Atelier B : Connaître un dossier…

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Atelier B : Connaître un dossier… », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 17 novembre 2010, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4942

Brigitte Bourcier introduit la discussion sur « connaître un dossier, ce n'est pas connaître une famille » en évoquant les deux types de connaissance qu'il faut essayer de croiser pour comprendre les situations : l'expérience vécue de la pauvreté, mais aussi l'apport des sciences humaines (psychologie, droit, etc.) Elle souligne aussi que la lutte contre la pauvreté est indissociable de la question du respect du droit : bien souvent, les textes existent mais ne sont pas respectés.

Animatrice : Brigitte Bourcier. ATD Quart Monde, Val d'Oise.

Participants :

Alain Cazelles.Président association service AEMO, Paris.

Anne Commarieu. Juriste, Ille et Vilaine.

Tom Croft. ATD Quart Monde, Val d'Oise.

Gervais Douba. Enseignant Université, Section France de Défense Enfant Internationale, Seine maritime.

Dorothée Dufour. Directrice Établissement social ASE, Nord.

Patrick Godefroy. Militant Quart Monde, Belgique.

Anna Gupta. Travailleur social, formatrice, Gde Bretagne.

Bernadette Harmegnies. ATD Quart Monde, Nord.

Susan Harris. Militante Quart Monde, Gde Bretagne.

Richard Hood. ATD Quart Monde, Val d'Oise.

Colette Januth. ATD Quart Monde, Belgique.

Jean-Marc Lepiney. Responsable service AEMO, Calvados.

Paulette Liard. Militante Quart Monde, Nord.

Sue Malone. Travailleur social, thérapeute, Gde Bretagne.

Marie-Jo Renaud. Responsable circonscription, d'action sociale, Seine maritime.

Olesya Samoylova. ATD Quart Monde, Val d'Oise.

Jane Tunstill. Formatrice de travailleurs sociaux, Gde Bretagne.

Baudoin Van Overstraeten. Avocat, Belgique.

Thierry Viard. ATD Quart Monde, Val d'Oise.

Baudoin Van Overstraeten note qu'il y a, devant les tribunaux, un rapport très puissant à l'écrit, à la preuve écrite : « Quand un travailleur social a écrit quelque chose, convaincre le juge que ce n'est peut-être pas tout à fait exact, c'est quasiment impossible. »

Susan Harris rapporte son expérience de participation à des « policy forums » depuis quatre ans aux côtés d'autres parents.

« Une expérience qui nous est commune est que nous avons le sentiment que les travailleurs sociaux ou les assistants de santé se forment leur opinion sur nous, avant de nous rencontrer pour la première fois. Ils ont lu nos dossiers et c'est fini. Ils considèrent que ce qui est écrit est vrai. Mais ce n'est pas équitable pour les familles. Tout le monde ne sort pas du même moule. Chacun est différent. Ils essaient de faire de nous une famille parfaite, mais nous ne pouvons pas tous rentrer dans le même schéma.

Il y a un manque de compréhension entre professionnels et familles qui crée un fossé, par exemple si un travailleur social a eu une éducation différente. L'assistante sociale est peut-être convaincue que chaque famille devrait avoir 2 enfants et une grande maison bien rangée. Ils regardent ce qui se passe dans la vie d'une famille à partir de leurs propres références.

Souvent, il y a une division qui vient de la formation des travailleurs sociaux. Les professionnels ne sont pas formés à comprendre que tout le monde n'a pas la capacité naturelle d'être une bonne mère de famille. Cela dépend par exemple de la façon dont vous avez été élevé par vos parents. Si vous avez une famille qui peut vous soutenir, c'est bien. Mais si vous n'avez pas ce réseau de soutien, alors vous allez faire des erreurs et c'est là que les travailleurs sociaux apparaissent. Si vous avez été élevé en foyer, balloté de l'un à l'autre, vous n'allez pas avoir la capacité naturelle de construire une famille. Les professionnels doivent comprendre le contexte qui est le vôtre et d'où vous venez.

Je crois que la formation devrait prévoir que des parents viennent partager leur propre expérience. Avant que les professionnels ne lisent un quelconque dossier de famille, ils devraient voir ce que c'est que quatre heures dans une maison quand on n'a aucun accès à la crèche, qu'on est stressée et qu'on a trois enfants de moins de cinq ans à la maison. Des jeux de rôle pourraient être utiles pour comprendre comment nous vivons : les parents à la place des travailleurs sociaux et les professionnels comme mères de famille sous pression.

Si vous avez eu par le passé un enfant qui a été adopté, cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas, plus tard, élever un autre enfant. Souvent, beaucoup d'entre nous ont le sentiment que les services sociaux ne nous donnent pas suffisamment de temps pour changer. Chacun peut apprendre de ses erreurs. Chacun peut changer.

Quand on va à un entretien (Case conference) ou au tribunal, ils ne devraient pas ressortir tous vos antécédents familiaux. La façon dont c'est fait vous fait vous sentir très inférieur. Cela influence beaucoup la façon dont le juge va se former son opinion.

Parfois, les services sociaux ont des informations sur vous que vous ne connaissez pas vous-même. Ce n'est pas juste. Aujourd'hui, en Angleterre, on peut avoir accès à son dossier, mais les services sociaux ne vous le disent pas toujours et ne vous aident pas. Ou alors, ils disent : "Vous ne pouvez pas y avoir accès parce que le rapport parle aussi de quelqu'un d'autre." Ils utilisent cet argument comme prétexte.

J'aimerais que les familles soient vues comme des personnes, non comme des éléments du dossier ; qu'elles puissent obtenir de l'aide sans que tout leur passé soit vérifié. De cette manière, cela pourrait aider les professionnels et les familles à créer une compréhension plutôt que de se repousser les uns les autres. »

Dorothée Dufour réagit sur la question de la lecture préalable du dossier par le travailleur social avant de rencontrer la famille. Dans le foyer de l'Aide sociale à l'enfance où elle travaille, on dispose avant de rencontrer une famille d'un rapport où figurent l'histoire de la famille et ce qui a motivé le placement. Mais : « De plus en plus, on ne le lit pas avant d'avoir rencontré la famille, parce qu'on s'est rendu compte qu'on avait alors une représentation de la famille et de l'enfant avant qu'ils n'arrivent. » La première rencontre a pour objet de faire connaissance ensemble, famille, enfant, travailleur social, pour voir la raison pour laquelle on en est là. C'est parfois très difficile : devoir parler de son histoire peut être ressenti par la famille comme une violence supplémentaire qui lui est faite ; mais pour travailler ensemble, il faut faire connaissance. L'écrit reste nécessaire : il aide ensuite à remettre les choses dans leur chronologie, à ajouter des éléments dont on n'a pas parlé lors de la première rencontre.

Colette Januth expose le travail sur l'écrit qu'elle a réalisé avec Patrick Godefroy à la suite du rapport général sur la pauvreté en Belgique.

La loi de 1991 a instauré une distinction entre le moment où l'on estime que l'enfant est en danger - et l'on est alors dans un système judiciaire (le service de protection de la jeunesse) - et le moment où l'enfant n'est pas en danger, où c'est le service d'aide à la jeunesse qui est compétent et où l'on recherche l'accord de la famille. Or ce qu'on voit dans la pratique, c'est que cet accord est rédigé par un intervenant social et si la famille ne le signe pas, ça passe à la protection de la jeunesse : il y a une pression pour inciter la famille à signer.

De même, on peut normalement consulter ses dossiers, mais on voit dans la pratique que les familles n'y ont pratiquement pas accès, et même très souvent, on leur dit qu'elles n'en ont pas le droit.

Le contenu des dossiers lui-même est à revoir. Ils privilégient généralement un seul des points de vue très différents qu'on peut avoir sur les faits en apparence les plus anodins. Patrick Godefroy cite l'exemple d'un papa qui avait fait une démarche pour envoyer sa fille en vacances ; or, dans le dossier, la conseillère avait uniquement écrit qu'elle payait des vacances à la famille. On ne voyait pas que la démarche venait du père. Colette Januth explique qu'une recherche a été financée par l'administration française pour voir si dans les dossiers constitués par le service d'aide à la jeunesse, on retrouvait écrite la parole des familles : jusqu'à présent, on constate que ce n'est pas le cas. Des travailleurs sociaux disent : « Ce n'est pas parce qu'on n'écrit pas que M. Untel a dit ça, qu'on ne va pas le prendre en compte. « Mais il est essentiel que le dossier porte la marque de la participation de la famille. Marie-Jo Renaud note que cela renvoie à la question des enjeux de pouvoir : pour un travailleur social situé entre des familles et une administration, il y a le risque de taire complètement la parole des familles, parce que, comme on a des comptes à rendre à l'administration, on va d'abord faire valoir ce qu'on a fait.

Anna Gupta introduit une note positive à partir d'un exemple en Angleterre, où l'on a mis au point un nouveau formulaire, qui permet à la famille de dire ce qu'elle pense. Mais, pour que cela soit utile, il faut aussi que les gens sentent qu'ils ont le droit de critiquer.

Baudoin Van Overstraeten observe que, devant un tribunal pénal, le juge lit certes au préalable le dossier écrit pour pouvoir ouvrir les débats, mais il y a ensuite un débat à propos de ce dossier, où tout le monde peut s'exprimer et dire ce qu'il pense de son contenu. Sur ce modèle, un progrès pourrait donc être d'utiliser le rapport comme moyen de rencontre et de connaissance. Au moins, si  le travailleur social a lu un dossier avant de rencontrer la famille, il ne devrait pas  la quitter sans lui avoir lu ce qu'il y a dedans et sans lui laisser la possibilité de réagir. Tom Croft trouve que Susan Harris a posé un défi radical en montrant que ce n'est pas l'utilisation du dossier qui peut dégrader la relation entre le professionnel et la famille, mais son existence même : « Dire : « Jetez les dossiers » peut sembler ridicule, mais si l'on réfléchit à l'importance cruciale de construire une relation initiale de confiance, peut-être que ce n'est pas si ridicule. »

Gervais Douba détaille une expérience engagée à l'Université de Rouen depuis 3 ans, sur le thème de la médiation citoyenne, qui cherche à réduire les conflits de vocabulaire et de termes techniques entre les citoyens et l'administration. Ainsi, dans la relation d'une famille avec une administration ou avec la justice, trois médiateurs interviennent : un technicien de l'administration, un avocat et une association qui est en relation avec les parents. L'association enregistre ce que les parents ont voulu dire ; le propos est traduit techniquement en termes administratifs, l'avocat interprète par rapport à la loi, et enfin l'on restitue aux parents, sous cette nouvelle forme, ce qu'ils ont dit. Contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, ce travail de reformulation n'a pas allongé les délais de traitement des affaires. Il y a eu à peu près 75 % de cas de satisfaction sur 50 cas traités, concernant des placements, des problèmes d'adoption ou d'impayés d'impôts.

Jane Tunstill a constaté, comme assistante sociale, comme formatrice de travailleurs sociaux et comme chercheuse, que les gens peuvent interpréter les mêmes données de manière très différente. Les travailleurs sociaux devraient être beaucoup plus explicites sur la manière dont ils prennent leurs décisions et sur le type de données qui les sous-tendent, et cette information devrait être écrite dans le dossier et disponible pour les parents.

Marie-Jo Renaud note que la mission des travailleurs sociaux est de soutenir les familles, et aussi de protéger les enfants. Les droits des uns ne s'opposent-ils pas aux droits des autres ?

Paulette Liard lit le texte qu'elle a préparé :

« Pendant les vacances de février 1999, un matin, j'ai vu arriver un camion de police devant mon immeuble. Ces messieurs sont montés et ont emmené le père, la mère, et les cinq enfants. Il y avait eu des soupçons des instituteurs et des rumeurs. L'un raconte ci, l'autre raconte ça. Soi-disant, les enfants étaient battus. Alors, on demande aux voisins de dire tout ce qu'ils ont vu de suspect, de dénoncer.

Cette famille vivait à sept dans un petit logement et c'est vrai qu'avoir cinq petits dans les jambes, ce n'est pas toujours évident. La mère était jeune, elle a craqué et plutôt que de lui donner du soutien, ils ont enlevé les enfants en urgence. Les parents ont mis du temps avant de voir un juge.

Au tribunal, on leur a reproché de mauvais traitements sur leurs enfants. Mais il n'y a eu aucune preuve et ils n'ont pas eu la possibilité de se défendre. Ils n'avaient pas le droit à la parole. En réalité, on parlait toujours au-dessus d'eux. On s'adressait aux travailleurs sociaux, mais eux n'avaient rien à dire, ils ne pouvaient pas s'expliquer.

Finalement, les enfants ont été maintenus en placement et séparés dans des familles différentes. A partir de ce moment-là, l'assistante sociale n'est plus jamais venue. On dit que les enfants sont en danger, on les met dans un endroit et on dit : ils ne sont plus en danger et puis point final ; on n'envisage pas qu'un jour les enfants puissent retourner dans la famille puisqu'on n'améliore pas les conditions de vie des parents.

Mes voisins ont fait des efforts pour récupérer leurs enfants ; ils ont embelli leur logement, ils ont retapissé, mais personne n'est jamais venu voir. Les parents ne sont plus rien pour les professionnels quand les enfants sont placés. En tous les cas, ils ne sont plus considérés comme des parents : par exemple, une des filles a été opérée des amygdales et la mère a dû se battre pour pouvoir être auprès de son enfant.

Si l'on reprend la situation, tout est parti de rumeurs, de soupçons et on n'a jamais vraiment écouté les parents. Les assistantes sociales, elles changent tout le temps. Alors, quand la nouvelle arrive chez quelqu'un, elle a un dossier sur la famille et elle croit la connaître. On est différent de ce qui est dans le dossier. Les assistantes sociales ont déjà une idée sur nous alors qu'elles ne nous connaissent pas. On voudrait qu'elles nous voient comme des êtres humains. Au lieu de ça, elles arrivent avec des a priori et quand elles rentrent chez nous, elles inspectent partout et elles nous jugent. Il ne faudrait pas qu'elles se fient toujours à leur première impression. On se demande d'ailleurs parfois quels sont leurs critères pour déterminer si un enfant est en danger ou pas. Elles regardent si c'est propre, si c'est bien rangé mais pas les rapports entre les parents et les enfants.

Il faudrait quelque chose de constructif pour améliorer le dialogue. Par exemple, quand les travailleurs sociaux viennent chez nous, ils pourraient montrer qu'ils sont contents. Ils viennent pour le travail, d'accord, mais n'ont pas à montrer que c'est désagréable pour eux d'être là. Et puis, qu'ils nous écoutent. On sait qu'ils n'ont pas beaucoup de temps. Mais nous devons pouvoir expliquer ce qu'on vit, ce qu'on souhaite. Au lieu de ça, quand on va les voir, on sait qu'on ne dispose pas de plus de dix minutes, alors on ne raconte pas notre vie. On va droit au but et ils ne peuvent pas nous connaître ainsi. Plus généralement, il faudrait que tous les professionnels apprennent à avoir de bons contacts avec les gens. Cela devrait faire partie de leur formation. Il n'y a  que comme ça qu'il pourra y avoir confiance et qu'on pourra bâtir quelque chose ensemble. Sans confiance, nous aussi on a des a priori et on se ferme complètement. Quand les enfants sont placés, les parents ont toujours l'impression d'être punis, que tout le monde se mêle de leur vie pour les sanctionner. Et après la décision, ils se sentent abandonnés, ils ont le sentiment que plus personne ne s'intéresse à eux et ne veut les aider.

En résumé, il y aurait beaucoup de choses à changer pour améliorer les représentations réciproques. D'une façon globale, il faudrait établir une relation de confiance réciproque. Mais, pour cela, il faudrait qu'il y ait de bonnes relations, une bonne communication. Les professionnels doivent mieux nous écouter, ne pas nous traiter comme un dossier parmi tant d'autres. C'est la vie des gens qui est en jeu. Et surtout il faudrait essayer de comprendre et ne pas toujours juger. Par exemple, il faudrait que nos efforts soient vus, qu'on ne signale pas que le négatif.

Puisque nul n'est censé ignorer les lois, pourquoi ne pas  l'expliquer aux gens et même à ceux à ceux qui les font ? »

Susan Harris lit le texte de Mary :

« Quand les gens sont jugés, ils se sentent mal, seuls, dépossédés, étiquetés, rejetés, critiqués, désespérés, furieux, incapables. Quand vous êtes jugé, vous n'êtes pas respecté, vous perdez votre dignité. Cela peut vous conduire à abandonner la vie et à laisser tomber dans des situations que vous devriez pouvoir maîtriser. Les gens ne vous écoutent pas.

Où apprend-on la dignité ? On devrait pouvoir l'apprendre l'un à l'autre. Comment donne-t-on du respect et de la dignité aux autres ? Les gens ne vous laissent pas oublier les choses qui se sont produites dans le passé. Les dossiers s'accumulent et deviennent de plus en plus gros. Comment peut-on apprendre aux gens à tourner la page, à mettre les choses derrière eux ? Souvenez-vous qu'on n'est pas juste un cas, ou un numéro, mais une personne. Ne revenez pas sans arrêt au passé des gens pour les juger, voyez les gens pour ce qu'ils sont aujourd'hui. Regardez ce qu'il y a derrière une situation donnée. Souvenez-vous que les vies des gens sont compliquées, il ne s'agit pas seulement d'une situation ponctuelle.

Une femme à Glasgow présentait sa candidature à beaucoup d'emplois, mais elle n'obtenait même pas un entretien. Elle vivait dans un logement social qui a mauvaise réputation. Elle a posé sa candidature à un autre travail en donnant l'adresse de sa soeur : elle a été reçue en entretien puis embauchée. Elle a dit plus tard à son patron ce qu'elle avait fait et quelle était sa véritable adresse. Il lui a dit que si elle avait donné sa vraie adresse, elle n'aurait même pas été reçue à l'entretien.

Qu'est-ce qui pourrait changer les choses ?

- plus d'attention ;

- toujours avoir de l'espoir pour les gens : personne n'est au-delà de l'espoir ;

- écouter encore et toujours ;

- voir le problème comme le problème et non la personne comme le problème ;

- arrêter de stigmatiser les gens.

Si vous dites pendant suffisamment longtemps aux gens qu'ils sont des échecs, ils commencent à le croire. Peu importe ce qu'ils font ou ce qu'ils disent, on dit qu'ils ne peuvent pas le faire. Même si d'autres gens vous disent que vous pouvez le faire, c'est difficile de le croire car vous avez toujours à l'esprit ceux qui vous disent que vous ne pouvez pas le faire. Vous continuez d'être jugés. »

Brigitte Bourcier fait le lien entre ces deux contributions et la question posée par Marie-Jo Renaud. Les travailleurs sociaux ont pour mission de protéger les enfants. Mais que pensent les enfants de ces familles-là, dont on entend les parents aujourd'hui ? A-t-on vu l'histoire que vivent ces enfants, l'histoire de leur milieu ? Brigitte Bourcier cite un exemple dans le groupe de préparation d'Ile de France. Annick Aubry disait : « La violence que j'ai vécue avec mes parents, je pouvais la comprendre et m'en protéger. Ce que je vivais quand j'étais placée, c'était une violence aussi, parce que je ne connaissais pas ce monde, le lieu où j'étais, et je ne comprenais pas la manière dont on agissait avec moi. Et au fond, je ne sais pas laquelle était la plus grande violence. » Et entend-on aussi ce que les parents demandent pour protéger leurs enfants ?

Marie-Jo Renaud veut sortir de l'opposition entre droits des uns et droits des autres. Il peut être nécessaire de protéger un enfant, et c'est d'ailleurs le juge, et non le travailleur social qui le décide. Mais il ne faut le faire que si on est sûr d'avoir fait tout ce qu'il fallait avant, et si, ensuite, on continue à associer les familles pour reconstruire quelque chose. Jean-Marc Lepiney observe que dans un signalement, il n'y a jamais de solution idéale, on s'interroge toujours sur la moins mauvaise des solutions.

Anna Gupta se demande si le dossier ne peut pas être le lien entre les nombreux intervenants qui peuvent être en contact avec une famille, pour éviter à cette dernière d'avoir chaque fois à répéter son histoire. Par ailleurs, il lui semble qu'un des principaux problèmes est que les travailleurs sociaux ne disposent pas du temps nécessaire à l'écoute et à la rencontre. Brigitte Bourcier relève que cette question du temps, le travailleur social ne la gère pas tout seul, il a une administration au-dessus de lui. Dorothée Dufour souligne que les travailleurs sociaux ont une très lourde responsabilité, et n'ont pas droit à l'erreur dans leur évaluation du danger dans la famille : il y a des travailleurs sociaux qui sont inculpés, parce qu'ils n'ont pas vu ou signalé suffisamment tôt. Or il y a une  dérive qui est, pour se protéger, de multiplier les réunions entre professionnels de différentes disciplines pour essayer de savoir si, oui ou non, il y a danger. Il y a sans doute, là, du temps à récupérer. D'autant plus qu'on fait fausse route à chercher cette sécurité entre professionnels uniquement, sans associer les familles, et en passant beaucoup de temps à rechercher un consensus. Ce dernier est illusoire : il est normal que les professionnels aient des visions différentes de la famille, qui a généralement plein de facettes souvent contradictoires.

Les principaux points forts évoqués par l'atelier sont rappelés en conclusion :

- Clarifier le rôle des parents, et le rôle de l'assistante sociale, comment les deux rôles se complètent.

- Consacrer davantage de moyens à la prévention, ce qui implique notamment de donner un confort de travail aux travailleurs sociaux, et avant tout du temps pour travailler et accompagner les familles.

- Voir et mentionner dans le dossier les efforts et les démarches des parents, qui veulent aussi l'intérêt de l'enfant. Comment comprend-on les gens différents de soi ?

Rédaction de la Revue Quart Monde

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