Ces groupes sont composés de parents qui vivent des situations extrêmes, mais aussi d'autres citoyens qui s'engagent avec eux et refusent cette situation. Ensemble, pendant plusieurs mois, ils ont travaillé à mieux comprendre leur propre expérience, celle d'autres personnes, mais aussi comment, dans les textes, on parle du droit de vivre en famille. Par exemple, certains de ces groupes ont étudié la loi sur l'adoption dont on discute beaucoup en Grande-Bretagne. En Belgique, d'autres ont travaillé, à partir du Rapport général sur la pauvreté. En France, ils ont essayé d'analyser les propositions du Rapport Naves-Cathala.
Dans tous ces groupes, les participants se sont confrontés pour amorcer un dialogue. Voici quelques échos de la préparation en Ile de France.
« Nous avons travaillé pendant plusieurs mois sur le rapport Naves-Cathala, surtout sur les propositions. Dans notre groupe de travail, nous venions d'horizons divers : des personnes avec des enfants placés, d'autres non. Il y avait certains points dans le rapport que personne de notre groupe ne comprenait, ou des mots sur lesquels nous avons tous buté. Nous avons cherché à comprendre par tous les moyens : les partages des expériences, les débats, l'usage du dictionnaire. L'ambiance, que l'on soit deux, cinq ou quinze, était toujours amicale et le partage se faisait dans la confiance. Nous avons beaucoup appris, nous nous sentons mieux informés, mieux armés pour assister à cette session et prêts à apporter nos témoignages pour faire avancer les propositions. »
« Il faut respecter le rythme des familles, c'est très important pour moi. »
« Je suis une maman qui a vécu le placement. Je veux vous parler d'un papa qui s'est battu pour revoir ses enfants depuis leur placement. J'ai travaillé avec lui pour cette session. Malheureusement, il n'a pas pu venir car il travaille, mais il aurait voulu être avec nous car il avait des choses importantes à dire à propos de son rôle de père. Ce qui lui tient à cœur, c'est de savoir ce que font ses enfants à l'école. Il réclame les bulletins scolaires, c'est important pour lui. Il s'est battu pour que ses enfants viennent le voir à Noël. Au début, on ne voulait lui donner ses enfants que pendant trois jours mais sa force de persuasion lui a permis d'avoir ses enfants une semaine, il était content. Il veut à tout prix garder son rôle de père. »
« Ce qui est très important pour moi, c'est qu'avant de prendre une décision pour un enfant, on convoque les parents et on voit avec eux. »
« Je suis juge des enfants. Depuis cinq ans, en dehors de mon bureau, je travaille avec des familles dont les conditions de vie sont très difficiles. J'ai découvert à quel point la peur du placement paralysait, faussait toutes les relations d'aide et j'ai compris combien il fallait partir à la recherche des compétences des parents, de leurs forces, de leur courage, sans cesse aller au-delà des apparences et du découragement, le leur, le nôtre. »
« Quelle est la famille qui, au cours de son existence, ne traverse pas de crises ? En travaillant avec des familles très démunies, j'ai pris conscience que, pour elles, ces moments de crise pouvaient entraîner des conséquences dramatiques, comme le placement des enfants. Il me semble profondément injuste que des familles soient pénalisées par les conditions dans lesquelles elles vivent. »
« Ce qui m'a le plus marqué dans les travaux des derniers mois, c'est, lors d'une réunion d'Université populaire Quart-Monde, une maman qui disait : « Ma dignité, je l'ai perdue le jour où on a placé mes enfants ». Cela m’a profondément marquée parce que, la dignité, elle est inscrite en tout homme, elle est inaliénable à l'homme. Tous les hommes naissent et vivent égaux en dignité, et pour moi, c'est ce qui différencie l'homme, la femme, l'enfant, de la bête. C'est ce qui définit l'humain. Cette personne, la manière dont s'était passé le placement de ses enfants, le placement lui-même, cela avait tellement bafoué sa dignité de femme, sa dignité de mère, sa dignité d'être humain, qu'elle disait qu'elle n'avait même plus de dignité. Elle avait même perdu cette valeur inaliénable. SI on est là aujourd'hui, c'est pour faire avancer la dignité de tout homme. »
« Quand on vit dans la grande pauvreté, pourquoi sommes nous jugés, pénalisés, pour un incident qui, dans d'autres milieux, n'attire même pas l'attention ? Comment avoir confiance dans les travailleurs sociaux ? Ce que je vis, ce que je vois autour de moi ne m'en convainc pas. On doit prendre le temps de nous écouter, de pouvoir dialoguer, de nous faire confiance. »
« Est-ce que ça va me poursuivre toute ma vie, le fait d'avoir été placée ? »
Pendant le travail préparatoire, Nadine, qui ne peut être là aujourd'hui, nous a crié toute son angoisse de voir peut-être ses enfants placés car son contrat de travail va se terminer. « Est-ce que ça va me poursuivre toute ma vie, le fait d'avoir été placée » ? Ces mots résonnent très fort en moi, car j'ai moi-même connu l'expérience du placement. Et même si ma vie aujourd'hui est agréable, ce vécu reste inscrit en moi comme une immense douleur qui paralyse parfois et qui m'empêche encore trop souvent de vivre bien. Alors, pour Nadine et pour tous les autres qui vivent en plein dedans, je me dis que ce n'est plus acceptable et qu'il doit bien y avoir d'autres solutions. »
« Depuis trente ans je travaille dans un quartier difficile. La communication reste possible, il faut créer le dialogue, la confiance, l'amitié, bâtir ensemble et réussir ensemble. »
« Je suis avocate et j'ai appris que, devant les difficultés que rencontrent les familles, il fallait énormément de temps. Du temps pour que les familles s'expriment et disent leurs craintes. Du temps, de mon côté, pour les écouter, pour les rassurer, pour leur expliquer, et aussi pour répéter car la peur empêche bien souvent de comprendre. Du temps également avec le juge pour instaurer un vrai dialogue. »