L’accès au métier : quels itinéraires, quels dispositifs, quel accompagnement ?
L’atelier portait sur les parcours à construire pour permettre aux populations les plus démunies d’acquérir une véritable insertion professionnelle.
Nous avons tout d’abord noté que ces parcours à construire doivent correspondre à l’aspiration de tous, y compris ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi et même s’ils ne veulent apparemment pas travailler, comme cela a été dit.
Pour ces derniers, il nous a semblé important de les rejoindre là où ils sont. A ce sujet, nous avons constaté au sein du groupe que l’une des limites du crédit-formation pour les jeunes tenait dans le fait qu’il ne rejoignait pas les jeunes là où ils se trouvaient. De ce fait, il excluait les jeunes les plus démunis.
Il a également été dit qu’il était important de partir des repères de ces jeunes ou de ces adultes en exclusion pour leur permettre d’acquérir des repères nouveaux.
Nous avons retenu quatre points importants :
1) Le premier élément consiste à dire que l’on ne répond pas à la précarité par la précarité. Face à une exclusion qui dure parfois depuis des années pour des jeunes comme pour des adultes, des mesures précaires et sans objectifs ne peuvent pas être des solutions. Nous avons donc défini deux aspects :
- L’importance d’une reconnaissance de la personne avec un statut, que cette personne ait un statut de travailleur dans son parcours, que ce soit en entreprise traditionnelle, en entreprise d’insertion ou en alternance.
- L’importance et la nécessité d’un statut juridique dont nous avons défini les éléments : il nous semble qu’il faut un statut juridique unique, un seul pour toute la durée du parcours, un nombre suffisant d’heures de formation ; à cet égard nous avons des inquiétudes envers les crédits-formation-adultes-chômeurs où, à notre point de vue, le nombre d’heures est trop limité.
Ensuite, ce statut doit s’inscrire dans la durée : les expériences ont montré que deux ou trois ans semblait être la durée nécessaire.
Ce statut doit présenter un co-financement : la Direction Départementale du Travail du Rhône nous en a donné un exemple - financement par les acteurs publics intéressés et avec une participation progressive des entreprises. Par contre dans le Contrat de Retour à l’Emploi on demandait trop d’un coup aux entreprises et c’est pour cette raison que certaines entreprises ne veulent pas prendre de stagiaires.
Il paraît important que la personne en formation et en insertion ait une rémunération régulière et suffisante. Mais, il faut éviter, pour y parvenir, tous les montages administratifs complexes qui demandent de multiples démarches et qui prennent du temps et de l’énergie qui pourraient être consacrés à autre chose.
2) Le deuxième point correspond à l’accès à un vrai métier et un emploi réel qui suppose un parcours où l’accès à la qualification n’est pas forcément le premier objectif. Il y a d’abord une phase d’adaptation à l’emploi qui peut ensuite susciter ce désir de formation et la construction du projet professionnel de l’individu.
Cela signifie également que ce parcours va prendre en compte la possibilité de faire des pauses, la possibilité d’aller-et-retours, de certains reculs ou de modifications dans l’orientation. Les personnes qui arrivent après une exclusion de plusieurs années ne peuvent pas savoir d’emblée ce qu’elles veulent et peuvent faire ; il leur faut donc le temps nécessaire. A ce moment, nous nous sommes posés une question sous deux formes différentes et nous avons recueilli deux avis :
- Le premier avis pose la question de savoir s’il faut avoir résolu tous les problèmes qui sont conséquences de l’exclusion (notamment le logement, les problèmes de santé, l’absence de qualification) pour permettre à une personne d’entamer une insertion en entreprise.
- Le deuxième avis consistait à savoir si la mise au travail, n’est pas un élément central qui favorise cette insertion sociale c’est-à-dire en prenant dès le départ la forme de l’alternance.
3) Le troisième point concerne les acteurs de ces parcours qui sont :
- Les personnes elles-mêmes,
- Les entreprises : nous avons insisté sur le rôle des tuteurs et sur l’engagement des entreprises.
Deux expériences intéressantes ont été rapportées qui sont celles du Rhône-Poulenc qui a accueilli 50 jeunes « choisis parmi un public qui n’aurait aucune chance de rentrer en entreprise avec un parcours en alternance » et celle du G. I. L. (Groupe Industriel Lyonnais) qui propose 200 postes d’insertion dans six branches professionnelles.
- L’accompagnement : hormis l’accompagnement dans l’entreprise, il y a l’accompagnement dans la formation – qui sera l’objet de l’atelier suivant – et nous avons surtout insisté sur l’accompagnement social.
L’association Culture et Liberté a évoqué le fait de « retisser des liens sociaux » et cette expression nous a semblé bien refléter ce dont il s’agissait.
- Tout cela nécessite une coordination qui, pour le projet « Contre l’exclusion, une qualification » est assurée par le catalyseur, pour le crédit-formation jeunes est assurée par des correspondants. Le nom n’est pas important mais la fonction nous paraît essentielle à condition que le coordonnateur n’ait pas trop de personnes sous sa responsabilité. Il apparaît que la meilleure solution correspond à la charge de 15/20 personnes alors qu’avec 100 personnes le coordonnateur ne peut pas être efficace.
4) Au total, le défrichage de ce domaine nous a semblé important avec le rôle de l’innovation, de l’expérimentation pour en tirer tous les éléments qui étaient importants pour que les dispositifs fonctionnent au plus près des populations.
Cela s’accompagne dès le départ - et cela nous paraît faire partie intégrante des parcours - d’une évaluation qui soit permanente. Cette évaluation doit être au plus près des publics, pour être certain que ces derniers ne soient pas exclus non seulement au départ, mais aussi en cours de route.
Nous avons évoqué l’importance des réseaux, du décloisonnement entre les institutions, les administrations, les entreprises.
Pour terminer, nous avons dit que toute cette élaboration relevait d’une véritable « ingénierie d’insertion. »
Monsieur Dominique Henry, Secrétaire Général aux Affaires Régionales, à la Préfecture de Région
Je réagirai en apportant mon adhésion à de nombreux points qui ont été soulevés et en joignant trois observations à cette adhésion au constat.
Je parle d’adhésion au constat parce qu’il me semble qu’à travers tout ce qui a été rapporté et qui résulte sans doute des expérimentations en groupes, nous sommes maintenant bien d’accord sur un certain nombre de points.
Il s’agit particulièrement de la durée nécessaire pour réussir l’insertion, de la nécessaire continuité des dispositifs, de la progressivité dans les parcours, de l’accompagnement par le tutorat. C’est un ensemble d’enseignements sur lesquels les uns et les autres sont bien d’accord maintenant. Il existe un acquis et il est important de partir sur ces bases fortes résultant de l’expérience.
Je voudrais donc faire trois observations à partir de vos propos.
1) La première concerne l’accès au métier et j’ai envie de faire une différence entre l’accès au métier et l’accès à l’emploi.
Lorsque l’on parle de mettre en avant la qualification et l’accès au métier, je me demande si on ne risque pas de formuler un projet qui n’est peut-être pas tout à fait celui des personnes qui sont lancées dans des parcours d’insertion ou si l’on ne risque pas, du moins, de décourager un certain nombre de personnes parce que cet accès présenté au départ risquerait d’être perçu comme étant irréalisable.
Par ailleurs, je me demande également si l’on ne risque pas de décourager les entreprises de prendre des emplois d’insertion si on fixe comme objectif celui de l’accès au métier et à la qualification.
Dans le couple emploi-formation, le point fort me semble être celui de l’emploi. Bien sûr, si les personnes souhaitent à un certain moment de parcours accéder à une qualification, si elles ressentent le besoin de formation - ce qui est certainement le cas dans un parcours d’insertion - il faudra prendre toutes les dispositions pour apporter cette qualification.
Cela dit, prenons garde de ne pas faire de l’accès au métier et de l’accès à la qualification l’objectif clé du parcours d’insertion.
2) Ma deuxième observation a trait à tout ce que vous avez dit concernant les statuts. Les parcours d’insertion se réalisent à travers une série de mesures pour l’emploi qui constituent un arsenal, très important - peut-être trop important ? - mais en tout cas, une panoplie très développée.
Je voudrais faire quelques remarques à ce sujet car ces questions de statuts compliquent souvent l’approche du problème parce que l’ensemble de ces mesures est assez complexe ; les problèmes de statuts, de rémunérations, de durée rendent l’approche un peu difficile.
- Ma première remarque à ce sujet consisterait à dire que, puisque la panoplie des mesures est très large, il faut bien la connaître. Il est nécessaire que toutes les personnes qui s’occupent de l’insertion connaissent bien ce dispositif..
- Ma deuxième remarque consisterait à dire qu’il faut ensuite bien utiliser ce dispositif, ce qui signifie deux choses : le public est orienté dans ces parcours d’insertion à partir d’un bilan d’orientation et je pense qu’il s’agit d’une phase très importante permettant de bien choisir et bien utiliser les mesures disponibles. Et pour faire une bonne utilisation, après ce bilan d'orientation, il faut essayer de décortiquer la valeur ajoutée de telle ou telle mesure de manière à gérer au mieux et de minimiser les problèmes qui sont rencontrés et que vous souleviez précédemment lors des questions de statuts.
Il faut faire un peu d’ingénierie administrative, faire preuve d’imagination - cela n’est pas défendu dans l’administration, je veux en faire la preuve (!) et cela n’est pas non plus défendu à l’extérieur de l’administration et vous en faites également la preuve - pour bien utiliser tous les dispositifs qui existent.
Je sais bien que derrière la question des statuts et de leur complexité, on ne peut pas évacuer la question des limites actuelles de ces différents statuts qui vient, nous semble-t-il de l’approche suivante : on dispose de ces mesures et c’est à partir des mesures que l’on construit le parcours d’insertion. On a des outils, on les utilise et on a un parcours qui est nécessairement dépendant des outils.
C’est ainsi que je réagis face à cette limite des statuts que vous ressentez, mais on sent bien la nécessité d’avoir un dispositif peut-être autre et qui permettrait de créer un vrai parcours d’insertion.
Je rappelle à ce sujet, que le Crédit-Formation Individualisé qui avait été mis en place pour les jeunes, se généralise pour les adultes. Je n’écarte pas, ce disant, la question sous-jacente à ce que vous avez dit, mais ne faudrait-il pas que nous regardions d’un peu plus près ce que peut apporter le Crédit Formation dans les parcours individualisés d’insertion même s’il y a certainement à imaginer d’autres choses de manière à ce que nous ne nous pénalisions pas par ces questions de statuts, de rémunération, de durée etc. surtout si on veut construire dans la stabilité.
3) Ma troisième observation a trait à tout ce que vous avez dit sur l'accompagnement des entreprises, des publics en insertion, des tuteurs. Je pense qu'il s'agit d'une fonction aussi complexe qu'importante.
A ce sujet, je me rallie à l’idée que vous avez émise « d’ingénierie d’insertion. » Il faut effectivement tenir les deux bouts de la chaîne et travailler en partenariat à tous moments.
En tant que Responsable de l’Administration, je vois que je tiens les deux bouts de la chaîne à travers un certain maillon. Je suis persuadé que la personne qui tient le maillon qui est à ma droite en tient également deux autres et, à chacun de ces niveaux, il faut faire preuve d’ingénierie d’insertion de manière à bien utiliser toutes ces mesures.
L’ingénierie d’insertion ne se situe pas uniquement sur l’aspect statut sur lequel je me suis déjà attardé, mais à tous les niveaux : au niveau de l’entreprise, en amont, au bénéfice de la personne de manière à ce qu’elle soit accompagnée dans un contexte assez large que vous avez qualifié de « social », je crois qu’il faut effectivement que nous développions cette ingénierie d’insertion par la valorisation du tutorat.