Conclusions

Rédaction de la Revue Quart Monde

Citer cet article

Référence électronique

Rédaction de la Revue Quart Monde, « Conclusions », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1993), mis en ligne le 15 avril 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4510

Conclusion du colloque par Monsieur Claude Ferrand, Délégué général du Mouvement International ATD Quart Monde ; Monsieur Jacques Jeanteur, Vive-Président du Conseil Régional

Index de mots-clés

Jeunesse, Formation professionnelle

M. Ferrand : Nous le savons, nous l’avons dit largement aujourd’hui, gagner avec les jeunes de milieux défavorisés, ce n’est pas magique. Cela suppose tout un investissement humain au plus près des jeunes, de leur famille et de leur milieu.

Cet engagement implique d’abord la connaissance, non pas la connaissance des problèmes mais la connaissance des aspirations, de ce qui révolte les jeunes, des essais qu’ils font, une connaissance quantitative mais aussi qualitative.

C’est sur leur espoir que nous rencontrons les jeunes des milieux défavorisés, pour bâtir avec eux une véritable promotion permettant l’insertion.

« La formation et l’insertion économique des jeunes les plus défavorisés » : l’objectif de la journée était ambitieux, mais pouvions-nous le réduire ? Je ne le crois pas car sans cette promotion et cette insertion, l’avenir des jeunes et de leur famille est compromis. Il sera chômage et exclusion sociale.

Nous ne pouvons pas accepter qu’un jeune commence la vie active par le chômage sans formation, avec tout le gâchis et le coût humain qui en résultent. Toute société doit permettre à ses jeunes d’être utiles et d’agir pour leur propre bien et celui des autres.

Nous parlons ici des jeunes issus de familles en situation de grande pauvreté et d’exclusion sociale. Nous cherchons à inventer de nouveaux chemins pour les atteindre, mais il n’y a pas de coupure entre les précarités et la grande pauvreté, il ne peut donc y avoir de coupure dans les réponses.

L’expérience du Mouvement ATD Quart Monde nous éclaire sur les conditions à remplir pour réussir. La première condition, nous l’avons beaucoup exprimée, est de prendre les moyens pour rejoindre les jeunes là où ils vivent, de prendre en compte leur intérêt, de comprendre ce qu’ils veulent en les aidant à s’exprimer, de bâtir la confiance dans un partage de savoir, dans un premier temps presque gratuitement sans arrière-pensée.

Une deuxième condition est d’élaborer avec eux un projet qui concerne toute la vie. Les plus pauvres nous ont appris que la misère est une attente globale à la dignité, aux droits de l’homme dans leur indivisibilité. Répondre seulement par rapport à un droit fondamental sans répondre à l’atteinte aux autres droits ne supprime pas la misère.

Au point de départ, il y a toujours des personnes qui décident de s’engager, de partir à la recherche et à la rencontre de familles cachées, très isolées, rejetées et très démunies. De cette rencontre inscrite dans la durée naît une connaissance, base d’un projet de promotion familiale, sociale et culturelle ; ce projet crée les conditions de la mise en œuvre d’actions pour accéder au plein exercice des droits fondamentaux.

Peu importe par quel aspect nous appréhendons la globalité de vie des personnes, des familles et du milieu, que ce soit par le logement, l’éducation, les ressources, la santé, le travail et la formation professionnelle, il faudra toujours atteindre la globalité des droits de l’homme.

Ce colloque basé sur l’expérience d’actions témoins a validé de nouveaux savoir-faire qui permettent d’engager résolument leur transférabilité. Je pense à la manière de rejoindre les jeunes les plus exclus, à la manière de les soutenir dans ce qu’ils entreprennent, en partenariat avec eux et tous les acteurs du projet jusqu’à la qualification et à l’emploi en validant les acquis au fur et à mesure.

Je pense aussi à la manière d’inscrire tout projet personnel dans une action globale de promotion familiale, sociale et culturelle qui prend en compte tout le milieu de vie.

Nous avons la conviction que personne n’est irrécupérable. Cette conviction éprouvée nous confère l’exigence de choisir, comme base de réflexion et comme mesure des avancées, la réussite des jeunes que nous identifions comme les plus marqués par la grande pauvreté et l’exclusion sociale. Il s’agit de les prendre comme référence non pas pour inventer des mesures spéciales pour eux, voire des passe-droits mais pour réfléchir, imaginer et créer avec eux les conditions de la réussite.

Toute l’expérience et l’histoire de l’atelier AJR en témoignent. C’est la réussite de ceux qui étaient le plus loin qui encouragent le plus tout le monde. C’est alors tout un atelier, une entreprise, un organisme de formation professionnelle qui devient performant et gagnant, c’est aussi tout un pays.

Je retiens une parole de M. Pouthas qui nous disait en introduction : « donner de l’espoir aux plus démunis, c’est aussi donner du sens à notre société. » Travailler avec les plus démunis ne veut pas dire faire une bonne action, ni retarder les autres ; au contraire, chaque réussite avec le plus exclu est une sécurité pour tous, notamment pour celui qui risque de tomber dans l’exclusion, et une promesse d’avenir.

Atteindre ceux qui ont eu le moins de chance, les plus exclus à cause de la misère, c’est faire preuve de beaucoup d’innovation et de sérieux dans l’évaluation.

Pour le Mouvement ATD Quart Monde, je voulais prendre un  engagement et formuler une proposition. L’engagement, c’est de participer aux comités de pilotage des projets qui seront initiés suite à ce colloque, dans la mesure où ces projets concerneront en priorité les jeunes très démunis.

Notre contribution sera de partager notre expérience de partenariat avec les familles du Quart Monde tant pour l’élaboration, la mise en œuvre, que pour l’évaluation de tout projet professionnel les concernant. Nous souhaitons que les projets qui seront entrepris fassent l’objet d’engagement conjoint de l’Etat et de la Région. De tels projets, quel que soit leur impact, doivent s’inscrire dans le cadre d’une politique d’ensemble de lutte contre la grande pauvreté au niveau du pays.

Dans ce but, nous proposons la création d’un groupe d’appui à la démarche Wresinski explicitée dans le rapport « Grande Pauvreté et précarité économique et sociale » du Conseil Economique et Social national, qui a été voté en 1987.

Ce groupe d’appui regrouperait, au niveau de la région, les représentants des politiques de lutte contre la grande pauvreté, dans tous les domaines fondamentaux, et serait chargé de recueillir la connaissance, d’expérimenter, d’évaluer la mise en œuvre de ce droit à la promotion familiale,sociale, économique et culturelle des plus démunis, tout en formulant des propositions politiques à l’échelle du pays.

Permettez-moi de souligner que d’autres régions et d’autres pays se lancent actuellement dans une démarche similaire. La région Champagne-Ardenne a les atouts et les moyens pour donner l’exemple à l’échelle de l’Europe, d’une politique globale de lutte contre la grande pauvreté en prenant appui sur la formation, la qualification et l’emploi des jeunes.

Je voudrais terminer en vous disant tout l’espoir des jeunes des milieux défavorisés qui sont de plus en plus condamnés au désœuvrement dans leurs cités et toutes les attentes. La misère n’est pas fatale, nous le savons, nous pouvons nous unir pour la refuser et la détruire. N’est-ce pas cette nouvelle citoyenneté que nous recherchons ?

M. Jeanteur : Il n’est pas facile de conclure une journée d’une telle richesse et sur un sujet aussi délicat.

Je tiens tout d’abord à vous transmettre les amitiés du Président Kaltenbach qui m’a chargé de le représenter ce soir, à vous dire combien il est heureux que cette réunion ait pu se tenir en Champagne-Ardenne, à remercier simultanément le président du CESR, Jacques Heydecker, et Gilbert Pouthas qui sont à l’origine de ce colloque.

Je remercie également Mme Bouvier avec qui nous avons eu plusieurs contacts et M. Ferrand qui vient de nous transmettre le message du Mouvement ATD Quart Monde sur le plan national.

Ce que j'ai retenu, connaissant à titre personnel le Mouvement ATD Quart Monde, et ce que nous mettons sur le plan régional dans toutes nos actions, c’est qu’il faut à la fois beaucoup d’humilité, beaucoup de lucidité et beaucoup de volonté.

Ceci ne peut se faire que dans le temps et tous ensemble. C’est ce que nous essayons de faire en Champagne-Ardenne, de manière originale, depuis six à sept ans.

J’ai retenu, de toutes vos interventions et des documents qui nous ont été donnés, la notion de temps. M’occupant moi-même depuis très longtemps de personnes en difficulté, j’ai compris qu’on ne peut pas mettre de limite au temps. On sait quand on commence, on ne sait pas quand on finit, et je crois que souvent l’on ne finit pas ; mais l’important n’est pas forcément de conclure, il est de participer et d’accepter - c’est là où il faut beaucoup d’humilité -  que l’un sème et que l’autre récolte.

C’est à mon avis l’un des critères d’action vers ce type de public, accepter de n’être qu’un maillon discret de la chaîne.

Vous avez dit également qu’il fallait prendre en compte la globalité du problème. Il est évident que face au public des plus démunis, face aux familles, on ne peut pas isoler le problème de la formation du problème du logement, du problème de l’ensemble de la cellule familiale.

Le temps, c’est pour s’occuper de ces personnes, mais c’est également, dans le secteur qui nous intéresse, la formation, accepter d’allonger les durées de formation de façon à ce que l’on puisse trouver une efficacité à la sortie. On sait que là où il faut deux ans normalement, il faudra trois ou quatre ans ; là où il faut un an, il faudra deux ou trois ans, etc. Il faut l’accepter dès le départ, car si l’on veut rester dans les critères de temps standard, on est quasiment voué à l’échec ; il y a alors non seulement un gâchis financier mais aussi un gâchis humain puisque l’on génère une nouvelle désillusion.

Dans ce que vous avez dit, il y a aussi la volonté d’intégrer progressivement et de donner dès le début un statut de travail, également une manière d’évaluer différemment le travail d’une part et les acquis de formation d’autre part.

C’est quelque chose que l’on rencontre au quotidien, déjà dans la formation professionnelle classique ; on ne peut pas garder les mêmes systèmes d’évaluation en formation initiale standard et en formation continue, a fortiori si c’est une formation continue d’insertion. Il faut savoir adapter les critères d’évaluation des acquis au public. On le fait dans un certain nombre de cas déjà. Je pense notamment à une entreprise ardennaise où nous avons aidé à la mise en place d’un CAP par la formation continue, CAP qui se fait sur la base d’un référentiel de tâches, plus d’une centaine. Une personne de bas niveau de qualification, essayant de passer son CAP, acquiert dans le temps qui est le sien la maîtrise de ces tâches ; en un an, deux ans, trois ans, quatre ans, peu importe. Quand elle est prête, elle fait « appel », avec le tuteur qui l’a suivie, à l’instance de validation qui se déplace et vient dans l’entreprise vérifier qu’elle a bien acquis ces connaissances. C’est à l’essai dans les Ardennes avec la forge et l’estampage.

C’est une démarche qui correspond parfaitement à ce que vous recherchez, qui permet de sécuriser la personne et de l’aider à prendre confiance en elle.

Vous avez noté aussi, cela nous semble le cœur du dispositif régional, la notion de partenariat. Pour être partenaire, il faut d’abord être responsable pour ensuite être solidaire. Il y a pour moi une grande différence entre la solidarité et l’assistance. J’y reviendrai tout à l’heure. Le partenariat implique la responsabilité de chacun.

J’ai noté dans la postface de Michel Vovelle au livre « Démocrate et Pauvreté » (Du quatrième ordre au Quart Monde, Editions Quart Monde et Albin Michel, 1991) deux phrases que j’aimerais reprendre : « Y a-t-il une culture de la pauvreté ou la pauvreté véritable n’est-elle point d’être rejeté, frustré d’accès à une expression culturelle propre ? » « La pauvreté commence aujourd’hui là où cesse l’espoir. »

Il faut tenir compte de cette culture de la pauvreté qui est hors normes par rapport aux critères généraux de culture que nous connaissons et par rapport auxquels tous les référentiels sont établis.

Je ne reviens pas sur des phrases du père Joseph Wresinski sur le « respect dû à chaque personne », sur le fait que « tout être humain est un être humain » et que « tout homme porte en lui une valeur fondamentale qui fait sa dignité d’homme. »

Je retiens que souvent le Quart Monde c’est l’absence de savoirs, c’est la dépendance et c’est l’humiliation. Le père Joseph Wresinski disait : « Seuls le savoir et l’amour ouvrent à la liberté, sans le savoir lire et écrire, sans la connaissance d’un métier, les hommes sont sans défense devant le destin. »

Ce qui ressort de ce que vous avez dit, c’est qu’il faut savoir créer une dynamique de partage du savoir, une dynamique de l’espoir.

Au conseil Régional, nous avons beaucoup réfléchi en partenaires sur le sujet. Autant nous sommes tout à fait d’accord pour vous soutenir et soutenir les actions en aval d’insertion, de réinsertion, autant nous pensons qu’il est très important d’agir en amont sur le maintien en insertion. C’est-à-dire, d'agir dans les entreprises avant que la personne ne devienne un exclu. Il ne s’agit pas d’opposer des publics, mais je crois qu’il faut que nous soyons très vigilants à pouvoir agir en amont, de manière à freiner le flot de l’exclusion.

L’action sur l’actif, c’est ce que nous essayons de développer de plus en plus et c’est ce qui sera débattu dans le cadre du prochain contrat Etat/Région : comment pouvons-nous ensemble, avec tous les partenaires de la formation, agir sur les bas niveaux de qualification des entreprises, de manière à veiller à ce que ces actifs-là ne soient pas les exclus de demain ?

Je n’oppose pas cette action-là à celle d’ATD Quart Monde ; les deux doivent être menées conjointement, sinon ATD Quart Monde ne suffira plus à la tâche dans les mois ou les années qui viennent.

J’ai retenu également, et c’est ce qui est à la base de notre action, que vous mettez bien en avant que tout être humain est irremplaçable. Il n’y a pas de concurrence. Chacun est l’élément unique d’un puzzle ; s’il manque à l’appel, personne ne peut le remplacer, et il handicape le reste, parce que l’œuvre n’est pas complète s’il manque un, deux ou trois éléments du puzzle.

Ceci doit nous stimuler et être très encourageant, parce qu’on ne peut pas dire que l’on va remplacer l’un par l’autre. Cela nous montre bien que nous avons le devoir moral d’aider tout le monde pour parachever, ou en tout cas essayer, pour reprendre les termes de Teilhard de Chardin, « d’aller vers la création totale. »

L’absence de l’un freine l’autre. Nous devons donc tout faire pour aider ceux qui ont du retard à rattraper le peloton sans pour autant freiner ceux qui avancent plus vite, car ce sont ceux-là qui permettent aussi à l’ensemble d’être tiré vers l’avant.

Nous avons la chance en région Champagne-Ardenne de travailler en partenariat complet avec les représentants de l’Etat depuis de nombreuses années. Il ne faut pas opposer les actions de l’Etat, les actions de la Région ; il ne faut pas opposer les actions des entreprises à celles des pouvoirs publics.

On ne peut arriver à faire quelque chose que si nous travaillons tous ensemble, c’est-à-dire si nous mettons tous ensemble sur la table les moyens et les volontés. On y est pratiquement arrivé entre l’Etat et la Région :l’année 93 sera une année de transition, de préparation à la contractualisation, d’expérimentation de la cohérence globale entre les actions de l’Etat et de la Région ; sachant que l’Etat a, par nature, plutôt en charge les actions de bas niveaux, et que la Région, par différence et en toute modestie de moyens, a en charge les actions de plus haut de qualification et de niveaux post-bac .Mais nous veillons à ce que ces actions soient complémentaires.

Nous souhaitons que le prochain Contrat Etat/Région qui se négociera dans les mois à venir nous permette une contractualisation totale des actions de formation des jeunes de moins de 25 ans. C’est très important, cela permet avec la réflexion d’aujourd’hui, de s’intégrer dans une cohérence globale sans laquelle rien ne peut marcher. Il faut donc que l’Etat, la Région, les entreprises, les partenaires sociaux, le Conseil Economique et Social, tous ensemble, sans souci de leadership, nous mettions tous nos moyens sur la table et que nous ayons une volonté commune d’avancer.

Je vais plus loin et nous l’avons proposé publiquement : ce qui découle de ce partenariat complet, c’est de demander d’assumer sur le plan régional politique de l’emploi. Ce n’est pas du tout une provocation, c’est un souci de cohérence. A partir du moment où tous ensemble, avec le Rectorat, nous travaillons à une politique régionale de formation, il est normal que nous assumions la responsabilité de la politique régionale de l’emploi, dans laquelle s’intègre la politique régionale de l’insertion par l’emploi.

L’assistance pour nous est une source d’humiliation. Elle génère elle-même l’exclusion parce qu’elle remplace la démarche volontaire. Nous devons donc agir contre l’assistance. Ce qui est difficile dans le cadre des mentalités actuelles, mais il faut aussi laisser les expériences se développer. Il n’y a pas de modèle standard, il faut accompagner et non encadrer.

Je pense, et cela rejoint ce que vous avez dit, qu’il faut replacer la confiance au cœur de toute démarche, et qu’il faut cesser de contrôler a priori pour permettre à l’initiative de se libérer. Vous avez parlé du contrôle a posteriori, je rejoins totalement cela. La confiance implique la suppression du contrôle a priori qui coûte cher et qui freine les énergies, y compris celles des bénévoles. J’insiste là-dessus.

Il faut savoir aussi redonner la place aux bénévoles dans le partenariat. Ils ont été pendant de trop longues années, considérés comme des concurrents ou des marginaux. Le bénévolat était devenu critiquable. Dans une société d’assistance, il était devenu source d’interrogation, de suspicion. Je suis personnellement pour la remise à l’honneur du bénévolat avec toute la richesse que cela implique.

Il faut rendre hommage aux entreprises qui s’ouvrent à la formation sous toutes ses formes, et qui assurent la fonction de transmission. Nous avons vécu ces dernières années une panne de transmission. On en a parlé souvent dans le secteur des métiers : si nous relançons l’apprentissage, la formation professionnelle, c’est avec la volonté que se renouvelle la transmission du savoir entre générations.

Nous rendons hommage à toutes les associations qui œuvrent sur le terrain pour les plus démunis, qui les aident à reprendre la longue route de l’espoir, et bien sûr en toute priorité, au Mouvement ATD Quart Monde et à ses Universités Populaires. J’ai eu la chance d’assister à une Université Populaire. Je voudrais témoigner de la richesse de cette démarche qui permet à chacun de s’assumer. Je ne sais pas si vous en avez parlé aujourd’hui. C’est une démarche qui est à l’opposé de l’assistance. C’est aider les familles à faire le bilan de leurs acquis, de leurs compétences, de leurs potentialités, les aider dans leur démarche volontaire et non pas les assister.

C’est une différence colossale par rapport à ce qui s’est fait depuis de nombreuses années.

Un dernier point : je crois qu’il faut aussi veiller à ne pas créer de coupure entre précarité et pauvreté ; il faut éviter, parce que nous sommes dans une société fragile, que les efforts de justice, d’accompagnement que nous menons tous ensemble pour les exclus, ne suscitent pas de réactions d’injustice et de rejet chez ceux qui travaillent mais ont des conditions de vie très difficiles et vivent dans l’angoisse de la perte de l’emploi.

Je m’explique. Il ne faut pas éveiller des réactions chez ceux qui ont les plus bas niveaux de salaire, et ont des conditions de vie parfois plus difficiles que certaines personnes assistées. Nous devons être très vigilants là-dessus de manière que le travail assumé dans toute sa noblesse conserve une primauté par rapport au non-travail.

En gros, je veux dire qu’il ne faut, à aucun moment, que les revenus de l’assistance puissent dépasser les revenus du travail. Faute de quoi, nous perdons nos références et nous nous engageons dans une pente très dangereuse. En effet, si nous perdons la référence à la valeur essentielle que constitue le travail, nous allons aider notre société à trouver d’autres références qui ne sont pas celles auxquelles nous tenons, car nous savons très bien ce à quoi elles mènent.

Concrètement, deux mots en ce qui concerne l’Atelier Jeunes Reims. Je tiens à vous dire qu’au niveau de la Région - sachant que son champ de compétences spécifiques est surtout sur les formations de niveau post-bac -, il nous semble très intéressant de pouvoir accompagner les actions initiées par les associations et soutenues par l’Etat, notamment par la DRFP (Direction Régionale de la Formation Professionnelle). Nous souhaitons pouvoir en 1993 préfigurer ce qui pourrait être le Contrat Etat/Région et donc venir en aide à AJR pour ce qui est de la troisième année.

Pourquoi la troisième année ? Parce que la première et la deuxième année sont des années à caractère encore social et la Région n’a pas de compétence sur le plan social. Elle n’a de compétence que sur le plan de la formation et sur le plan de la qualification. La troisième année, qui vise à préparer un CAP, peut, sans que nous soyons en dérogation par rapport à notre programme, nous permettre déjà de venir en aide.

Nous soumettrons à la prochaine Commission permanente le fait de pouvoir aider à parité, mises à part les différences de tarifs horaires entre l’Etat et la Région, les cinq élèves de troisième année, ce qui pour l’année 1993 devrait faire une aide de l’ordre de 70 à 75 000 F.

Ce n’est pas très significatif, mais cela a l’avantage de rester dans le cadre de notre mission et de nous aider à voir comment l’on peut ultérieurement contractualiser et pérenniser cette action avec l’Etat vis-à-vis d’AJR.

Je dois dire d’ailleurs que nous avons réalisé une opération assez voisine, concernant l’action en amont, c’est-à-dire l’action dans l’entreprise avant que les gens ne soient des exclus. Nous avons - et nous soutenons l’action de M. Pouthas dans ce domaine - accordé une aide aux fonderies du Vallage, à Chevillon ; l’action porte sur une cinquantaine de personnes, dont trente en grande difficulté. Elle consiste, d’une part à susciter une promotion, sociale dans les entreprises avoisinantes pour libérer un certain nombre d’emplois dans le bas de l’échelle, d’autre part à préparer ceux qui vont perdre leur emploi, et qui, sans ce dispositif deviendraient des exclus, à passer sans heurts de leur situation actuelle à la nouvelle entreprise.

C’est une démarche assez proche à la vôtre, sauf qu’elle se situe en amont. Elle prend les gens avant qu’ils ne soient exclus, et elle crée une solidarité avec les autres entreprises du bassin, de manière à ce que, par le développement de la formation continue, soit générée une promotion sociale et que tout le monde soit gagnant : ceux de l’entreprise d’accueil parce qu’il y aura eu élévation des qualifications, et ceux de l’entreprise qui doit fermer, parce qu’il y aura eu maintien en situation d’emploi des salariés.

Voilà ce que je voulais vous dire. Si vous le permettez, je vais citer une phrase que je cite souvent, car pour moi elle représente beaucoup. C'est une phrase de Mère Térésa. Elle est liée à ce que vous avez dit aujourd’hui, elle est porteuse d’espérance, et elle est au cœur du dispositif du partenariat régional, c’est pourquoi je vous la lis en conclusion.

Mère Térésa dit à tous ceux qu’elle rencontre : « Ne laissez personne venir à vous et repartir sans en être meilleur et plus heureux. »

Je vous remercie.

Rédaction de la Revue Quart Monde

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND