L’entreprise et les adultes en situation d’exclusion sociale
En préambule au travail de l’atelier, Monsieur Michel Mazerot a posé la question suivante : « L’entreprise est-elle un partenaire obligatoire ou facultatif de l’insertion ? »
Si elle est un partenaire obligatoire, les questions corollaires sont :
- Comment la sensibiliser à ce problème ?
- Quels postes l’entreprise a-t-elle à offrir à ces publics ?
- Comment participera-t-elle à l’effort de qualification des personnes ?
Le débat s'est organisé autour de ces trois questions.
Une première réponse a été apportée par Monsieur Mosage qui représentait les entreprises d’insertion. Il a dit que « Les entreprises d’insertion ne satisferont jamais à elles seules la demande d’insertion qui existe aujourd’hui. »
Ce constat de carence n’était pas un dépit puisqu’en fait, sa deuxième remarque a consisté à dire que « la collaboration est incontournable et elle enrichira la pratique de tout le monde. »
Le débat a donc immédiatement été posé en terme de collaboration entre l’économique et le social.
Ensuite Monsieur Nivolle du Centre d’Etudes de l’Emploi, nous a rappelé que le contexte de l’exclusion était marqué par l’élévation du niveau de recrutement - cette remarque a fait l’unanimité - que cela soit justifié ou non puisque l’on s’aperçoit que cela pose parfois des problèmes.
Ce sont les petites entreprises qui, paradoxalement, ont fait ces dernières années le plus d’efforts d’insertion. En effet, 90 % des C.R.E. (Contrats de Retour à l’Emploi) ont été signés par des entreprises de moins de 50 salariés.
Ces petites entreprises qui proposent souvent des emplois précaires se situent aussi sur des métiers tels que le bâtiment ou la métallurgie où la pénurie de main d’œuvre qualifiée, ou moyennement qualifiée, est très importante.
Monsieur Dumont, du Groupement Interprofessionnel Lyonnais, a témoigné d’une expérience qui vise à pourvoir 200 postes à faible qualification dans les entreprises lyonnaises. C’est une expérience très récente qui se fonde sur des raisons économiques (le chômage coûte cher et il y a une pénurie de main d’œuvre ) et sur des raisons déontologiques car l’entreprise est faite par l’homme et pour l’homme et non pas l’inverse. Ainsi, en tant que personne morale, l’entreprise a une responsabilité vis-à-vis du phénomène de l’exclusion.
Le débat a beaucoup tourné autour du niveau d’employabilité des personnes et sur la façon de déterminer ce niveau. Les indicateurs qui ont été évoqués tels que le savoir lire, écrire et compter ou la motivation n’ont pas vraiment fait l’unanimité.
L’idée qui se dégage est qu’aucun critère formel n’est vraiment recevable ni opérationnel. D’autre part, si l’entreprise ne peut - car ce n’est pas sa vocation - assurer le suivi social des personnes, elle a un rôle à jouer. A ce sujet, Monsieur Dumont a employé le terme de « Maître d’œuvre » à la différence du Maître d’Ouvrage qui a en charge la totalité du problème. Le Maître d’œuvre peut participer au cursus d’évolution des personnes en partenariat avec les organismes sociaux et pourquoi pas avec les entreprises d’insertion.
Le consensus qui a régné dans l’atelier est un bon témoignage de la volonté de tous les partenaires d’œuvrer dans le même sens. Il reste à trouver ensemble les moyens d’agir efficacement et c’est toute la question qui reste ouverte pour les débats futurs.
M. Dominjon : Nous allons immédiatement demander à Monsieur Rivier, Président Directeur Général de TEFAL et CALOR, de bien vouloir réagir au rapport qui vient de nous être présenté.
Monsieur Rivier, Président Directeur Général de TEFAL et CALOR
Je voudrais tout d’abord revenir sur des points qui ont été soulevés par le rapporteur et qui ne paraissent très intéressants et je voudrais vous faire-part de quelques convictions peut-être d’ailleurs plus économiques que sociales.
La première consiste à dire qu’il n’y a pas d’entreprises de matière grise et d’entreprises industrielles ou de main d’œuvre. Je crois que le mot « main d’œuvre » devrait être supprimé ; il faudrait garder « œuvre » mais à la place de « main », il faudrait mettre l’individu dans toute sa dimension.
Je dis cela pour des raisons économiques et je voudrais insister sur cet aspect, car je pense qu’il serait trop facile de dire des choses en oubliant l’aspect économique.
De mon point de vue, il faut en effet que dans un pays comme le nôtre, où la main d’œuvre coûte cher, que les gens les moins qualifiés travaillent aussi avec leur esprit, leur intelligence et toute leur dimension. Si l’on ne fait pas cela pour un nombre de plus en plus grand de personnes d'une entreprise quel que soit son métier, on a peu de chances de rester compétitifs.
Il ne suffit pas d’avoir l’intelligence des cadres et des ingénieurs, il faut qu’au-delà de cette intelligence-là, il y ait l’intelligence d’un nombre de plus en plus grand de salariés de la société. C’est peut-être également pour cette raison que nous avons aussi la conviction qu’une entreprise est riche de ses différences.
Il se peut que la mode actuelle de la barrière des diplômes pour le recrutement trouve ses limites, comme à une époque où l’on avait défini des profils types dans certaines entreprises qui ont été célèbres par la suite par leurs grands conflits. Ces profils types correspondent à quelqu’un qui doit avoir un âge, une formation, une situation de famille donnée et tout le monde se trouvait donc en même temps à poser le même problème.
Je crois que la richesse de nos différences est une richesse importante de l’entreprise et, si nous sommes tous taillés de la même manière, nous passons à côté de choses, parfois simples et parfois extrêmement importantes pour la richesse économique de l’entreprise.
L’innovation est un thème qui m’est très cher puisque voici deux ans nous recevions dans cette salle le label de pilote de deux projets EUREKA. Ainsi, l’innovation ne doit pas être seulement l’affaire de grands spécialistes, en tout cas dans un nombre important d’entreprises. Je crois que les Japonais – pardonnez-moi de les citer – ont compris cela bien avant nous.
Donc, les personnes ont une situation particulière et doivent être inclues dans l’entreprise parce que représentatives de la communauté dans laquelle est installée l’entreprise. C’est un point que nous croyons important.
En ce qui concerne TEFAL, nous avons voici quelques années pris des personnes qui nous ont été proposées par ATD Quart Monde et cela n’a pas été très aisé. Ces personnes ont eu des tuteurs et je dirai même que si nous avons été sensibilisés et questionnés précisément par ATD Quart Monde, c’est précisément parce qu’il y a dans notre entreprise des partenaires sociaux qui font partie de ce Mouvement et qui nous ont sollicités.
Dans les trois quarts des cas, ces personnes sont maintenant des salariés définitifs de notre entreprise. Cela représente peu de cas mais ce qu'il est important de souligner à travers cette expérience est que ces personnes sont rentrées discrètement. Elles n’ont pas eu d’étiquette et le tutorat dont elles ont bénéficié a été très discret.
On dit que l’entreprise doit être sur les différences mais il y a aussi d’autres cas qui sont rentrés avec d’autres difficultés que celles que nous évoquons aujourd’hui et qui peuvent aussi avoir bénéficié d’un certain accompagnement discret également.
On sait que parmi les salariés de l’entreprise « il y a des gens qui… » mais on ne sait pas exactement qui et c’est très bien ainsi. C’est peut-être aussi une des raisons de la réussite.
Ces tuteurs ont effectué un travail extrêmement important non seulement à l’intérieur mais également hors de l’entreprise. En effet, souvent les gens les plus défavorisés ont peut-être d’abord échoué ailleurs que dans leur travail mais il faut sans doute apprendre à nouveau à réussir dans le travail et au-delà du travail. Je crois donc qu’il y a eu un accompagnement important.
Donc nous pensons que l’entreprise doit avoir cette ouverture notamment parce qu’elle fait partie des causes des problèmes que nous évoquons et il faut donc qu’elle fasse partie des remèdes. Attention, il ne faut pas mettre le problème à la charge de l’entreprise mais il faut essayer avec l’entreprise - et pas l’entreprise seule - de résoudre le problème de manière curative et, mieux encore, d’une manière préventive.
Vous avez parlé de débats qui ont eu lieu sur le niveau minimum de compétences, de qualification ou de capacités à apprendre. Je crois que quelqu’un qui est exclu n’est pas forcément en état de montrer sa capacité de performance. Ainsi, définir des critères minimum serait, de notre point de vue, une manière d’éliminer encore et de créer à nouveau une catégorie.
L’expérience a montré que, au moment de leur arrivée dans l’entreprise, ceux à qui on pouvait donner le moins de chance sont parfois ceux qui s’en sont le mieux sortis.
Je considère que les règles simples et définies, les critères minimums ne sont pas de bonnes solutions.