« Attentes et craintes face à l’avenir des populations les plus pauvres en Europe »

Herman Van Breen et Frans Polen

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Herman Van Breen et Frans Polen, « « Attentes et craintes face à l’avenir des populations les plus pauvres en Europe » », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 25 octobre 2010, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4851

Frans Polen

On peut considérer l’avenir et l’histoire d’un point de vue large, mais on peut également le faire en creusant « la marche concrète de la vie » pour y trouver les questions de fond et les vrais défis.

Ma famille a eu la chance, avec l’aide d’un volontaire d’ATD Quart monde, après un travail de cinq ans, de pouvoir écrire son histoire : nous avons pu retracer, depuis 1747, sept générations de misère et de combat pour survivre, de combat pour nos enfants, pour l’avenir, combat qui continue aujourd’hui.

La pire des choses qui puisse arriver à une famille est d’être cassée, quand - à cause de la pauvreté - les enfants sont placés, comme cela s’est passé avec mes sœurs, mes frères et moi-même. Voici ce que ma mère en dit : « La misère rendait notre vie impossible. Il fallait bien que quelque chose se fasse pour nos enfants. Mais leur placement me rendait désespérée : rien ne m’intéressait plus. Trop souvent le placement des enfants déchire la famille à tout jamais. Nous avons eu la chance de trouver des personnes qui se sont engagées à nos côtés pour que les enfants puissent revenir à la maison. »

Que s’est-il passé, pour que nous puissions revenir à la maison et reprendre en mains le cours de la vie familiale ? Ma maman raconte aujourd’hui : « On m’a clairement mise devant le choix : laisser tomber la boisson ou laisser tomber les enfants. À ce moment-là je me disais : "De quoi se mêlent-ils ?" mais aujourd’hui je suis contente qu’on m’ait mise devant ce choix, car il m’a rendu responsable. Mais, aussi important que d’avoir fait appel à moi, est le fait que j’aie pu compter sur des intervenants extérieurs qui se sont engagés à mes côtés. »

Des familles comme la nôtre, partout en Europe, font tout pour pouvoir rester ensemble. En même temps, ces familles sont tout à fait conscientes que, seules, elles ne se sortent pas de cette pauvreté. Cependant, elles ont peur, parce que leur expérience leur apprend que l’aide apportée se retourne trop souvent contre leur vie familiale. C’est pourquoi ces familles préfèrent garder le maximum de distance possible vis-à-vis des intervenants sociaux.

Face à cela, la première question liée à nos travaux d’aujourd’hui et de demain, serait : quelle aide, quel accompagnement aident vraiment? Une chose nous semble très claire : le paternalisme ne nous fait pas avancer car il nous rend encore plus dépendants. Je connais des familles qui sont traitées de façon tellement paternaliste qu’elles n’ont plus aucune liberté d’initiative. En dix ou vingt ans, elles n’ont pas avancé d’un pouce. Une aide, un accompagnement ne peuvent être positifs que si on nous donne, à nous aussi, la possibilité d’assumer notre responsabilité face à l’avenir.

Notre famille a eu la chance de pouvoir disposer d’une aide sociale par l’intermédiaire d’une personne avec qui nous pouvions dialoguer, qui ne venait pas nous voir tous les jours, mais sur qui nous pouvions compter quand nous avions besoin d’elle.

Plus la vie est difficile et plus la misère dure, moins tu trouves de personnes autour de toi, moins on tient compte de ce que tu penses et de ce que tu fais.

Le pire, dans une situation de pauvreté, ce n’est pas le manque financier, c’est d’être regardé de haut: on vous fait clairement sentir d’une façon ou d’une autre que vous n’êtes capable de rien et si les gens vous répètent cela, jour après jour ou mois après mois, vous finissez par le croire. Ainsi, ma maman a ressenti une telle honte que, pendant des années et des années, elle n’a rien osé entreprendre. Cette exclusion ne nous a quittés que quand des gens, après bien des années d’efforts aussi, sont venus nous chercher pour nous faire sortir de l’oubli. Cet engagement nous permet de dire aujourd’hui : « Les gens comme nous ne sont pas moins que les autres. »

A côté de cette co-responsabilité face à l’avenir, cet engagement durable « entre personnes » est une deuxième nécessité absolue. Permettez-moi de clarifier cela. Pendant des années, j’ai travaillé dans un lavoir et actuellement je suis peintre. Récemment, une jeune stagiaire est venu travailler dans notre atelier. Après quelques jours seulement, plusieurs de mes collègues disaient : « Cela ne va pas marcher. » Je leur ai fait comprendre clairement qu’ils n’ont pas le droit de dire que cette personne n’a rien à offrir.

Tout un chacun a un talent, un domaine sur lequel il est très fort. Personne n’est irrécupérable. Est-ce que la société prend bien le temps de découvrir les talents cachés des personnes les moins qualifiées, à partir desquels elles pourront aller loin, si on croit et investit en elles ? Qui prendra le temps de découvrir ces talents et de chercher les formations qui leur correspondent ? Qui prendra le temps nécessaire pour accompagner cette formation ?

Quand on dit « prendre le temps », plusieurs questions se posent :

Comment considère-t-on le temps pris avec des personnes très peu qualifiées ? Comme du temps perdu ou comme un véritable investissement, comme une chance pour bâtir un véritable avenir ?

Nous savons que tout investissement a son prix. Quel risque osons-nous et voulons-nous encore prendre avec des personnes qui ont été mises hors-jeu depuis longtemps dans notre société ?

Moi-même, j’ai dû passer deux fois mes examens de peintre. Deux fois de suite, je ne les ai pas réussis. Alors le responsable de l’atelier est allé au centre de formation pour parler avec le maître-peintre car il ne comprenait pas ce qui m’empêchait d’obtenir mon diplôme. J’ai recommencé parce qu’ils ont cru en moi et m’ont donné de l’espace pour avancer. Leur confiance a fait que j’arrivais à peindre de mieux en mieux : je devenais de plus en plus sûr dans mes gestes, sentant de moins en moins de pression sur moi.

Quand on sait d’où l’on vient, on sait combien il est important « de ne pas marcher à côté de ses chaussures » pour pouvoir aller de l’avant avec quelqu’un dont la vie est plus difficile que la sienne. C’est ce qui m’a fait dire à la stagiaire dans notre atelier : « Tu aurais dû me voir, moi, quand je suis arrivé ici : je me sentais beaucoup moins capable que toi. Je suis sûr que tu vaux beaucoup plus que tu ne le crois. » Aujourd’hui, elle travaille encore avec nous. Et je fais tout pour qu’elle ne doive pas tout le temps poncer du bois, mais qu’elle puisse aussi peindre au rouleau et qu’on ne la traite pas comme la petite jeune qui fait le café pour les autres.

Depuis des générations, les gens à qui on n’accorde déjà pas beaucoup de chances sont très rapidement exclus. Pour eux, la loi de la jungle continue. Si, en Europe, nous voulons vivre selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous ne pouvons pas, pour des générations encore, continuer à exclure des êtres humains comme s’ils étaient irrécupérables et sans aucun avenir. Non. Il faut se mettre derrière leur volonté d’aller de l’avant : ainsi nous irons très loin, tous ensemble.

Herman van Breen

Merci pour cette introduction. Ce que vous venez de dire sur le fait de « ne pas marcher à côté de ses chaussures » quand on veut aller de l’avant avec quelqu’un dont la vie est plus difficile que la sienne, me fait penser à ce que Mme Mc Alees, présidente de la République irlandaise, exprimait dans son discours du millénaire devant le Parlement irlandais :

« Pour l’Irlande, les ombres du passé se lèvent. Aujourd’hui, l’Irlande est un pays du premier monde avec une mémoire du tiers monde, une mémoire qui nous rend modestes, qui nous rappelle la fragilité de tout, une mémoire qui nous rappelle que trop de personnes à travers le monde se réveillent chaque matin dans la terreur et la peur. Elles aussi ont besoin de s’imaginer qu’un jour les ombres se lèveront. Elles aussi ont besoin d’amis pour que ce rêve devienne réalité. Nous avons une histoire longue et fière d’être un tel ami, un champion des pauvres, des oppressés, des ignorants et des négligés. »

J’ose affirmer ici que se rappeler d’où l’on vient est d’une importance cruciale pour la manière dont nous nous considérons au sein de l’Europe, et notamment pour nos relations avec les pays qui rejoindront prochainement l’Union européenne : pas en donneurs de leçons, mais en toute humilité.

Sans vouloir être exhaustif, je vais essayer à mon tour de vous présenter quatre domaines sur lesquels des familles très pauvres nous expriment leurs attentes et leurs craintes face à l’avenir de l’Europe.

1. Quand on leur pose la question : « Quelle est la première attente des plus pauvres ? », ce que des parents répondent immédiatement, ce qui leur donne la force de se lever le matin pour affronter le monde et qui les lance vers l’avenir, est : « Que nos enfants aient un meilleur avenir que nous. »

Comme le disait une jeune mère : « Avec tout ce que j’ai vécu et vu, je ne sais pas si je pourrai un jour encore regarder les autres dans les yeux en me sentant égale à eux. Cela, on peut le changer pour mes enfants. S’il n’y avait pas mes enfants, j’aurais baissé les bras déjà depuis longtemps.»

Ou comme le dit un travailleur belge illettré : « Pour moi avoir un métier est inaccessible, mais pas pour mes enfants, s’ils réussissent à l’école. » Ou encore un réfugié tsigane ayant fui la Roumanie : « Je veux que mes enfants aillent à l’école, qu’ils ne deviennent pas comme moi qui suis obligé de faire la manche. »

S’il y a une chose qui donne espoir et élan pour l’avenir à des parents souvent considérés comme indignes ou incapables, c’est bien le bonheur de leurs enfants. Et s’il y a une chose qui fait que tant de pères et de mères se sont trouvés au bout du rouleau, à la rue, dans des centres psychiatriques ou dans l’errance et le désespoir total, souvent pour de longues années, c’est bien de voir leur projet familial cassé par le placement de leurs enfants. M. Polen l’a souligné avec force. Ce n’est pas un hasard s’il y a un an et demi des membres engagés du Mouvement ATD Quart Monde, riches et pauvres appartenant à une dizaine de pays européens, ont formulé le cœur de l’orientation commune de leurs actions et engagements comme suit : « Nous voulons agir pour que chacun ait le droit et les moyens de vivre en famille. Nous voulons faire progresser en Europe le droit à la promotion familiale pour toutes les familles qui vivent en grande difficulté(…). Les parents doivent pouvoir être pleinement acteurs du développement de leurs enfants et tout doit être fait pour que les enfants puissent grandir dans leur famille… »

2. La deuxième interpellation, sur la direction que nos sociétés doivent prendre, concerne le choix de fond que nous faisons en tant que personnes et sociétés : voulons-nous libérer les pauvres de la misère ou gérer leur vie dans la pauvreté ? leur permettre de vivre dans la dignité et la fierté ou seulement de survivre ?

Cette interpellation est exprimée par ce père de famille parlant de son fils qui, à vingt-et-un ans, venait de recevoir pour la première fois son revenu minimum garanti : « Depuis quelque temps, mon fils avait une amie. Tout allait bien. Ils s’aimaient beaucoup. Mais maintenant elle est partie. Qui voudrait se marier à un jeune qui n’a qu’un porte-monnaie faiblement rempli à la fin de chaque mois et sans perspective d’avenir ? Comment sa copine, comment sa future famille pourraient être fières de lui ? » Ce père nous fait comprendre que l’allocation minimale garantie, instaurée dans la plupart des pays de l’Union et qui constitue un énorme pas en avant par rapport à l’insécurité quotidienne des personnes et ménages sans autres ressources, n’apporte pas une vraie solution pour l’avenir.

Dans plusieurs pays, la volonté de remettre au travail les chômeurs de longue durée exerce une énorme pression sur ceux-ci et sur leurs premiers interlocuteurs publics. Ainsi par exemple, certaines réglementations n’octroient des subsides que lorsque le service social a pu faire sortir des familles et des personnes de la dépendance des allocations. Un directeur de service social nous a dit avoir vu plusieurs de ses collègues licenciés par leur conseil municipal, pour ne pas avoir assez fait baisser le nombre d’ayants droit aux allocations sociales et pour avoir ainsi fait ‘louper’ à leur commune d’importants subsides. « Nous sommes de plus en plus poussés à être des chasseurs de pauvres, à contrôler, à punir au moindre soupçon d’abus. Dans ce climat de méfiance, il n’y a plus aucun moyen d’accomplir notre première mission qui est d’être des interlocuteurs entre les citoyens et la commune. »

M. Polen a déjà souligné combien la logique du contrôle, de la tutelle, de l’efficacité à tout prix sont des voies sans issues. Et combien les plus démunis ont besoin de vrais interlocuteurs, prêts à s’engager avec eux. Le père Joseph Wresinski interpellait l’Europe, en juin 1987, lors de la fête du 30e anniversaire de la communauté européenne, avec la question suivante :

« Amis ici présents, je lègue à chacun de vous cette interrogation : suis-je vraiment un artisan de l’Europe de tous ? Ce que je fais, ce que je dis, ce que je propose, permet-il la réalisation d’une Europe où les plus pauvres seront enfin libérés ? Permet-il la réalisation d’une Europe des droits de l’homme ? »

3. La troisième attente des populations les plus pauvres, dont je veux parler ici, est lié à cette notion de la liberté et des droits de l’homme.

Parler de la pauvreté en termes de droits de l’homme met en lumière que les hommes, femmes, jeunes et enfants qui vivent dans la pauvreté sont avant tout des personnes et des familles qui refusent d’être réduites à leurs problèmes. Ce sont des personnes qui vivent, pensent, rêvent, prient, s’aiment, dansent, mais qui souffrent de ne pas être considérées comme des êtres humains égaux en dignité.

Le 17 octobre dernier, dans plusieurs lieux en Pologne, des personnes sans-logis et leurs amis ont distribué un petit tract à l’occasion de la Journée mondiale pour l’élimination de la pauvreté. Sur ce petit papier était écrit : « Cher ami, aujourd'hui c’est la Journée mondiale du refus de la misère. Celui à côté de qui tu passes, riche ou pauvre, il est comme toi un être humain. En le respectant tu te respectes toi-même. Toi et moi, nous avons le droit à la vie digne. Tant que la misère existera, il te manquera à toi aussi quelque chose. On n'est jamais si pauvre qu'on n'a rien à offrir. Ne sois pas indifférent. Regardes-nous avec sympathie. »

Les plus démunis nous font comprendre que la pauvreté n’est pas une question de problèmes à résoudre, de législations ou de mesures à améliorer, mais d’abord une question de personnes à rencontrer. Ils nous demandent de situer la lutte contre la pauvreté sur un tout autre niveau, celui de la communauté. Dans ce sens, on peut affirmer que les textes fondamentaux, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, reflètent bien cette aspiration des plus pauvres à être considérés comme des frères et des sœurs de la même famille humaine.

L’affirmation de l’égale dignité de tout être humain comme clé essentielle pour combattre la misère, l’importance de bâtir la communauté avec ceux qui ont trop longtemps été méprisés et exclus, l’engagement de faire participer de façon active les très pauvres à la construction d’un avenir de tous, sont de plus en plus présents aussi dans les textes de l’Union européenne. Le père Joseph Wresinski a été précurseur de cette évolution quand il a réalisé un rapport en février 1987, pour le Conseil économique et social en France, sur la base de trente ans d’engagement, de connaissance et d’action avec et à partir des plus pauvres. Ce rapport a ensuite donné lieu au vote d’une loi d’orientation qui a mis en route une politique globale, concertée et ambitieuse, pour vaincre la misère. Au niveau de l’Union européenne, le sommet des chefs d’Etat de Nice a adopté des objectifs de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, qui reprennent, dans leur quatrième objectif, la nécessité de promouvoir la participation et l’expression des personnes en situation d’exclusion, et le partenariat entre tous les acteurs publics et privés concernés (partenaires sociaux, organisations non-gouvernementales, services sociaux, entreprises, citoyens.)

Ces objectifs de lutte contre la pauvreté, les plans nationaux d’inclusion, la Convention sur l’avenir de l’Europe lancée à Laeken, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui affirme le droit inviolable de tous à la dignité humaine, sont des points d’appui pour nos réflexions d’aujourd’hui, de demain et des années à venir.

4. Permettez-moi de terminer avec deux petits exemples étonnants qui à mon avis indiquent bien comment une histoire de pauvreté et d’exclusion sociale peut basculer dans une histoire de solidarité et de fraternité, au-delà des frontières.

Il y a quelques années, un jeune couple aux Pays-Bas (Willem et Ina, issus de familles où depuis trois générations tous les enfants avaient été placés dans des institutions ou des familles d’accueil à cause de la grande pauvreté) a demandé au service qui gérait tous ses revenus, d’envoyer chaque mois 45 florins (22 €) pris sur leurs allocations à une organisation de parrainage international pour permettre à un enfant en Colombie de grandir près de sa mère. « On nous a retiré nos enfants, disaient-ils, mais nous pouvons peut-être aider cet enfant à être heureux dans sa famille. » Le travailleur social qui gérait leur budget a refusé de libérer ce montant pour cette solidarité au-delà des frontières, argumentant qu’ils avaient déjà du mal eux-mêmes à boucler leurs fins de mois. Et c’est vrai que la plupart de leurs fins de mois sont faites de pain et de pâtes. Mais Willem et Ina n’ont pas baissé les bras. Pendant deux ans, ils ont recueilli auprès de leurs parents, frères et sœurs, 22 € par mois pour les envoyer en Colombie. « Nous avons peu, mais eux ont sans doute encore moins que nous. » Cette même famille découpe régulièrement des articles de presse sur la situation d’enfants pauvres partout dans le monde. La grand-mère me confiait un soir : « Il y a tant d’enfants qui vivent à la rue ! Il y a même des enfants qui sont vendus pour leurs organes ! Et des pays où des enfants meurent dans des orphelinats parce qu’on ne prend pas assez soin d’eux ! Même en Europe des familles vivent à côté d’une décharge ! Des fois j’en pleure, mais c’est le soir, sinon mon mari serait trop pris de chagrin. »

Il y a trois semaines, j’ai découvert un fait historique très semblable, qui se passait au printemps 1847. À cette époque aux Amériques, un groupe d’Indiens Choctaw (moins de vingt ans après avoir été chassés des terres de leurs ancêtres, où des milliers de personnes de leur ethnie avaient été tuées) a collecté une somme de $ 170 pour venir en aide aux victimes de la grande famine des pommes de terre en Irlande. Cette somme, prise sur leurs maigres ressources, représente la valeur actuelle de 5.000 €. Là aussi, des pauvres tendent la main à d’autres au-delà des continents. Lors d’une retransmission de cette histoire, des ethnologues, des historiens et des détenteurs des traditions des tribus indiennes, se sont demandés quelle délibération avait pu décider ce groupe, qui avait déjà tellement souffert, de venir en aide à d’autres, loin de chez eux. Un écrivain a parlé d’un jeune Indien Choctaw qui refusait d’aider les Blancs qui les avaient traités de façon inhumaine en les chassant de leurs terres. Le soir avant la décision finale, son arrière-grand-mère lui raconte - pour l’aider à discerner - l’histoire du long voyage de leur tribu vingt ans avant. Elle lui raconte que sa mère y avait perdu, comme tant d’autres familles, un de ses enfants, qui aurait été aujourd’hui son frère aîné. Le jeune, qui a toujours rêvé d’avoir un frère aîné, comprend. Le lendemain, il fait savoir aux anciens de la tribu : « Il faut envoyer de l’aide à ce peuple qui traverse aujourd’hui ce que nous avons vécu hier. »

Je nous souhaite deux journées nourries de cette communauté humaine solidaire dans laquelle les plus démunis nous invitent à investir le meilleur de nous-mêmes, en mettant ensemble nos moyens, nos connaissances, nos convictions.

Nous savons que, si nous nous y mettons vraiment, l’histoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale peut basculer de la honte à la fierté de nos pays, d’une plaie qu’on cache à la plus grande force de l’Europe, qui se sera réconciliée enfin avec tous ses citoyens, dans l’immense richesse de leur diversité.

Herman Van Breen

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Frans Polen

Région Europe du Mouvement ATD Quart Monde

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