequel nous avons travaillé ensemble (je reviendrai de manière plus détaillée ensuite sur l’ensemble des partenaires qui y contribuent). Il a visé à permettre à quinze jeunes haut-marnais, en difficulté d’insertion socioprofessionnelle, d’atteindre un double objectif :

- un objectif en terme de qualification et d’emploi ;

- un objectif sportif : atteindre un niveau suffisant leur permettant de courir le marathon de New York.

Il s’agit tout d’abord de qualification et d’emploi, mais on a mis en parallèle ces deux objectifs, dans la mesure où il nous a semblé que l’apport sportif permettait, à travers la motivation, de développer le goût de l’effort sur le long terme.

Pourquoi EDF/GDF et AGEFOS PME ? Parce que nous poursuivions un objectif commun : créer une dynamique locale autour des petites et moyennes entreprises qui sont les adhérents de l’AGEFOS PME, qui sont aussi les clients d’EDF/GDF. EDF/GDF, grande entreprise, poursuit quant à elle l’objectif de s’insérer dans son environnement économique et social.

Dans le cadre de la convention qui nous lie, en Champagne-Ardenne et dans d’autres régions, nous avons conduit un certain nombre d’opérations autour de l’insertion des jeunes par le contrat de qualification. L’idée est née dans le nord de la Haute-Marne dans l’esprit d’un sous-préfet de Saint-Dizier qui était aussi marathonien. Cette idée a été reprise par un certain nombre d’acteurs, dont j’étais, et a séduit EDF/GDF. C’est de cette façon qu'est né le programme.

Avant de revenir sur le partenariat autour de ce projet, je voudrais dire un mot du dispositif. On a parlé tout à l’heure de contrat de qualification en montrant quelle était la liaison entre une entreprise et le jeune qu’elle emploie ; dans le cadre du projet Inserthon 52, l’originalité réside dans le fait que le partenariat se fait à trois, c’est-à-dire qu’EDF/GDF est l’employeur des quinze jeunes en contrat de qualification, mais ces quinze jeunes sont insérés chacun dans une entreprise d’accueil qui, dès le départ du programme, s’est engagée à l’embauche du jeune à l’issue de son contrat de qualification.

On a donc un partenariat à trois, l’ensemble du dispositif de formation étant financé par le fonds d’assurance-formation, EDF/GDF prenant à sa charge la rémunération des stagiaires.

Dans le cadre de ce projet particulier, vient s’ajouter bien sûr le volet sportif qui fait que d’autres partenaires ont rejoint le programme : la Direction Départementale Jeunesse et Sport, le Comité Départemental d’Athlétisme et le Club d’Athlétisme de Saint-Dizier.

Enfin, les contrats de qualification comportent un dispositif de formation ; trois organismes participent au projet. Il s’agit de l’AFPA (Association de Formation Professionnelle des Adultes) de Saint-Dizier, l’AFPI (ASFO de la Haute Marne) et le GRETA de Haute-Marne

L’ensemble de ces partenaires a constitué un Comité de pilotage qui a pour mission de suivre l’ensemble du dispositif. Ce Comité de pilotage se réunit tous les mois.

Pour le suivi concret sur le terrain, un certain nombre de moyens ont été mis en œuvre. EDF/GDF a dégagé un salarié qui a une mission de chef de projet ; il est ici aujourd’hui, il s’agit de Jean-Marie Savouroux. Il y a aussi les conseillers en formation d’AGEFOS PME, puis enfin un partenaire essentiel dans le suivi des jeunes, la Mission Locale de Saint-Dizier (dont le directeur Gilles Bayet est là aussi), qui a une fonction d’accueil et de suivi des jeunes avec les deux autres partenaires, EDF/GDF et AGEFOS PME.

Quel public avions-nous visé ? Avec EDF/GDF, nous nous étions fixés un objectif : l’insertion, dans le cadre du contrat de qualification, de jeunes présentant des difficultés d’insertion socioprofessionnelle et n’ayant pas atteint le niveau V.

Les jeunes, recrutés dans le cadre du programme, avaient un niveau de formation initiale très faible. Tous avaient des difficultés d’insertion professionnelle. Un grand nombre d’entre eux vivaient des situations familiales et sociales difficiles. La plupart, nous en faisons le constat aujourd’hui, compte tenu des problèmes auxquels nous avons à faire face, ont une grande instabilité psychologique.

Les critères de recrutement ont été simples, malgré l’aspect sportif du programme qui pourrait induire des caractéristiques particulières de recrutement. Je crois que l’on peut définir deux critères : d’une part, la volonté du jeune de s’insérer dans un projet  - il faudra y revenir car cela nous semble constituer l’une des limites du projet -, d’autre part et à cause du volet sportif, simplement une aptitude physique minimale.

Il faut savoir que, contrairement à ce que l’on peut croire, atteindre un niveau sportif permettant de courir un marathon ne demande pas de caractéristiques particulières, si ce n’est d’être en bonne santé et d’avoir un minimum d’aptitudes.

Le contrat de qualification proprement dit a été précédé par une phase dite d’émergence de projet qui a fait l’objet d’un financement de la part de l’Etat dans le cadre du CFI. C’est au cours de cette phase, en amont du projet, que les jeunes ont élaboré leur projet personnel (qu’est-Ce que je veux faire ? Vers quel métier je veux me diriger ?) et qu’a été conclu ce que l’on pourrait définir comme un mariage entre le jeune et une entreprise d’accueil.

J’ai évoqué le suivi du programme tout à l’heure ; on peut le résumer en quatre volets :

- des rencontres régulières du jeune en situation de travail dans son entreprise d’accueil, avec le chef de projet d’EDF/GDF, ou avec le conseiller en formation de l’AGEFOS PME, ou avec eux deux ;

- une coordination régulière des organismes de formation autour d’AGEFOS PME qui permet de faire tous les mois et demi ou tous les deux mois un suivi très précis, jeune par jeune, de l’évolution de leur plan de formation ;

- un dispositif de réunions d’information et de « formation » des tuteurs. Je n’aime pas trop parler de « formation des tuteurs », je préfère parler d’information et de traitement d’un ensemble de questions avec les tuteurs dans les entreprises. Le tuteur est soit un salarié de l’entreprise désigné à cet effet, soit, dans les petites entreprises, le chef d’entreprise lui-même ;

- puis enfin, à travers la fonction de la Mission Locale, l’accueil ponctuel des jeunes, et le cas échéant, des interventions pour traiter les problèmes sociaux ;

Où en est le programme aujourd’hui ? Trois jeunes ont quitté le programme Inserthon et ont été remplacés. Tous les jeunes ont couru le marathon de New York le 3 novembre 1992. Certains jeunes ont déjà validé une partie de leurs parcours de qualification. Aujourd’hui, l’enjeu essentiel du programme, après avoir atteint le premier objectif, sportif, c’est d’une part de travailler sur ce qui va permettre au jeune de continuer à se motiver dans le programme et d’autre part, avec les entreprises, de formaliser l’emploi à l’issue du contrat de qualification.

Je pourrai tout à l’heure apporter plus de précisions sur le contenu du programme. Ce sur quoi je voudrais intervenir maintenant, et qui nous intéresse plus dans le cadre de notre rencontre, c’est de voir quelles sont les limites du programme et de poser certaines interrogations par rapport au public des jeunes eux-mêmes et par rapport au partenariat.

On a commencé à travailler cette question en particulier avec Jean-Marie Savouroux d’EDF, et Gilles Bayet, directeur de la Mission Locale, parce que ce questionnement nous sert de base pour définir le cahier des charges de l’évaluation globale du dispositif. Car nous souhaitons faire en sorte que, dès début 1993, avant la fin des contrats de qualification, nous ayons défini les conditions à partir desquelles nous allons évaluer ce dispositif, la place des acteurs, les difficultés rencontrées, et le cas échéant, tirer des leçons quant à l’éventuelle transférabilité de tout ou partie du programme.

Un certain nombre de questions se posent par rapport aux jeunes. On s’est interrogé sur les limites du programme à la fois à l’occasion de la préparation de cette rencontre, et aussi par rapport à la façon dont nous essayons d’analyser les difficultés que nous rencontrons avec les jeunes.

Il faut essayer de repérer à partir de quelles conditions des jeunes peuvent s’insérer ou pas dans ce type de programme sachant qu’au départ, le contrat de qualification, s’il est proposé d’emblée au jeune, constitue, me semble-t-il, un cadre relativement rigide quant aux modalités d’insertion.

La condition d’entrée d’un jeune dans le programme me semble être liée à sa capacité à montrer un minimum de volonté, je l’ai évoqué tout à l’heure et puis, autre condition, avoir un minimum de compétences sociales du fait qu’il va être amené à vivre en groupe et à travailler dans une entreprise. La situation classique du jeune qui ne vient pas travailler le matin à 8 heures, c’est peut-être une tarte à la crème, mais c’est l’un des problèmes très concrets sur lequel on a été amené à travailler et sur lequel on continue à travailler, parce que l’effort de socialisation se poursuit tout au long du programme. Il y a donc une première série de limites.

Je vous ai dit que trois jeunes avaient quitté le programme Inserthon. Il y a des questions à se poser par rapport à cela ; en particulier, il faut faire le constat que notre projet n’est pas allé jusqu’à pouvoir répondre à leurs attentes. Il faudra aller plus loin au niveau de l’analyse, mais des jeunes ont rencontré des problèmes de délinquance, ont des problèmes affectifs très difficiles à résoudre et ont, à un moment donné, quitté le programme, on pourrait dire qu’ils « ont disparu »du système.

J’ai évoqué la relative rigidité du contrat de qualification s’il est proposé d’emblée à un jeune ; la première conclusion que l’on peut tirer de l’expérience, c’est que la phase d’émergence de projet, d’une durée de deux mois et demi à trois mois, me semble devoir être beaucoup plus longue.

Tous les intervenants précédents ont insisté sur la notion de durée, il faut laisser du temps au temps pour que l’insertion puisse se faire. Je confirme ce point, il faudrait pouvoir concevoir des dispositifs qui permettent de travailler l’insertion de jeunes, en particulier ceux qui sont en plus grande difficulté, sur une durée de trois ans. A une condition, c’est que le partenariat à construire autour du contrat de qualification commence dès le début du projet.

C’est-à-dire que, dans une phase que l’on pourrait appeler de pré-qualification, des entreprises se soient déjà engagées dans l’accompagnement des jeunes.

Je crois que le partenariat est essentiel à la réussite d’un projet comme celui-là. L’originalité était, dans le cas d’espèce, de faire la liaison ente une grande entreprise et des PME. Sur les quinze employeurs qui ont accueilli les jeunes, on a neuf petites entreprises, deux entreprises de taille moyenne (entre 200 et 400 salariés), et on a trois organismes publics ou associatifs.

C’est bien autour de l’entreprise d’accueil que se noue l’essentiel des choses. D’abord pour une raison de fond : l’entreprise, en particulier la petite et moyenne entreprise, si elle a une capacité à accueillir l’emploi - on le voit bien dans les statistiques -, n’est pas forcément préparée à accueillir un public de jeunes (ou de moins jeunes, je pense à des chômeurs de longue durée). La PME n’est pas préparée à la situation d’insertion dans laquelle on lui demande d’être l’acteur principal.

Je pense que l’accompagnement que l’on fait du jeune dans l’entreprise, en particulier à travers le suivi du tuteur, pourrait dans les petites entreprises faire l’objet d’un accompagnement plus global de l’entreprise elle-même. C’est-à-dire qu’à partir de la situation d’insertion d’un jeune dans une entreprise, on puisse en même temps accompagner une réflexion de l’entreprise sur son propre développement. La formation de tuteurs dans une petite entreprise peut aller beaucoup plus loin que la simple situation d’insertion mais être aussi un accompagnement de l’entreprise elle-même.

Une des difficultés du partenariat et de l’engagement des partenaires tient aussi au public. Il faut dire que le public jeune, en difficulté d’insertion, avec lequel on travaille n’est pas un public qui renvoie forcément une image gratifiante. C’est un public difficile, la mesure de la réussite ne se fait que sur le moyen, voire le long terme. Il faut que les partenaires qui s’engagent sur ce type de projet soient bien clairs quant à leur engagement. Que sont-ils prêts, chacun, à accepter ?

Je ne parle pas de l’aspect financier qui est assez lourd, mais qui, sans entrer dans les détails, doit-être mis en rapport avec les coûts sociaux induits par l’exclusion.

M. Vacquin : L’un des grands problèmes de la vulnérabilité du tissu industriel français, donc de l’emploi, c’est le transfert socio-managérial qui ne s’opère pas des grosses entreprises aux petites. Je me demande si, en sollicitant les PME, seul terrain où il y a de l’emploi, on n’aboutirait pas à l’enrichissement qualifiant de leur potentiel.

Il y a là, dans le jeu de la sous-traitance d’EDF, quelque chose d’utile - je crois que le nucléaire y travaille - C’est ma réaction personnelle.

On a eu là un exemple d’une tentative supposée réussie de mise en œuvre, on va maintenant tirer profit d’acteurs qui sont à la recherche de meilleurs moyens à mettre en œuvre.

M. Lemoine : Je suis Maire-adjoint de Sainte-Menehould. Nous avions réfléchi pour créer une association intermédiaire parce que nous avons un certain nombre de personnes en difficulté sur le bassin de Sainte-Menehould  On s’est aperçu très vite que cela ne fonctionnerait pas parce qu’il n’y avait pas assez de petits boulots ou de travail.

Nous avons réfléchi à une autre structure qui pourrait, celle-là, fonctionner en partenariat.

Je vais vous présenter le projet de la ville de Sainte-Menehould et le contexte dans lequel il se situe. Sainte-Menehould se trouve dans une région rurale, dans un canton de 15 000 habitants. Sainte-Menehould est une ville industrielle de près de 6 000 habitants. Ville industrielle avec CEBAL - une filiale de Péchiney -, avec Geiger, et des entreprises spécialisées pour beaucoup dans la mécanique de précision.

Sainte-Menehould est donc la ville-centre qui regroupe les services administratifs, les commerces. Les entreprises artisanales y sont nombreuses et très dynamiques.

Semblable en cela à d’autres villes et d’autres régions, la ville de Sainte-Menehould et les communes d’Argonne comptent des chômeurs. Ici aussi, les personnes les plus touchées par le chômage sont les jeunes, les femmes et les hommes sans qualification. Trop souvent, ces difficultés s’accroissent au fil des ans.

Ce contrat a amené le Maire de Sainte-Menehould à proposer une association où tous les partenaires socio-économiques se réuniraient au sein d’un Comité de bassin. Ce Comité de bassin doit avoir des solutions adaptées au bassin de vie qu’est Sainte-Menehould.

On a pensé que ce Comité de bassin pourrait se doter d’un outil d’action, une structure intermédiaire. J’ai déjà entendu ce terme dans cette assemblée.

Quelques chiffres. Actuellement sur Sainte-Menehould et son canton, on compte 587 demandeurs d’emploi ; sur ces 587, plus de 150 sont des jeunes. On sait que les difficultés de vivre continuent, perdurent et s’aggravent pour les gens et leurs familles, puisque les personnes en difficulté mettent aussi leur famille en difficulté.

Bien sûr, comme dans toute la France, des actions nationales sont lancées. Pour sa part, la ville, avec le partenaire qu’est l’ANPE, participe à ces opérations pour l’emploi. C’est ainsi qu’il y a quatre ans, un chantier forestier a été mis en route et il fonctionne bien. Une personne compétente et dévouée entraîne des bénéficiaires du RMI à travailler dans la forêt. Nous avons fait également des actions en direction de la population féminine.

On pense que l’on peut aller plus loin et qu’il faut associer pou réussir. Dès lors que l’on cherche à résoudre l’équation : chômage/offres d’emploi/réinsertion, il est nécessaire que les acteurs industriels, les communes, les services sociaux, les services de l’Etat s’allient pour réussir dans un comité de vie, dans un comité de bassin.

On a réfléchi aux objectifs de la structure intermédiaire. Il faudrait hausser le niveau de connaissances générales et professionnelles des personnes qui ont déjà une qualification et qui voudraient obtenir une qualification connexe ; conduire des politiques de formation alliées à des actions de réinsertion pour les personnes se situant à la frange du requis pour trouver un emploi, ceux qui peuvent presque occuper un emploi mais auxquels il manque le punch nécessaire ; hisser les personnes les plus exclues, par paliers successifs, rendant possible la réinsertion sociale, puis économique.

Pour atteindre ces objectifs, il faut associer tous les acteurs socio-économiques. Cela pourrait se passer avec des périodes de remise à niveau dans le domaine professionnel ou dans le domaine de la vie courante.

Il s’agit de hausser le niveau de connaissances et de conduire des actions de formation et d’insertion.

Pour ces actions, nous avons pensé à des travaux chez les particuliers, par le biais de l’association intermédiaire. Nous avons aussi pensé au regroupement de personnes pour réaliser des travaux simples, sans outillage coûteux. Exemple : l’entreprise CEBAL demande la finition de pièces plastique ; il est tout à fait possible pour cela de travailler en groupe de personnes.

A ces activités dans les entreprises, qui me semblent très importantes, il faut ajouter les actions d’accompagnement. La structure intermédiaire doit être pour la personne le point d’ancrage hebdomadaire. Le temps de travail peut comporter des blancs, la personne peut se retrouver sans activité, les actions d’accompagnement hebdomadaire ont pour objectif de maintenir la pression du processus de réinsertion. J’insiste sur ce point.

On ne peut pas trouver des activités pour des gens pendant une semaine, puis les laisser trois semaines chez eux sans nouvelles ; c’est pour cela que quelques heures par semaines, il faudrait qu’ils retrouvent un point fixe, un point d’ancrage.

La structure intermédiaire doit s’inscrire dans la durée. On sait que le durée d’une réinsertion se compte en années. Le statut unique accordé aux stagiaires est indispensable pendant toute la durée de l’action.

Enfin, il faut assurer la continuité. On ne peut pas accueillir des gens en difficulté pour six mois, un an, et après les laisser tomber, ce n’est pas possible. La structure intermédiaire doit être un outil adapté aux réalités de l’Argonne. La durée permettra à cette unité d’action d’être reconnue comme interlocutrice qualifiée dans le problème de l’emploi et de la réinsertion par les acteurs économiques de notre région.

M. Vacquin : La formule « laisser le temps au temps » est un leitmotiv.

M. Ferry : M. Pouthas m’a demandé de revenir sur mon intervention de ce matin qui était peu claire. Je voulais simplement préciser ce matin qu’une façon de partager le travail, c’est le travail à mi-temps. J’ai eu l’occasion d’en parler tout à l’heure avec M. Buguet qui m’a indiqué que dans le bâtiment, il y avait là une avancée importante. Il peut peut-être préciser ce qui a été fait, je crois que c’est tout à fait intéressant. Si l’on veut pouvoir insérer des gens, il faut pouvoir dégager des postes de travail. C’est évident.

M. Buguet : L’ensemble des partenaires du bâtiment ont signé au mois d’août un accord original qui mériterait d’être étudié plus à fond. Il consiste à autoriser les salariés du bâtiment âgés de 55 ans, ayant généralement derrière eux plus de 40 ans de travail, et ayant largement dépassé les 37,5 ans leur permettant de prétendre à la retraite, à ne plus travailler qu’à mi-temps ; l’Etat ajoute au demi-salaire qui leur est versé 30%, c’est-à-dire qu’ils travaillent à mi-temps mais perçoivent 80% de leur salaire.

L’obligation est faite à l’entreprise d’embaucher de façon concomitante un jeune sans qualification. En clair, on dégage un poste et l’on met un jeune sur un poste réel, avec l’obligation de former ce jeune ; l’idée sous-jacente est que le salarié qui part à la retraite, qui a du savoir-faire de chantier, puisse le transmettre au jeune

L’accord que nous avons signé porte sur 7 500 postes de travail. La formule a un réel succès.

M. Ferry : Le problème que nous avons en Haute-Marne est le suivant : nous avons dans le nord de la Haute-Marne pas mal de jeunes d’origine algérienne. La première génération s’est bien intégrée. En général, ils étaient harkis, amenés par un responsable harki qui était dans une entreprise de Haute-Marne. Mais avec la deuxième génération, cela se passe moins bien. Tout d’abord parce que le chômage est assez important en Haute-Marne ; ensuite parce que, même si on ne le dit pas, le racisme joue et ces jeunes ont plus de difficultés pour trouver du travail que les gens d’origine française.

C’est un constant. L’autre constat que l’on a fait est le suivant : au Maghreb, le développement économique est très freiné, surtout en mécanique et en métallurgie par le manque de compétences. On peut se demander si l’on ne peut pas trouver une solution pour que ces jeunes soient – non pas renvoyés – mais envoyés en mission par la France pou essayer de dynamiser ces pays-là.

Nous avons une expérience concrète et réussie au Maroc. Nous avons livré une entreprise marocaine une machine-outil qui avait besoin d’être retapée. Elle a été retapée par un ajusteur-mécanicien marocain que nous avons envoyé au Maroc. L’entreprise marocaine a été très satisfaite et nous l’a fait savoir.

On s’est dit que cela pouvait être l’origine d’une réflexion : si l’on ne trouve pas de travail pour ces jeunes, on peut peut-être les dynamiser en ayant deux styles de formation. D’abord, pour les plus aptes à faire des études longues, envisager une formation BTS-Maintenance, par exemple, à Saint-Dizier, en liaison avec le lycée technique Blaise Pascal, et parallèlement, former des jeunes plus manuels et moins doués pour les études théoriques dans le domaine de la maintenance et de la machine-outil.

Cette idée se double de la suivante : actuellement en Europe, les machines-outils classiques modernes ont perdu toute valeur, les machines-outils à commande numérique les ont remplacées ; dans les pays du Maghreb, il n’est pas très facile de faire marcher des machines très complexes. Les machines classiques récentes, simples à manier, seraient parfaitement utilisables dans ces pays.

On a fait une recherche en Tunisie, on s’est rendu compte que l’entretien des cimenteries ou des usines de phosphate était mal fait parce que tout le gros matériel ne pouvait être entretenu dans le pays par manque de compétences. L’idée est donc de se dire, peut-on - après avoir fait une étude - motiver des beurs pour une opération-développement de leur pays d’origine ?

C’est peut-être un rêve que nous avons, mais nous avons pas mal réfléchi avec M. Pouthas sur cette idée lors des réunions du Groupement d’étude et de mobilisation. Il a semblé à notre groupe de réflexion que c’était une idée qui valait la peine d’être creusée.

M. Vacquin : Ces acteurs, dont le plus grand désir n’est pas de retourner chez eux, ces gens employés chez nous, par nous, seraient peut-être les meilleurs vendeurs que l’on puisse avoir, et ce statut-là, les satisferait-ils ? D’autant que si on les forme à faire de la maintenance sur le terrain et qu’en même temps, on les forme à être des formateurs, c’est peut-être la meilleure façon que l’on a de rendre service au pays concerné.

M.Meyer : Je rejoins vote point de vue. Il est clair que l’émigration est un drame personnel pour chaque individu, qu’il doit s’y plier. L’action de l’IRCOD (Institut Régional de Coopération et de Développement) est d’aider au maintien sur place des populations. Dans les actions d’aide au maintien sur place des populations, il y a la formation, et cette formation est faite notamment par des industriels de notre région..

M. Vacquin : M. Ferry, si ces acteurs pas forcément acceptés chez nous sont intégrés dans cette mission en restant salariés de votre entreprise, valorisés comme tels dans ce que l’on appellerait « la présence à l’étranger », n’est-ce pas une dimension possible du développement des entreprises ?

M. Ferry : Cela peut être un moyen de développement de l’entreprise ; comme je le disais tout à l’heure, nous avons mesuré qu’en Tunisie, par exemple, il n’existait personne capable de faire l’entretien du matériel. On peut imaginer qu’avec les industriels de ce pays, on puisse constituer de petites entreprises, avec certains moyens, pour réaliser l’entretien. Nous sommes en train de l’étudier nous-mêmes.

M. Larouzée : Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée lorsque le Conseil Economique et Social Régional m’avait confié une mission sur l’insertion des jeunes. J’ai rencontré un jeune homme qui faisait réellement partie des exclus. Il en avait l’« uniforme », avait fait des séjours en prison nécessaires et suffisants pour que son CV lui vaille le titre d’exclu ; pourtant j’ai découvert qu’il était bourré de compétences.

Ce monsieur savait racheter des plans électroniques qui servent à ce que nos voitures aient un système anti-vol, il savait les lire, ce que je ne sais pas faire, il savait former sa bande à la lecture de ces plans. Il savait bien sûr prendre votre voiture, savait la repeindre, éventuellement il savait faire les quelques réparations mécaniques nécessaires pour qu’elle présente un bon aspect, et il savait la revendre. C’est un manager.

Ce monsieur, pour des raisons familiales, a eu une certaine prise de conscience de son  état et a décidé de se ranger. Un correspondant l’a mis sur les rails d’une formation, il s’est présenté aux sélections AFPA pour être électricien de bâtiment. Hélas ! il a été recalé. L’éducateur de rue qui se chargeait de lui, dans un quartier très défavorisé de Reims, a réussi à lui trouver un patron et il est maintenant entré en apprentissage.

Dans le monde où il vit, il y a des valeurs qui ne sont pas les mêmes que les nôtres. Il n’a pas abandonné sa bande, il a revendu son entreprise, il l’a transférée à un autre. Et cela fonctionne.

On a parlé tout au long de cette journée, de formation, de temps ; moi, le temps, je le traduis un peu en espoir. Le paramètre temps dont on a parlé tout au long de la journée, c’est comment rendre de l’espoir.

La formation risque de reporter le moment où l’espoir va s'enclencher. La formation permet d’accéder à un métier mais, au quotidien, beaucoup de missions ne sont pas remplies. Il y a des missions très traditionnelles d’aide aux personnes âgées ; ce sont des sous-emplois qui ne peuvent pas rendre la dignité à l’individu qui va les occuper parce que, pour lui rendre la dignité, il faut qu’il ait cet espoir, il faut qu’il puisse vivre économiquement.

Avec un certain nombre de personnes, on s’est mis à chercher où étaient les gisements d’emploi aujourd’hui. Parce que, si la conjoncture économique rétrécit le nombre d’emplois, on va vendre de l'espoir en formant à des métiers pendant deux ou trois ans, et puis après on va recréer des ghettos. Ces ghettos seront de nature différente : on dira aux gens qu'il faut encore entrer en formation parce que les qualifications ont changé. On va donc toujours courir après quelque chose.

Je crois qu’il y a autour de nous des gisements d’emploi qui ne sont pas occupés par manque de volonté politique, notamment dans les métiers verts. Ces métiers verts intéressent tout le monde, et même les décideurs d’aujourd’hui parce qu’en termes électoraux, cela rapporte des voix.

Un métier vert, c’est un métier qui touche à l’environnement. Cela va du nettoyage des bois au nettoyage des communes, au nettoyage des espaces verts, éventuellement à la récupération des déchets quand on nettoyé les espaces verts, à la fabrication du compost, au tri des ordures ménagères, bref à toute chose dont on va devoir se préoccuper pour des raisons très légitimes de protection de l’environnement, parfois pour d’autres raisons.

Il y a là plein de métiers, plein d’emplois qui, parce que nous n’avons aucune idée du coût indirect de la détresse, ne sont pas occupés. Des sommes traînent partout, mais c’est un franc dans un ministère, trois francs dans une associations, cinq francs dans une entreprise qui est prête à les mettre. On ne peut jamais trouver l’adéquation du portefeuille qui nous permettait de créer de l’espoir en aidant à la création d’entreprises qui vivent au service de l’ensemble des citoyens. Ces entreprises pourraient ensuite être cédées à ceux qui y travaillent.

C’est un peu un rêve ; en tout cas, il est clair qu’il y a plein de compétences que l’on ne sait pas repérer parce qu’elles ne sont pas dans le champ de nos valeurs.

M. Vacquin : Je vais demander à M. Godinot d’apporter la conclusion à cet échange, étant entendu que le champ que vous nous ouvrez conduit effectivement à une inversion radicale des modes de lecture ; pour créer du travail, utilisons les compétences existantes.

Il est vrai que c’est un réflexe qui nous manque terriblement.

M. Godinot : Je voudrais reprendre six points différents à propos de cette table ronde sur le partenariat.

Le premier point, très important, concerne le public visé. Dans toutes les expériences qui ont été évoquées, quel est le public visé ? Il faut souligner une logique qui pèse sur toutes les institutions : quelles que soient les mesures, les bénéficiaires des opérations d’insertion sont ceux qui sont le moins exclus parmi les exclus.

C’est une logique constante que l’on observe aussi bien dans les organismes de formation que dans les entreprises ; cette logique est souvent relayée par les financeurs. Ainsi lorsque l’on monte une opération d’insertion avec des financements spécifiques, il arrive souvent que les personnes recrutées ne soient pas les plus pauvres, pour des raisons d’efficacité, notamment du point de vue des financeurs.

Je voudrais donner un exemple réel observé dans une autre région : lorsqu’un Conseil régional dit : « Je vais évaluer les actions d’insertion professionnelle par le nombre de placements en entreprise au bout d’un an de formation » , un critère comme celui-là s’impose aux travailleurs sociaux qui font le recrutement, il s’impose aux travailleurs sociaux qui font le recrutement, il s’impose aux organismes de formation ; à la limite, il s’impose aux entreprises. Alors vous êtes sûr que les plus pauvres sont complètement évacués du dispositif parce que l’on sait très bien qu’en un an, ils ne pourront pas accéder à l’emploi. Je pense qu’il faut avoir une double réflexion concernant le public visé. Première réflexion : quels que soient les textes, quelles que soient les mesures, il faut une volonté forte des acteurs locaux de toucher les plus pauvres ; sans cette volonté, tous les textes sont détournés.

Cette volonté doit être nourrie. Comment nourrir cette volonté des acteurs locaux de toucher les plus pauvres ? Elle se nourrit de la rencontre des plus pauvres. D’où une autre question : quels moyens prévoit-on pour que les acteurs, les décideurs, rencontrent cette population qui souffre ? On a entendu ce matin ce que vivent les gens qui sont dans une situation insupportable. Si cette rencontre ne se fait pas, on est sûr qu’à moyen terme les plus pauvres seront abandonnés. Comment nourrir cette volonté de toucher les plus pauvres et comment les rencontrer ?

Autre réflexion : comment atteindre les publics les plus pauvres ? Quels critères d’évaluation retient-on ? Il est indispensable d’avoir une réflexion sur les critères d’évaluation des opérations d’insertion professionnelle et de formation.

Je reprends l’exemple de tout à l’heure. Si au bout d’un an, on veut placer les gens en entreprise, on sait qu’on exclut. Ne peut-on pas réfléchir à d’autres critères d’évaluation tenant au niveau de départ des personnes, et permettant de mesurer qu’une progression a été faite, qu’il y a eu bénéfice pour la personne et pour la collectivité, ce que sont en droit d’attende tous les financeurs ?

Deuxième point de cette table ronde : quels sont les partenaires que l’on choisit ? Quels sont les partenaires possibles ? On peut peut-être rappeler en deux mots que, depuis une vingtaine d’années, les partenaires de la formation professionnelle et de la lutte contre l’exclusion se sont multipliés du fait des lois de décentralisation, des lois sur la formation professionnelle, etc. Ils sont multiples, on les a évoqués beaucoup tout à l’heure, on a cité les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les entreprises, etc.

Il n’est pas toujours facile que chacun trouve vraiment son rôle dans ce jeu qui devient de plus en plus complexe. Je crois qu’il est important, du point de vue des plus pauvres, de choisir des partenaires qui vont faire avancer le droit. C’est-à-dire pas seulement des partenaires caritatifs, mais aussi des partenaires comme le service public de l’emploi, les partenaires sociaux qui vont faire avancer toute cette réglementation dont on a dit qu’elle n’était pas tout à fait adaptée. J’y reviendrai.

Dans ce partenariat, il faut aussi parler des conditions du partenariat avec les plus pauvres eux-mêmes, avec les apprenants, ce dont on ne parle pas assez.

Quelle réflexion a-t-on sur les conditions d’un véritable partenariat dans les actions de formation ?

Je vais évoquer un certain nombre de choses que nous avons essayé d’expérimenter dans l’opération d’insertion que nous avons menée à Lyon et que vous avez vue dans la vidéo. On a essayé une foule de choses, par exemple, de créer des réunions de stagiaires par petits groupes, par sites géographiques. Nous avons fait des assemblées générales de stagiaires ; nous avons fait des sorties-détente, pour que les différents acteurs, les formateurs, les tuteurs éventuellement, puissent fréquenter d’une autre façon les stagiaires, apprendre à les entendre et les découvrir avec un autre regard. C'est aussi une façon de créer un partenariat. On a suscité l’élection de délégués de stagiaires.

Nous n’avons trouvé aucune recette-miracle, mais nous avons sans arrêt essayé d’inventer des formules pour que, dans les opérations d’insertion, il y ait un véritable partenariat avec les plus pauvres, c’est-à-dire qu’ils puissent s’exprimer, qu’ils puissent donner leur évaluation continue du dispositif et que l’on puisse en tenir compte.

Cela implique d’accepter d’emblée le risque de la contestation. J’ai fait l’expérience à Lyon d’être parfois vigoureusement contesté dans les assemblées générales des stagiaires, par certains d’entre eux qui étaient en grande difficulté, qui disaient : « Votre opération ne marche pas, regardez comment je suis. » Cela fait partie de la règle du jeu, c’est comme cela qu’on apprend les uns et les autres et c’est comme cela qu’on se change les uns et les autres.

Il n’y a pas de partenariat sans possibilité de contestation, c’est peut-être pour cela que souvent on ne créé pas ce partenariat, mais plutôt des parodies de partenariat.

Troisième pont sur lequel il faut revenir : la question des statuts.

On l’a évoqué très largement pour l’AJR, nous l’avons expérimenté aussi très fortement dans notre expérience lyonnaise, puisque sur un parcours d’insertion professionnelle et de qualification de trois ans, nous avons été obligés d’enchaîner pas moins de cinq statuts différents. Vous imaginez le casse-tête invraisemblable que cela a été et la déperdition d’énergie à laquelle cela nous a conduits

On a beaucoup parlé aussi aujourd’hui de dérogation. Bien entendu, on est obligé au départ de faire des dérogations, mais la dérogation a très vite ses limites. Nous l’avons expérimenté à Lyon puisque nous avons travaillé en accord étroit avec la Direction régionale du Travail. Celle-ci a écrit dans un texte d’évaluation de notre opération : « Il était prévu que ce dispositif ne pourrait pas fonctionner sans dérogation ; dans les faits la dérogation s’avère souvent impossible. »

C’est un chargé de mission de la DRTE (Direction Régionale du Travail et de l’Emploi) qui écrit cela sous couvert de son directeur, lequel a été dans toute cette opération, appuyé par le Préfet de Région.

Cela vous dit combien la dérogation a très vite ses limites. On est obligé, à un moment donné, de se poser la question d’un changement de la réglementation, et donc d’un changement de la loi. Or bien évidemment, cela renvoie la question à ceux qui font la loi dans le domaine de la formation professionnelle, les partenaires sociaux et puis le législateur.

Comment cette question va-t-elle être reprise pour l’AJR ? Il faut la traiter au niveau régional, nous le disions tout à l’heure, il faut avoir des financements, mais comment va-t-on reprendre cette question en terme de changement de réglementation ?

Cette question s’est aussi posée pour nous au sujet des adultes. Elle nous a conduits à demander au niveau national, aux partenaires sociaux, la création d’un contrat de qualification pour les adultes. Ce ne sera pas non plus une panacée. On sait très bien que dès qu’il sera créé, il y aura des tentatives de dérive. Il n’empêche que c’est une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante.

Quatrième point : l’implication des entreprises dans tous ces dispositifs d’insertion professionnelle.

Dans les différentes expériences menées ici et là, on voit beaucoup d’essais pour un partenariat actif avec les entreprises : des créations de comités de parrainage, des rencontres avec des tuteurs, des visites dans les entreprises, etc. Ce sont des choses importantes. L’expérience montre cependant que, dans l’ensemble, le monde du travail est peu préparé à accueillir et à accompagner les personnes en grande pauvreté. Il ne faut pas se le cacher. Y parvenir nécessitera une action de longue haleine.

Nous sommes dans cette action de longue haleine, nous en sommes tous les acteurs, cela doit continuer et s’amplifier.

A cette fin, pourrait-on confier à des professionnels (de l’entreprise, de la formation et de l’insertion) cette sensibilisation des entreprises à la possibilité pour elles de faire de l’insertion ?

Cela se fait dans la région Rhône-Alpes. Une association qui s’appelle ARAVIS (Agence Rhône-Alpes pour la Valorisation de l’Innovation Sociale) a été créée ; elle est dirigée par les partenaires sociaux. Une de ses missions est de rencontrer des comités d’entreprise et de leur dire : « Vous réfléchissez sur la réorganisation du temps de travail. Avez-vous pensé qu’il était possible pour vous de faire des opérations d’insertion professionnelle, de qualification ? »

Cette question ne doit-elle pas donner lieu à réflexion dans le cadre de cette région ?

Cinquième point : l’orientation professionnelle dont on n’a pratiquement pas parlé aujourd’hui. L’orientation professionnelle est un problème important pour tout le pays. Chacun sait qu’il y a des files d’attente énormes des jeunes filles voulant se préparer à des CAP de sténo-dactylo pour lesquels il n’y a pas de débouchés. C’est un fait bien connu. Pour des jeunes et des adultes les plus défavorisés, nous aussi, nous avons rencontré très fort ce problème d’orientation professionnelle. Je dirai même que nous nous sommes un peu laissé piéger dans le sens où nous avons voulu coller trop vite aux aspirations immédiates des adultes rencontrés qui nous disaient vouloir être auxiliaire de vie, électricien, mécanicien, etc. sans nous rendre compte de la fragilité de leurs projets professionnels, parfois après des années de chômage.

Lorsque l’on monte des opérations d’insertion, de qualification, il est important de savoir que les projets de personnes qui arrivent en situation d’exclusion sont excessivement fragiles. Ils reposent souvent sur une image un peu fausse de leur capacité ou de leur incapacité, et sur une image assez fausse des professions qu’ils préparent.

Il faut prévoir dans les dispositifs tout un temps d’expérimentation, de découverte des professions, c’est un temps incontournable sans quoi les stagiaires changent d’orientation. Nous l’avons expérimenté dans notre opération au bout de deux ans, un tiers des adultes avaient changé d’orientation, parfois plusieurs fois.

Il faut prévoir ce temps de découverte du métier et d’expérimentation pour qu’ensuite s’établisse une orientation professionnelle plus ferme à partir de laquelle peut-être envisagée une formation professionnelle.

Dernier point qui a été en filigrane de toutes nos discussions : pour faire de l’insertion, il faut dégager des postes de travail. On en a assez peu parlé. On a évoqué le partage du travail, le temps partiel… C’est un problème tellement énorme, on sent bien que cela nous entraînerait trop loin. Cela nous aurait amené à des réflexions qui ont lieu ailleurs sur un nouvel ordre économique européen et mondial. On n’a pas voulu aborder ce problème et je pense que l’on a eu raison. Il n’empêche que la question se pose et que l’on ne peut pas y échapper. Tant que l’on aura un chômage aussi important, les plus pauvres risquent d’être toujours les plus pénalisés. On est forcé de réfléchir à cette question.

M. Vacquin : Nous nous approchons du moment où vont se terminer nos échanges, prémices aux travaux de fond que vous allez entamer dans les mois à venir.

Je voudrais juste dire une chose qui me paraît importante. Je connais très mal la Fonction publique, la première fois que j’ai eu l’occasion d’y intervenir, j’ai découvert que le contrôle a posteriori n’y existait pas.

Or, dans le privé, le contrôle a posteriori, c’est quelque chose que l’on connaît bien M. Godinot très brillamment a commencé, dans sa synthèse, à évoquer les critères d’évaluation. Les critères d’évaluation permettent de mettre en œuvre en faisant accepter à tous les acteurs de contrôler a posteriori leurs actions pour voir si elles ont été conformes aux orientations données par le politique, et aux contributions financières mises, le cas échéant, par l’Etat.

Le contrôle a posteriori, cela sert aussi à réévaluer la pertinence des politiques et des moyens mis en œuvre.

Je crois entendre, dans l’ensemble des matériaux qui nous sont soumis aujourd’hui, l’extrême importance de cette fonction du contrôle a posteriori dans le travail ultérieur que vous allez entreprendre.

Il ne faut pas oublier, dans ce que vous allez mettre en œuvre, la nécessité pour le politique de se doter dès l’amont de ces expériences, de ce point de bilan et de contrôle a posteriori. Ceci devrait entraîner que cette longue durée que l’on revendique, permette des temps de réactualisation des politiques car il n’y a qu’à ce prix que l’on peut aller quelque part. M. Pouthas : Une  petite remarque, dans ce qui a été dit tout à l’heure, en termes de proposition à partir de l’expérience Rhône-Alpes : je signale aux politiques qu’une des propositions de notre rapport d’auto-saisine sur les formations contient l’idée de la mise en place dans cette région, avec l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) notamment, d’un organisme similaire à ARAVIS.

Nous sommes bien, dans cette région, au cœur des réflexions, au cœur des possibilités de réunir les acteurs, de mettre en œuvre l’ensemble des désirs exprimés aujourd’hui, parce que l’avenir est d’abord fait de nos désirs si nous voulons nous mettre en mouvement.

Rédaction de la Revue Quart Monde

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