Un projet pilote de promotion familiale sociale et culturelle

Chantal Consolini, Catherine de Schauenburg, Bruno Tardieu et Marie Verkindt

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Chantal Consolini, Catherine de Schauenburg, Bruno Tardieu et Marie Verkindt, « Un projet pilote de promotion familiale sociale et culturelle », Revue Quart Monde [En ligne], 216 | 2010/4, mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5058

Après plusieurs années de rencontres informelles, diverses associations de Lille (France) ont décidé la signature le 2 décembre 2009 d’une convention relative à la création d’un collectif associatif engagé dans une démarche-projet pour la mise en place d’un projet pilote de promotion familiale sociale et culturelle dans le quartier de Fives.

Comme d’autres ont eu pour objectif l’abolition de l’esclavage, ATD Quart Monde vise la destruction radicale de la misère. Les actions entreprises visent à détruire la misère par l’accès de tous aux droits fondamentaux (logement, santé, éducation, etc.), à la responsabilité et à la citoyenneté de tous.

Des alliances sur lesquelles s’appuyer

Notre expérience en matière de promotion familiale depuis quarante ans a montré que pour se reconstruire dans leurs projets les familles très abîmées par la misère doivent pouvoir s’appuyer sur des sécurités fondamentales, des services publics de qualité et aussi sur une vie de quartier citoyenne forte et déterminée à n’exclure personne.

La région Nord-Pas de Calais nous a attirés pour plusieurs raisons. La vivacité des alliances citoyennes, professionnelles et institutionnelles bâties par le Mouvement ATD Quart Monde a été une raison majeure. Les alliances sur lesquelles s’appuyer se déclinent de la manière suivante : la qualité de relation avec le Conseil général, avec des Mairies en particulier celle de Lille, avec les logeurs, avec la DDE1 en recherche pour accompagner les démolitions- reconstructions ; une longue histoire avec le rectorat, et enfin et surtout une histoire récente très prometteuse de collaboration avec des associations de protection de l’enfance : l’AGSS-UDAF, l’ADSSEAD, le Home des Flandres, ainsi qu’avec des juges et des avocats pour les tribunaux pour enfants. Le lien entre le mal logement, la misère, l’éclatement de la famille avec placement des enfants reste une question entière sur laquelle nous avons senti que nous pourrions expérimenter avec les partenaires concernés.

Une autre raison est la vivacité associative et militante des milieux populaires du Nord, la solidarité et le collectif vécus comme une valeur d’avenir et l’insistance des pouvoirs publics à soutenir le vivre ensemble et le droit commun.

C’est à Lille, dans le quartier de Fives.2, regroupant vingt mille habitants, peuplé d’une de population à forte mixité sociale, fréquentant cinq groupes scolaires primaires, deux centres sociaux, de nombreuses associations3, que le Mouvement a choisi de lancer une recherche-action comme processus permettant de faire travailler ensemble les familles les plus fragiles, les professionnels, les acteurs associatifs et les autres habitants du quartier. Le but est de rechercher ensemble les conditions indispensables pour que toutes les familles - surtout celles pour lesquelles plusieurs dispositifs ont échoué - puissent se sortir de la misère et participer à la vie du quartier.

Une histoire riche d’enseignement

En 1972 déjà, le Mouvement avait obtenu, après un long combat, la construction d’une cité de promotion familiale sociale et culturelle à Noisy-le-Grand sur le terrain du Camp des sans- logis créé par l’abbé Pierre en 1954, là où Joseph Wresinski et les habitants de ce camp ont créé ATD Quart Monde. Cette cité était une innovation en ce qu’elle était un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour lequel nous avions obtenu une dérogation dans la loi afin d’y accueillir des familles entières sans logis et souvent dispersées à cause de la misère ; dérogation ayant amené à l’élargissement de la loi en 1974, ouvrant la possibilité de CHRS familiaux. Une autre dérogation permettait que ces familles puissent rester dans la cité plus longtemps que les six mois renouvelables deux fois prévus par la loi. Celles qui pouvaient repartir vers du logement social de droit commun au bout d’un an le faisaient, celles qui étaient trop abîmées par la vie d’errance et de misère pouvaient rester le temps nécessaire, jusqu’à trois ou quatre ans, avant de repartir. Les chiffres montrent que les familles qui ont séjourné dans ce CHRS particulier depuis 1972 se sont ensuite installées à 85 % dans du logement de droit commun. Ce chiffre est à mettre en parallèle avec le fait que la plupart des personnes et familles utilisant les structures d’hébergement y retournent et ne s’intègrent pas dans le logement social. Pourtant les familles qui nous étaient confiées étaient souvent parmi les plus misérables, celles pour lesquelles les services n’avaient plus de solution. Nous avons créé dans la fin des années 70 d’autres cités de promotion familiale à Reims, à Rennes et à Herblay dans le Val d’Oise. Ces cités ont cessé leur vocation de promotion familiale, soit à la fin d’une convention passée avec la CAF4 suivie une opération de démolition reconstruction (Rennes), soit quand les opérateurs du logement n’ont plus soutenu le relogement des familles accueillies, bloquant ainsi leur transit. En outre, toutes ces cités n’étaient pas ou peu intégrées au quartier environnant. Dans les années 2004-2006, en relisant ces expériences, nous avons pris conscience que les raisons du relatif succès du CHRS familial particulier de Noisy-le-Grand étaient l’intégration de ce centre d’hébergement à un quartier : les appartements sont identiques aux appartements de leurs voisins locataires, des volontaires permanents d’ATD Quart Monde vivent en voisins au milieu des gens, encourageant une dynamique de soutien mutuel, enfin une équipe multidisciplinaire (sociale, éducative, culturelle) fait profiter le quartier entier des services communautaires de qualité : centre culturel (lecture, peinture, théâtre, sport) pour les enfants et les jeunes en dialogue étroit avec l’école ; foyer familial pour les adultes ; pré-école pour les tout petits et leurs parents ; service social et de relogement basé sur l’émergence du projet des familles.

Ce qui peut faire levier dans une vie difficile

En priorité, nous avons voulu rencontrer à Fives des familles dont les enfants vont à l’école maternelle et primaire, en difficultés culturelles, sociales, économiques : familles qui ne trouvent pas d’appui dans les dispositifs qu’on leur propose, familles dont les enfants sont placés ou suivis en AEMO5, repérées comme étant dans des situations préoccupantes ou en difficulté d’accès aux droits notamment sur la question du logement. Il s’agissait de les rencontrer non pas sur leurs difficultés mais sur ce qui pourrait faire levier dans leur vie.

Une volontaire permanente habite dans le quartier et des relations de voisinage s’établissent. Elle a aussi travaillé dans une cantine scolaire du quartier.

Avec une petite équipe, nous avons pris le temps de connaître le quartier, d’y marcher, d’aller dans les lieux de fréquentation des personnes très pauvres (magasins, parcs, sorties d’écoles, autres associations), de chercher les opportunités pour rencontrer les parents en fréquentant leurs lieux de participation festifs, en leur apportant des photos prises lors de ces fêtes, des réalisations de leurs enfants ou en les invitant personnellement aux événements du quartier. Ces invitations nécessitaient de chercher à comprendre à chaque fois les conditions de la participation. Si par exemple, les enfants voulaient participer au carnaval mais n’avaient pas de déguisement, notre réponse a été la création d’un atelier de confection de chapeaux carnavalesques...

Nous avons aussi initié des actions entraînant d’autres associations, des écoles, en mettant ces actions en lien avec les événements du quartier. Lors des animations culturelles dans des lieux publics avec d’autres associations, il était important d’être au moins deux pour qu’un des animateurs aille à la rencontre de ceux qui restaient en marge.

L’action s’est appuyée enfin sur des personnes déjà connues par des actions antérieures du mouvement ATD Quart Monde dans le quartier, pour aller à la rencontre des personnes en situation de précarité qu’elles connaissaient et bien entendu sur les autres parents notamment ceux qui ont fait le choix de vivre à Fives, de mettre leurs enfants à l’école du quartier et qui sont les garants de la mixité sociale avec la question de savoir comment les soutenir dans leur démarche. Le projet leur a été présenté comme un projet pour un meilleur vivre ensemble dans le quartier, pour la réussite de tous les enfants. C’était prendre en compte le désir commun de toutes les familles de vivre dans un environnement de paix et de fraternité et l’aspiration des plus pauvres de voir leurs enfants « ne pas passer par là où ils sont passés ». L’action de promotion familiale ne peut être dissociée de l’action de protection de l’enfance c’est à dire de la nécessité de soutenir les adultes dans leurs rôles de parents, de renforcer les liens parents-enfants, enfin de comprendre avec les parents les questions qu’ils se posent dans l’éducation de leurs enfants. Une des deux volontaires, responsable du projet, a participé en tant que parent elle-même aux réunions dans le cadre d’une association aux projets éducatifs sur des problématiques liées à l’éducation et a pu se lier ainsi à des parents de tous les milieux du quartier. Des militants du Mouvement du groupe d’appui au projet ont participé aux fêtes du quartier.

Croiser les regards, les savoirs et les pratiques de tous les acteurs

Tous les partenaires (familles très pauvres, associations, services publics sociaux, éducatifs et culturels, élus, habitants du quartier, membres d’ATD Quart Monde) seront associés à chaque étape du projet : diagnostic, élaboration, mise en œuvre, évaluation. Cela permet de croiser les regards, les savoirs et les pratiques pour favoriser la connaissance mutuelle, les relations et l’exercice du partenariat entre tous les acteurs.

Beaucoup de temps a été pris pour connaître le réseau d’acteurs, rencontrer chacun d’eux, partager avec eux notre recherche pour que tous participent. Il était essentiel de leur donner un espace afin qu’ils nous parlent des familles qu’ils n’arrivent ni à atteindre, ni à comprendre ou qui sont celles qui mettent en échec les types d’action voulues pour tous. Puis les partenaires ont accepté de se rencontrer collectivement pour mettre en commun les défis et efforts de chaque institution.

La mairie de Lille a subventionné le projet au titre de la délégation famille-parentalité. Mais ce sont tous les services qui ont été concernés : lutte contre les exclusions, éducation, famille-parentalité, logement, politique de la ville.

La ville de Lille fait partie du réseau des villes éducatives. L’université de Lille a réalisé pour la direction du Projet éducatif global une étude sur la participation des parents aux structures péri-éducatives. La mairie est intéressée par la poursuite de la recherche sur les conditions de la participation des 15 % de la population dite en repli éducatif qui ne fréquentent pas ces structures.

Le Conseil général s’est impliqué dans le financement et dans un groupe de travail pour comprendre ce qui permettrait à leur travail social de mieux soutenir l’action parentale. Le Conseil régional a été sollicité au titre d’une action-recherche formation pour dégager les conditions à réunir pour la réussite d’un projet visant à favoriser un réel accès à la citoyenneté et à la promotion de tous dans un quartier. La communauté urbaine de la métropole lilloise soutient le projet via le service habitat, l’État soutient via le Ministère Jeunesse et Sports et celui des affaires sociales subventionne ATD dans le cadre d’une convention pluriannuelle d’objectifs. Tous les domaines ont été travaillés : parentalité, réussite éducative, logement, accès aux droits fondamentaux.

Deux volontaires du Mouvement à plein temps, une alliée professionnelle de l’enseignement à mi-temps, des bénévoles, des professionnels détachés de leur institution participent au projet. Le suivi est assuré par ATD Quart Monde aux niveaux national, régional et scientifique, ainsi que par un groupe d’appui et un comité technique.

Le groupe d’appui regroupe une quinzaine de personnes, professionnels, militants et alliés Quart Monde de la région. Il a pour but d’approfondir ce que peut être ce projet de promotion familiale sociale et culturelle en croisant les savoirs de personnes ayant connu l’expérience de la misère, de militants associatifs et de professionnels.

Le comité technique inter-partenarial réunit tous les partenaires institutionnels. Il a montré la pertinence de se retrouver non entre pairs mais dans la diversité et la pluridisciplinarité. Car une approche globale de la famille permet un meilleur partenariat et donc un meilleur travail avec la famille. Il reflète la réalité de l’interdépendance des droits.

Un des premiers fruits de ces travaux est une nouvelle confiance avec des familles très démunies qui espèrent dans ce projet, partagent leur expertise et commencent à se lier à d’autres du quartier.

1 Direction départementale de l’équipement.

2 Voir le rapport annuel 2009 sur le site : http://www.atd-quartmonde.fr/?Une-annee-de-co-construction

3 ATD Quart Monde ; ADSSEAD : Association de services spécialisés pour enfants et adolescents en difficulté ; AGSS de l’UDAF : Association gestion

4 Caisse d’allocations familiales

5 Assistance éducative en milieu ouvert.

1 Direction départementale de l’équipement.

2 Voir le rapport annuel 2009 sur le site : http://www.atd-quartmonde.fr/?Une-annee-de-co-construction

3 ATD Quart Monde ; ADSSEAD : Association de services spécialisés pour enfants et adolescents en difficulté ; AGSS de l’UDAF : Association gestion services sociaux de l’UDAF, Union départementale des associations familiales; Home des Flandres : accueil pour des enfants et des adolescents dans le cadre de la protection de l’enfance ; Association Espace de vie : permet à des familles dont les enfants sont placés de vivre des week-ends non médiatisés en gîte avec d’autres familles qui vivent la même situation.

4 Caisse d’allocations familiales

5 Assistance éducative en milieu ouvert.

Chantal Consolini

Les auteurs sont coresponsables du projet de promotion familiale sociale et culturelle à Fives. Bruno Tardieu est volontaire permanent, délégué national d’ATD Quart Monde France ; Chantal Consolini et Catherine de Schauenburg sont volontaires permanentes habitant à Lille ; Marie Verkindt, alliée, enseignante, a rejoint le projet à mi-temps

Catherine de Schauenburg

Bruno Tardieu

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