Jean-Paul Baget : Avec la voix que je suis
Depuis la création de l’atelier chant, j’ai en mémoire des moments de grâce, véritables étapes qui jalonnent cette aventure : les corps se détendent, chacun prend sa place et respecte la place de l’autre.
Les cœurs s’ouvrent à une harmonie qui est l’accordage mystérieux mais réel de nos différences. Un souffle puissant traverse nos chants balayant la peur et la honte, nous faisant goûter la paix : c’est l’expérience de la beauté.
Mais de quoi s’agit-il ? Serait-ce magique ? Non !
C’est un chemin où chacun est invité à se mettre en marche pas à pas, tel qu’il est, dans son corps, dans son histoire unique, vrai et entier.
Les regards s’ouvrent : j’accepte de regarder l’autre avec respect et sans jugement mais aussi d’être regardé avec confiance. C’est un chemin pour soi, pour se chercher, s’écouter, se découvrir, pour se dire, se chanter, être bien... pour être.
Ce chemin se fait avec d’autres, si lointains et si proches. Un chemin pour l’autre où nous apprenons ensemble les uns des autres. La musique et la dynamique du chœur permettent une nouvelle relation à l’autre et de nouveaux possibles pour soi-même.
Chacun est devant un choix : un engagement de présence, de travail, d’« être là » avec la « voix que je suis ». Mais ce choix est soutenu par la flamme du désir : « en Vie » de chanter, de dire, d’exprimer grâce au chant mes peines, mes joies, mes doutes et mes espérances...
Quant à moi, chef de chœur de cette aventure, qui suis-je ? Un magicien ? Non. Un artisan (mon rêve était d’être menuisier) qui aime le chantier. Ce chantier unique qu’est le travail d’un chœur, où il y a une place pour chacun tel qu’il est, d’où qu’il vienne et fort de ses possibles.
La recherche du Beau, notre quête, nous pousse en avant, nous invite à retrousser nos manches, nous dépasser, nous accorder et à partager avec d’autres notre chemin et notre recherche.
Ce qui rend aussi possible cet atelier, c’est la présence de volontaires et d’alliés d’ATD Quart Monde qui acceptent de chercher leur voix et de se situer sur un plan « horizontal » par rapport aux autres. C’est aussi l’engagement d’autres chanteurs (d’autres chœurs) qui s’impliquent ponctuellement ou régulièrement, sur ces mêmes bases. C’est encore le soutien de musiciens dont l’objectif est de rencontrer chaque personne au cœur de sa Voix et d’inventer des outils pédagogiques vivants et adaptés. C’est enfin la rencontre régulière avec Brigitte Bourcier et Aniochka Guyot Mallet pour prendre du recul sur ce que l’on vit à l’atelier, en lien avec ce que chacun peut dire et écrire.
Cette mise en question permanente nous permet d’avancer.
Souvent, je suis questionné : où trouves-tu cette énergie, cette force ?
Cet atelier m’a toujours mis en face de ma fragilité, de mes limites et de mes peurs. A chaque fois j’ai du prendre des risques, accepter de ne pas savoir, afin de me mettre en route sur ce plan libérateur, plan « horizontal » pour apprendre aussi de celles et ceux qui me demandent de les guider.
Cet atelier donne sens à ma vie, comme un engagement fondamental et rayonne dans ma vie d’homme, de père et de chef de chœur.
Quand j’accepte de changer mon regard, j’ouvre l’horizon et je goûte à une beauté qui dénoue les corps et libère les Voix.
Kader Ait-Ali : Chanter donne de l’énergie
Quand arrive le samedi, c’est l’atelier chant, je suis tellement content, je cours, je cours... ça fait tellement plaisir de voir tous les participants. Dès qu’il manque une personne, je ne suis pas content, ce n’est pas pareil.
Et pourtant, le chant, au début, j’ai trouvé ça embêtant. Il faut dire que quand j’étais enfant, je ne me sentais capable de rien, à l’intérieur de moi, çà n’allait pas. On m’a souvent dit que j’étais nul, un bon à rien. Au début j’étais à la rue ; avec un appartement ça change tout. Quand on est à la rue, c’est difficile d’aller à l’atelier.
Avant de connaître ATD Quart Monde, je ne m’aimais pas, je n’étais pas amoureux de moi, je me traitais de fou. Ce mouvement m’a comme rehaussé, il m’a dit : t’es bon, tous, on t’aime. J’ai vraiment eu la chance d’avoir le mouvement comme support.
Donc, un jour, on m’a proposé l’atelier chant. J’ai dit oui pour un mois, puis j’ai eu un déclic, pas par rapport au chant mais par rapport aux personnes qui m’entouraient. Maintenant quand je suis chez moi, je me regarde dans la glace et je me dis : aujourd’hui tu as fait ça, tu as appris beaucoup de choses. Du jour au lendemain je me suis promis : tu vas tenir à telle chose et persévérer. Pour ça c’est important d’être entouré de personnes qui vous soutiennent. Je me fais un planning et je m’y tiens. L’atelier m’a donné cette habitude et maintenant je le fais pour des choses personnelles, c’est ça l’avancement pour moi.
L’atelier chant m’a aussi appris à parler, à me relaxer, à ne plus avoir peur de chanter en public. Aller au chant me donne de l’énergie, c’est une nourriture et je dors mieux.
J’apprécie qu’on nous prenne comme on est, à mon tour je peux soutenir des personnes en difficultés.
Je n’aurais jamais cru que je sois capable de créer du beau et de l’offrir. Cela me fait chaud au cœur de voir le public heureux quand on chante.
Brigitte Bourcier : Aller loin chercher sa voix
Dès les premiers ateliers, je prends conscience qu’une nouvelle manière d’entrer en relation est en train de naître. Chacun, quelle que soit sa vie, découvre un travail où on s’occupe de soi-même tout en étant attentif à l’autre, sans l’assister. Pour trouver l’harmonie dans le chant choral, chacun travaille sur sa propre voix et doit beaucoup écouter l’autre. Ainsi on trouve l’accord qui conduit à la beauté. Pour Jean-Paul Baget, cette expérience n’est pas réservée à celui qui se sent capable. Parce que s’est créé un climat de confiance, chacun est encouragé à aller loin chercher sa voix, unique. Nous prenons le temps pour que chaque voix, même marquée par de grandes blessures, s’embellisse et apporte au projet commun ce qu’elle a de particulier. Par ce travail musical, nous apprenons à mieux connaître nos forces et nos limites, mais aussi à ne pas juger l’autre, différent de soi. Nous cherchons à ce que chacun trouve et donne le meilleur de lui-même.
Toute cette expérience fait écho à ce que je retiens d’essentiel de ce que le père Joseph Wresinski a transmis : toute personne, même dans l’extrême misère, est un être humain à part entière qui peut rire, pleurer, chanter, aimer et qu’une expérience de vie, difficile ou non, peut se transformer et devenir une chance pour les autres. Fier de lui-même, chacun peut prendre pleinement sa place dans la société en développant ses capacités et en assumant ses limites, pour contribuer au bien-être commun.
A l’atelier, parce que nous partageons une passion commune dans le respect, nous apprenons à devenir les compagnons les uns des autres pour créer des moments de beauté. L’attitude créatrice que nous développons apporte à chacun bien-être et paix, ainsi qu’une nouvelle manière d’écouter et de se rendre disponible à l’autre. Alors, si on le désire, un nouvel horizon s’ouvre.