L’autorité parentale

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « L’autorité parentale », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 17 novembre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4946

Comment exerce-t-on l'autorité parentale quand on est parent confronté à des difficultés ? Comment les professionnels peuvent-ils favoriser et soutenir l'exercice de cette autorité parentale ?

* Animateur : Xavier Godinot. ATD Quart Monde, Belgique.

* Participants :

Liz Arnesen. Enseignante, thérapeute, Grande Bretagne.

Marie-Martine Bernard. Juriste, Fédération internationale de l'Ecole des Parents, Essonne.

Colette Coudière. ATD Quart Monde, retraitée de l'enseignement, Val d'Oise.

Marie-Geneviève de Becquevort. Responsable circonscription d'action sociale, Calvados.

Maryke Decuypere. ATD Quart Monde, Haut Rhin.

Pascal Deren. ATD Quart Monde, Nord.

Blandine Dupont. Assistante sociale ASE (Aide sociale à l'enfance), Ille et Vilaine.

Nadine Gizard. Militante Quart Monde, Val d'Oise.

Hervé Hamon. Juge des enfants, Paris.

June Heslop. Militante Quart Monde , Grande Bretagne.

Deirdre Hurley. Guardian ad litum (Travailleur social indépendant qui représente les enfants dans les procédures judiciaires), Grande Bretagne.

Brigitte Jaboureck. ATD Quart Monde, Val d'Oise.

Hervé Lefeuvre. ATD Quart Monde, Ille et Vilaine.

Maria Maïlat. Anthropologue, chargée de mission DIF (Délégation interministérielle à la famille), Paris.

Patrick Martin. Association Action éducative et judiciaire, Loire-Atlantique.

Fransien Pâquet. Assistante sociale, association de protection de la jeunesse, Belgique.

Lydie Pierrard. Militante Quart Monde, Ille et Vilaine.

Sabine Pirrovani. Assoc. des amis de Sr Emmanuelle, Paris.

Robert Roach. Caseworker, Communities empowerment network (Réseau des Communautés), Grande Bretagne.

Lise-Marie Schaffhauser. Juriste, formatrice au CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), Charente.

Françoise Sleeth. ATD Quart Monde, Grande Bretagne.

Régis Theys. Educateur spécialisé. Directeur Association Home des Flandres, Nord.

Plusieurs notions sont introduites par les participants dès la présentation : échecs fréquents des placements, qui se traduisent notamment dans les résultats scolaires des enfants placés ; grand écart entre les droits reconnus par la loi et l'exercice effectif de l'autorité parentale par les familles ; sentiment des parents d'être jugés par avance. Patrick Martin souligne en particulier que la question de l'autorité parentale est parfois brouillée par les contraintes paradoxales que la société fait peser sur les parents comme sur les professionnels, en insistant tour à tour sur les droits des enfants et sur ceux des parents, et en faisant porter, tantôt aux parents, tantôt aux professionnels, la responsabilité des difficultés, notamment des incivilités dans les quartiers.

Nadine Gizard : Comment exerce-t-on l'autorité parentale quand on est parent confronté à des difficultés ?

Quand on a des enfants placés ou même en AEMO, l'autorité parentale, on nous la vole, elle est bafouée. Pendant que l'enfant est placé, on pense qu'on n'est plus parent. On se sent exclu de notre rôle de parent. Les sourires, c'est pour l'assistante maternelle. Quand les enfants sont loin, c'est dur de suivre ce qu'ils font. Vous avez l'éducatrice et le juge qui décident pour vous.

En plus, comme disait Louise dans mon groupe d'université populaire, les enfants croient qu'on ne veut pas s'occuper d'eux. Quelque part, ils savent que ce n'est plus tout à fait nous qui commandons. C'est le juge, l'éducateur, la nourrice. »

Des exemples vécus par des personnes autour de moi où l'autorité parentale a été bafouée, même si elle existe dans le texte : Monsieur L. dit que la famille d'accueil de son enfant placé l'a obligé à aller au catéchisme et à faire sa communion sans lui demander son avis.

Un autre exemple : quand ma fille a eu besoin de lunettes, j'ai laissé l'assistante maternelle aller les acheter là où elle avait l'habitude d'aller car elle sait ce qu'elle a à faire. En même temps, je n'étais pas très à l'aise car je ne me sentais plus vraiment la mère de ma fille.

Une autre situation qui arrive souvent : beaucoup de parents d'élèves placés se plaignent de ne pas avoir les carnets scolaires des enfants même si ils les réclament. Pourtant, pour eux, ce serait un bon moyen de dialoguer plus avec les enfants et les professeurs... C'est important de savoir comment se déroule la scolarité de l'enfant, comment il s'épanouit.

Comment les professionnels peuvent-ils favoriser et soutenir cette autorité parentale ?

1) En favorisant le droit de visite.

Un des points essentiels pour exercer son autorité parentale quand un enfant est placé est de pouvoir le visiter et pour pouvoir le visiter, il faut savoir où il est et parfois, c'est difficile de le savoir au début du placement. Après, il arrive qu'il soit difficilement accessible (distance, transports, horaires, etc.) Il arrive aussi que le lieu soit mal adapté au dialogue parents-enfants.

Pour que les parents prennent les bonnes décisions concernant l'exercice de leur autorité, il faut se rencontrer, se connaître, dialoguer. Donc il faut que ce droit de visite soit respecté.

Pour cela, dans le rapport Naves Cathala, il est dit à la proposition 4 : « Faire fixer, par les juges des enfants, les modalités des droits de visite et d'hébergement des parents et non s'en remettre au service qui accueille l'enfant... »

Moi, je pense que ce n'est pas le juge qui connaît mieux les affaires, mais les parents et le service d'accueil si on peut dialoguer avec eux. Par exemple, on nous avait donné le droit de visiter notre enfant le samedi mais mon mari travaillait et n'était libre que le jeudi. Et ça les services d'accueil le savaient beaucoup mieux que le juge.

Il faudrait donc, dans chaque cas, une concertation entre les services d'accueil, les juges et les familles pour que soient réellement pris en compte les problèmes de disponibilité, de distance et de difficultés de transport, etc.

2) Pour favoriser l'exercice de l'autorité parentale, il faut faire respecter l'article du code civil français 375-7 : « Le père et la mère dont l'enfant a donné lieu à une mesure d'assistance éducative conservent sur lui l'autorité parentale et en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l'application de la mesure... (autorisation d'opérer, choix de la religion, choix de l'école, etc.) »

Colette Coudière :

« Je suis une enseignante retraitée depuis 1994. Dans ma carrière, j'étais persuadée de respecter parfaitement les droits des parents. Maintenant, alliée du Mouvement ATD Quart Monde, je réalise le fossé existant entre les droits formels des parents qui ont des enfants placés et la manière dont ils les vivent.

J'accompagne une famille dont deux enfants sont placés. L'an dernier, la maman a été convoquée à une commission d'orientation concernant l'une de ses fillettes qu'il était question de changer d'établissement. Formellement les droits de la maman ont été respectés mais elle a été convoquée au moment de la commission. Il me paraît impossible qu'elle puisse prendre les décisions en connaissance de cause si les enseignants n'en ont pas parlé avant ; mais comment l'autorité parentale peut-elle s'exercer sereinement dans ces conditions ? Même si l'assistante maternelle avait alerté et informé la maman des difficultés du vécu scolaire de la fillette, l'école, l'institutrice n'avaient ouvert aucun dialogue informel avec la maman pour lui parler de son enfant dans des conditions plus libres, moins officielles. L'éducatrice avait juste rencontré la maman pendant un court instant la semaine précédant la commission pour lui conseiller d'y participer et donner son avis personnel.

Il faut imaginer le sentiment de culpabilité d'une mère face à la commission ! Il est clair que si l'on ne l'avait pas accompagnée et rassurée, si on ne lui avait pas affirmé qu'elle était une maman comme les autres mamans qui venait défendre au mieux les intérêts de sa fille parce qu'elle avait toute autorité pour cela, elle n'aurait pas eu la force d'affronter une assemblée par laquelle elle se serait sentie jugée. Et comment alors défendre sa fille ? Nourrice et assistante sociale auraient été seules pour défendre l'enfant et exercer une autorité parentale pourtant encore celle de la maman. Les enseignants auraient conclu au désintérêt de la maman. »

Hervé Hamon fait le point des réformes envisagées en matière d'autorité parentale :

- Donner au juge le pouvoir de mieux délimiter les droits des parents et ceux des services qui gardent l'enfant en réformant l'article 375-7 du Code civil, dont la formulation actuelle (« Les parents exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l'application de la mesure ») est assez vague et propice aux prises de pouvoir des uns ou des autres : il faudrait introduire un débat contradictoire obligatoire en cas de désaccord, où le juge serait arbitre. Cette proposition de réforme a été reprise dans le rapport Dekeuwer-Defossez.

- Soutenir les parents lors du placement, qui est paradoxalement le moment où les parents sont actuellement le moins aidés.

- Intégrer les compétences des parents dans les signalements et dans le travail du juge, pour permettre d'aller vers une action plus « à la carte » qui dépasse l'alternative placement/non-intervention. Il faut aussi combattre, dans les formations, l'idée d'une compétence parentale universelle souvent sous-jacente aux propositions de placement : « Aucun parent n'est compétent sur tout. »

June Heslop lit sa contribution :

« Les professionnels qui s'occupent des familles doivent vraiment écouter les parents et comprendre pourquoi ils disent ce qu'ils disent, pourquoi ils font ce qu'ils font. J'ai eu une enfance difficile. Mon père travaillait et ramenait l'argent à la maison mais c'était un homme violent. Il nous battait.

Nous étions cinq enfants. J'ai vu ma maman lutter toute sa vie. Je suis certaine que si les travailleurs sociaux étaient venus, on nous aurait placés, mais personne n'est venu et nous sommes restés ensemble. Je me souviens que notre maison n'était pas la plus propre, mais c'était notre maison et c'était notre manière normale de vivre. Je pense que cela influence toujours la manière dont je vois les choses aujourd'hui : ce que je pense être bon pour moi n'est pas nécessairement assez bon pour mon travailleur social, surtout si elle a été élevée différemment. C'est important de comprendre que nous sommes tous des gens différents avec des expériences et des passés différents. J'ai fait de mon mieux à partir de ce que je suis. J'ai pu bénéficier d'un soutien psychologique afin de m'aider à traiter différents problèmes. Je l'ai fait pour moi-même mais je l'ai fait aussi afin de devenir un meilleur parent pour mes enfants.

Qu'est-ce que j'ai appris de mes parents ? Ma maman n'était pas le genre à choyer ses enfants. Mais la voir lutter pour survivre m'a rendue plus forte, cela j'en suis certaine. Etre parent aijourd'hui n'est pas la même chose qu'il y a des années. Des choses comme crier ou gifler ne sont plus permises à présent.

Même si j'ai été battue quand j'étais enfant, je n'ai jamais levé la main  sur mes enfants. J'ai appris de mon père que je ne voulais pas être comme lui, je ne voulais pas que mes enfants aient la même vie que moi, et je suis fière d'avoir pu réussir cela. Ce n'est pas juste de penser que parce qu'une personne a été victime d'abus quand elle était enfant, cette personne fera subir des abus à son tour à ses enfants. En ce qui me concerne, j'ai montré que c'était le contraire qui est arrivé. J'ai donné de l'amour à mes enfants et je leur ai appris à être patients.

Je suis une femme mariée, mais j'ai fait beaucoup de choses moi-même, toute seule, comme si j'avais été une mère célibataire. Une assistante sociale m'a très vite été affectée et j'ai gardé la même pendant des années. Elle nous a rendu visite régulièrement et, de ce fait, elle a bien connu la famille. Je pouvais lui parler et elle pouvait comprendre.

Lorsque l'un de mes fils a atteint cinq ans, j'ai commencé à me préoccuper de son comportement. Comme j'avais déjà eu une expérience dans ce domaine, j'ai appelé les services sociaux afin qu'ils m'aident. Mais, pour une raison ou une autre, ils n'ont pas répondu d'une manière appropriée. Les choses ont traîné en longueur et ont empiré. Mon fils avait besoin de soutien psychologique et ce soutien aurait dû commencer immédiatement. Ma responsabilité en tant que parent, c'était de demander de l'aide et c'est ce que j'ai fait, et qu'est-ce qui est arrivé ? Pendant plusieurs années, on m'a laissée me débattre seule avec lui et je ne savais pas quoi faire, ni comment le traiter.

C'est un sujet délicat que de parler de cela, mais quand j'étais enfant, j'ai été victime d'abus sexuels. Bien que j'aie été suivie psychologiquement, on m'a dit que je continuais à être traumatisée par ce fait et que cela avait un effet sur mes enfants. Maintenant, on me considère comme étant un risque pour mes enfants, mais comment est-ce possible ? J'aime mes enfants. Comment peut-on me tenir pour responsable des choses que je fais ou que je dis inconsciemment ? Est-ce que cela signifie que je ne peux pas être une mère responsable ?

C'est si difficile d'être un parent, spécialement quand les sources de stress abondent autour de vous : quand j'avais les six enfants à la maison, notre maison était trop petite, et les chambres étaient minuscules. Nous vivions pratiquement les uns sur les autres, et il était impossible de garder la maison propre. J'aurais bien aimé aider mes enfants à faire leurs devoirs à la maison, mais je ne savais pas comment faire. Les choses ont changé depuis que j'ai quitté l'école. Heureusement, aujourd'hui, ils obtiennent un soutien supplémentaire à l'école et j'en suis contente.

Le manque d'argent rend aussi les choses difficiles. Quand j'étais enfant, j'avais toujours des vêtements d'occasion. Maintenant que je suis mère, j'ai décidé que mes enfants auraient toujours de nouveaux sous-vêtements et de nouvelles chaussures. Tout cela n'a pas empêché mes enfants d'être victimes d'autres enfants à l'école qui les malmenaient. Chaque fois, j'allais à l'école et je parlais au professeur principal, et j'ai considéré qu'il était de ma responsabilité d'aller à l'école et de parler. Mais cela n'a pas arrêté les brimades pour autant.

Les enfants sont influencés par leurs parents. Si leurs parents jurent ou tolèrent un comportement agressif à la maison, alors il y a un risque que les enfants fassent la même chose à l'école. Je suis consciente de cela et j'ai toujours essayé de me maîtriser et de faire en sorte que les enfants se maîtrisent. Personne n'est parfait et je ne suis pas parfaite non plus, mais je fais de mon mieux.

J'ai dit tout à l'heure que bien que je sois mariée, j'ai eu le sentiment d'élever mes enfants comme une mère célibataire. C'était la même chose avec ma mère : elle faisait tout le travail à la maison, et en plus elle s'occupait de mon père lorsqu'il rentrait. Les temps ont changé et je crois que la responsabilité parentale devrait être mieux partagée, 50/50. C'est pourquoi j'ai toujours demandé à mes fils de prendre aussi leur tour des corvées ménagères. Je veux qu'ils soient en mesure de s'occuper d'eux-mêmes et d'être un soutien de leurs familles plus tard. »

Maria Maïlat introduit une réflexion anthropologique sur l'autorité parentale. Elle remarque d'abord que le fait d'être un parent est très difficile à être mis en parole telle que nous l'entendons en tant que professionnels : « C'est plus facile pour une mère de serrer dans ses bras son enfant que de s'exprimer ici, dans cet atelier, dans la langue des institutions, dans la langue des professionnels. » Au-delà de la question du langage, il est difficile d'imposer son autorité par rapport à des institutions, d'abord parce qu'on constate un repli matériel de ces institutions (multiplication des codes d'entrées, répondeurs téléphoniques, serveurs locaux, prise de rendez-vous longtemps à l'avance, etc.), ensuite parce que l'autorité en France est institutionnelle : « Quelqu'un qui a une « casquette » de professionnel, même quand il est bénévole, passe mieux auprès des institutions que quelqu'un qui est simple citoyen auprès des institutions. »

La dimension collective de l'autorité parentale se perd dans nos sociétés modernes, alors qu'elle est toujours, dans les sociétés dites « sauvages », une autorité partagée, distribuée dans la communauté. Nos sociétés renvoient tout le poids de l'autorité, quand il s'agit des enfants, sur deux personnes et parfois sur une seule, alors que normalement l'autorité est une construction sociale, culturelle, partagée entre plusieurs membres de l'entourage de l'enfant. Si on continue à avoir cette fixation que l'autorité, c'est aux seuls parents de l'exercer, surtout quand ça ne va pas bien pour l'enfant, on condamne à l'échec toutes les réformes envisagées.

Or l'autorité parentale est une construction valorisante pour ceux qui la partagent : cette construction de l'autorité, positive dans pratiquement toutes les sociétés, sauf peut-être dans nos sociétés hyper modernes, devient une source de conflits. Selon les termes d'un ancien juge des enfants, « le signalement est une déclaration de guerre qu'on fait aux familles. » Peut-on sortir de cette logique de guerre entre des services sociaux et des familles, où le juge des enfants joue celui qui va signer des protocoles de paix de temps en temps, et poser cette question de l'autorité au niveau de toute la société, pas uniquement des parents, et dans un espace de cohésion sociale et de solidarité ?

Lise-Marie Schaffhauser rappelle que la question de l'autorité parentale se pose bien au-delà des situations de placement même si celles-ci l'exacerbent. Elle rejoint Maria Maïlat sur la nécessité de dépasser la logique de l'affrontement entre parents et professionnels et de penser la dimension collective de l'autorité parentale : comment faire pour que celle-ci soit collectivement respectée et confortée, très en amont d'éventuels conflits, peut-être même avant que les parents ne deviennent parents ? Il y a une réflexion de nature citoyenne à mener. Pour Patrick Martin, au-delà de la définition juridique de l'autorité parentale, il faut effectivement réfléchir ensemble à la manière dont on peut aider chacun à faire autorité, c'est-à-dire à tenir sa place, d'adulte, de parent, dans un quartier, dans une vie collective. Il y a de la place, là, pour que les intervenants - quels qu'ils soient, bénévoles, acteurs de quartier, parents, familles - travaillent ensemble. Maria Maïlat ajoute que pour que les parents puissent exercer l'autorité parentale, il faut qu'ils puissent avoir déjà reconnaissance de leur place dans un quartier, avec le voisinage, avec d'autres familles, indépendamment même de la question d'autorité. On ne peut pas renvoyer les gens à leur autorité parentale s'ils ne sont pas à la fois soutenus, reconnus dans une place de citoyen. Ce travail n'est effectivement pas un travail à ne faire qu'en cas de signalement, mais c'est un travail très important qui va être fait par le voisinage, par d'autres familles, et qui devrait être quand même encouragé, soutenu, par les services sociaux. On ne peut  limiter l'autorité aux parents. La question, c'est : « A quel moment l'enfant entend une parole d'autorité qui renforce son respect par rapport à ses parents ? » Cela renvoie aux notions d'honneur et de respect qui figurent dans le Code civil : elles sont très critiquées par les travailleurs sociaux, mais reviennent très souvent dans les interventions des familles.

Robert Roach présente le travail de son association en Angleterre, qui a pour principe de base de travailler en renfort des familles pour les aider à aborder les institutions. L'association est composée de travailleurs bénévoles qui se considèrent comme le prolongement des familles, aidant ces dernières à mettre en forme leurs propos à l'adresse des institutions : ils rédigent des courriers, vont aux réunions avec elles, parlent pour elles le cas échéant, et leur expliquent ce qui est dit sur elles. Les travailleurs du secteur bénévole ont développé des codes de pratiques. Ils ont cependant souvent le sentiment que l'on ne les écoute pas, « parce qu'ils ne sont pas sous le parapluie des institutions. » Lise-Marie Schaffhauser souligne qu'en France non plus, le bénévolat n'est pas reconnu en tant qu'action par la société. « Le bénévolat fait peur. » Or bénévolat peut équivaloir à compétence, contrairement à une idée reçue.

Marie-Geneviève de Becquevort observe qu'il y a aussi une suspicion systématique envers les professionnels, alors que la motivation première d'un travailleur social, c'est tout de même d'accompagner et d'aider. Il ne faut pas chercher la réponse au fossé qui se creuse entre travailleurs sociaux et familles dans un transfert de la mission d'accompagnement aux bénévoles, qui cantonnerait le travailleur social dans un rôle de protection de l'enfant. Il faut plutôt réfléchir aux contradictions sociales qu'on leur demande d'assumer et qui les empêchent de jouer leur rôle au service des familles.

Nadine Gizard fait remarquer que, pour pouvoir travailler avec les professionnels, il faut d'abord savoir ce qu'ils peuvent  faire. Le flou aggrave la peur des familles. Pour avancer ensemble, il faut comprendre quel est le mandat du professionnel. Pour Marie-Geneviève de Becquevort, c'est précisément là qu'est la difficulté, puisque le travailleur social est sur un mandat contradictoire, qui est à la fois l'accompagnement de la famille et un mandat de protection.

Nadine Gizard remarque aussi que des délais trop longs de mise en oeuvre peuvent vider de leur sens des mesures demandées par les familles, comme cela lui est arrivé quand, étant malade, elle a fait une demande de placement pour son enfant, et que la mesure a pris effet trois mois plus tard alors qu'elle était soignée.

Lydie Pierrard pense que les travailleurs sociaux se fondent trop souvent sur leurs propres critères de vie pour demander le placement des enfants. Selon June Heslop, les travailleurs sociaux ont une formation trop théorique : « Si plus de travailleurs étaient avec des enfants 24h sur 24, je crois qu'ils comprendraient mieux notre situation. » Par ailleurs, elle-même a eu beaucoup de mal à obtenir un soutien : les services sociaux lui disaient qu'ils pourraient mieux l'aider si elle était un parent isolé et ne vivait pas avec son compagnon.

Sur la formation, Marie-Martine Bernard estime qu'un changement de mentalité s'est amorcé dans le cadre de la formation des magistrats, restée pendant très longtemps extrêmement théorique, mais qui prend aujourd'hui mieux en compte les problèmes de terrain et la situation des personnes en grandes difficultés. Elle note à cet égard un déséquilibre entre la formation des magistrats et la formation des avocats, au détriment de ces derniers, dans la prise en compte de la dimension humaine des problèmes. C'est pourquoi il faut réfléchir à des lieux de dialogue, par exemple au niveau des mairies ou des établissements scolaires, qui permettent aux personnes de se sentir plus à l'aise et d'être entendues.

Régis Theys revient sur les contradictions qu'ont à assumer les travailleurs sociaux. De son point de vue, il n'y a pas d'opposition parents-professionnels. Travailler ensemble, c'est se parler, apprendre à se comprendre, élaborer ensemble une pensée et une démarche, et aussi assumer ensemble les contradictions dans lesquelles on est. Par ailleurs, par rapport à la parole des familles, outre les actions d'aide à la parole pour les familles, il faut aussi travailler la réception de la parole : quand il reçoit une souffrance, le travailleur social souffre avec, et humainement, quand on souffre, on a tendance à se protéger, par exemple en invoquant le manque de moyens.

Marie-Geneviève de Becquevort observe que les travailleurs sociaux ont généralement le sentiment de discuter avec les familles, mais que le décalage avec la perception de ces dernières nous interroge. Pour Régis Theys : « On discute, mais est-ce qu'on s'écoute ? Et est-ce qu'on s'entend parler quand on est professionnel ? » Il donne l'exemple d'une assistante sociale disant à des parents dont les enfants sont placés qu'ils peuvent aller les voir « quand ils veulent » chez l'assistante maternelle. Mais, en pratique, aucun des moments proposés ne convient : en semaine il y a les activités de la famille d'accueil, le samedi, c'est les courses, le dimanche, c'est la vie de famille, etc.

Pour Fransien Pâquet, il faut fonder l'échange entre familles et travailleurs sociaux sur ce qu'on a en commun, par exemple sur son expérience de parent. On critique les formations trop théoriques des travailleurs sociaux, mais ce qui compte c'est l'expérience, l'expérience professionnelle et l'expérience personnelle.

Liz Arnesen souligne que, pour écouter, il faut savoir être parfois silencieux, assumer ses doutes et ses incertitudes, reconnaître ce qu'on ne sait pas. C'est, lui semble-t-il, l'intérêt de la démarche d'ATD Quart Monde.

Pascal Deren rejoint les propos de Maria Maïlat : ce n'est pas individuellement qu'on arrive à être parent, c'est collectivement. La mairie lui semble un lieu très intéressant pour mettre autour d'une même table des personnes de statuts différents autour des questions que se posent des parents devant leurs problèmes éducatifs. Il lui semble qu'il faut creuser cette idée d'un lieu commun où se rencontrent un juge, un travailleur social, un bénévole, des parents, pour dire : on a un problème, comment va-t-on faire ensemble, pour ne pas être les uns en face des autres mais les uns à côté des autres ?

Maria Maïlat observe qu'il faut réfléchir aux moyens financiers et institutionnels de conforter l'autorité parentale. Il faudrait notamment revoir les critères d'attribution de l'allocation parent isolé. Par ailleurs, l'aide à la famille ou son accompagnement ne devrait pas s'inscrire dans un clivage avec d'un côté les enfants, de l'autre côté la famille. Il faudrait qu'on arrive, même quand il y a maltraitance, à une approche globale de la famille. Enfin, la mairie lui semble en effet une source insuffisamment investie en matière de soutien à la parentalité. L'approche de la parentalité est une approche collective, et Maria Maïlat se dit d'ailleurs très critique par rapport à l'intervention à domicile. Il faut protéger l'espace privé des gens.

Marie-Martine Bernard rapporte que, dans sa commune, il y a une association de prévention spécialisée où la mairie est largement représentée. Elle l'est également, comme ailleurs en France, dans les conseils de classe à l'école. On essaie de permettre aux parents qui n'ont pas de difficultés d'aller vers les parents qui en ont pour les encourager à venir s'exprimer, et la même démarche est faite auprès de certains jeunes. Il y a en France des créations de maisons de justice, de maisons d'accès au droit, de maisons de citoyenneté qui sont des lieux de prédilection  pour permettre aux gens qui n'ont pas la parole de venir s'exprimer.

Hervé Lefeuvre sent deux obstacles à la relation entre les familles en situation de grande pauvreté et les professionnels. C'est, d'une part, la notion d'enfance en danger : « Il ne faut pas se leurrer, c'est quelque chose qui fait très peur. Si l'on n'ouvre pas la notion d'enfant en danger à celle de famille en danger, on ne s'en sortira pas. » Le deuxième obstacle qui apparaît souvent, c'est la représentation que l'on peut se faire des familles en situation de pauvreté, on les voit comme de mauvais parents. Comment sortir de là, de ces représentations erronées ?

Concrètement, dans le cadre de la protection de l'enfance, il se pose la question du recours que peuvent avoir les parents face à des pratiques de professionnels qui nient leur autorité parentale : « Si les parents doivent sans cesse se bagarrer pour conquérir ce droit-là, on est dans une relation complètement inverse. »

Blandine Dupont estime qu'il y a un travail à faire sur le recrutement et la formation des familles d'accueil, pour qu'elles puissent comprendre que leur mission n'est pas simplement d'accueillir un enfant dans leur foyer, mais de travailler avec une famille entière. Elle rappelle que les professionnels agissent dans un cadre, judiciaire ou administratif, dont ils ne peuvent prétendre s'affranchir. Il faut chercher, ensemble, comment et quand expliquer les règles de ce cadre aux familles.

Lise-Marie Schaffhauser rappelle que toute famille, dans ses relations avec l'Aide sociale à l'enfance, a le doit d'être accompagnée de la personne de son choix. C'est quelque chose qui n'est pas assez pratiqué. Par ailleurs, selon elle, si l'on recherche ce qui fait du lien, crée un langage commun, protège à la fois et assigne des places, c'est tout simplement le droit. Elle souligne enfin qu'au-delà de l'enfant, il y a les parents, mais il y a aussi l'ensemble de la famille, qui, très souvent, est complètement ignorée, et puis au-delà, une sorte de famille choisie, parce que chacun a le droit de se choisir qui il veut pour l'accompagner dans sa vie.

Le débat revient sur les conditions de la compréhension entre les familles et les professionnels. Pour Nadine Gizard, il est essentiel de mieux connaître le rôle de chacun : « Une fois qu'on connaît le rôle de chacun, on va plus facilement vers une personne. » C'est  vrai pour les travailleurs sociaux, mais aussi à l'école. Lydie Pierrard trouve qu'il y a : « Les travailleurs sociaux d'un côté, et puis les familles de l'autre, les enfants en troisième partie souvent, le reste de la famille, on n'en parle même pas. » Le travailleur social pourrait s'intégrer à la famille pour comprendre pourquoi elle agit comme ça et essayer de comprendre comment elle vit. Régis Theys estime cependant que le travailleur social doit respecter l'intimité des personnes : il y a une opacité nécessaire dans la relation d'aide, qui fait que le travailleur social n'a pas à tout savoir. Le danger qu'il faut éviter, c'est que, comme l'exprime Lydie Pierrard : « Quand les travailleurs sociaux ne connaissent pas tout, ils ont des préjugés. »

Marie-Martine Bernard reprend ses deux axes de propositions : s'appuyer sur les délégués de parents d'élèves, former les formateurs et Xavier Godinot pointe l'importance de prendre le temps de se parler, de s'approcher. Lise-Marie Schaffhauser revient sur la notion de droit, qui crée le cadre de l'échange : il ne sert à rien de : « Parler pendant des heures, si on ne parle pas de la même chose, si on ne sait pas bien de quoi on parle, quel est le rôle de chacun, quelle est notre place, comment la société à travers le droit nous les donne » : c'est le droit qui fait du lien, s'impose à tous, évite l'arbitraire et peut servir de langage commun. Patrick Martin approuve : pour lui, il ne devrait pas y avoir, dans le cadre de toute mesure éducative, de premier entretien terminé sans qu'on ait réfléchi ensemble à la raison pour laquelle on est là, et qu'on ait vérifié qu'on comprend bien la même chose autour de ce qu'on va écrire et transmettre à un inspecteur ou à un juge. Ce sont des moments fondamentaux qu'il faut prendre le temps de travailler collectivement. De même, à toutes les étapes, il est hors de question qu'une institution laisse des intervenants sociaux travailler seuls : à toutes les étapes, il faut que les observations soient croisées. Ce n'est pas le fait d'être travailleur social qui autorise à dire quelque chose, c'est parce qu'il y a eu des échanges, parce que d'autres l'ont dit, parce qu'on l'a vérifié avec les parents, parce qu'on en a parlé. Enfin, Patrick Martin souligne qu'on ne doit pas  être dans un tête-à-tête entre parents et intervenants sociaux : le travail doit s'inscrire dans un réseau. Il faut aider les parents et les familles à s'impliquer dans des réseaux et les réseaux à les accepter : c'est un double mouvement.

Robert Roach pense qu'il faut un représentant juridique qualifié qui participe aux discussions aux côtés de la famille. Xavier Godinot note que cela renvoie dans le contexte français au problème de l'accès des familles très défavorisées au soutien d'un avocat. Il souligne que l'idée essentielle, c'est de maintenir le lien entre parents et enfants et que les différents acteurs viennent aider la famille à maintenir ce lien, à l'extérieur et à l'intérieur.

On revient sur la question de la formation des magistrats, des travailleurs sociaux, des instituteurs... Pour Hervé Lefeuvre, on ne doit pas sortir d'un établissement professionnel sans avoir un minimum de compétences et de repères par rapport à la réalité de ce que vivent les familles très démunies.

Patrick Martin invite en conclusion  à ne pas oublier que la protection de l'enfance a été un acquis social. La notion d'enfance en danger, aussi relative qu'elle soit, est un acquis. Par contre, ce qui reste à faire, c'est de travailler ensemble cette question de l'enfance en danger, des difficultés de chacun. A un moment donné, il faut trouver des solutions collectives, tout en faisant parfois quelques parcours d'accompagnement individuel.

Rédaction de la Revue Quart Monde

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