Des soins une fois par an !

Bruno Dabout

p. 14-19

References

Bibliographical reference

Bruno Dabout, « Des soins une fois par an ! », Revue Quart Monde, 220 | 2011/4, 14-19.

Electronic reference

Bruno Dabout, « Des soins une fois par an ! », Revue Quart Monde [Online], 220 | 2011/4, Online since 01 April 2012, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5249

Dans un hôpital à ciel ouvert provisoirement installé dans les Appalaches en Virginie (USA), une campagne de santé est menée chaque année, conjointement par une association « camion santé » et par l’organisation RAM, force mobile d’aide médicale gratuite.

Sœur Bernie, proche d’ATD Quart Monde, a fondé le Health Wagon (camion santé). Elle est à l’origine d’un partenariat du Health Wagon avec RAM (Remote Area Medical) depuis douze ans. RAM fournit gratuitement des soins médicaux, dentaires, ophtalmiques, des services vétérinaires, et une assistance technique et pédagogique aux populations de régions isolées des États-Unis et du monde. 60 % de ces expéditions servent l’Amérique rurale.

Une force mobile d’aide médicale

Le fondateur de RAM, Stan Brock, a conçu l’idée de son premier programme en Amazonie, dans un village d’où il fallait marcher vingt-six jours pour avoir un accès aux soins. Sa vision est d’apporter des soins gratuits dans les zones les plus reculées. Il a passé quinze ans dans la forêt amazonienne avec les Indiens Wapishana et a été témoin de l’extinction presque totale de tribus entières par ce qui aurait pu être des maladies simples ou mineures pour des cultures plus avancées. Il a fondé cette organisation en 1985, devenue au fil du temps un vaste réseau soigneusement développé, d’hommes et de femmes qui se sont rassemblés pour faire de RAM une force mobile d’aide médicale. Les volontaires sont des docteurs, des infirmières, des techniciens, des vétérinaires et des personnes de soutien qui participent à des expéditions, à leurs frais. Le matériel médical, les médicaments, l’équipement et les véhicules sont des dons. La Fondation RAM assure le soutien financier et administratif.

Aux États-Unis, les premiers services fournis par le Corps de Volontaires RAM fut dans les montagnes des Appalaches du Sud-est où 42 % de la population est rurale, comparée à la moyenne nationale de 20 %. Une région montagneuse très étendue qui regroupe des parties de treize états. Dans les comtés où existent les services de santé, de nombreux chômeurs n’ont pas l’assurance médicale nécessaire à la couverture du coût des soins médicaux, et dans les comtés qui ont le plus fort taux de chômage, il manque de services de santé. En 2010, le programme a atteint vingt mille six-cent trente et un patients aux Appalaches et le coût des services fut de l’ordre de six millions de dollars. Une clinique typique de RAM offre des soins dentaires, des soins de la vue et de médecine générale.

Des soins en une journée

Wise, petite ville des Appalaches dans le Sud-ouest de la Virginie. En l’espace de quatre jours, un emplacement utilisé pour des événements locaux, tels un concours hippique et autres, fut converti en un immense hôpital à ciel ouvert où quelque deux mille patients ont reçu des soins pendant trois jours, grâce à une organisation hors classe. L’été dernier, j’ai aidé à l’installation avec des dizaines d’équipes de volontaires.

RAM a une forme d’organisation du style « chaîne de montage » pour les soins. Les patients sont d’abord inscrits, puis ils sont orientés dans trois directions : pour la vue, les soins dentaires et la médecine générale. Ensuite des infirmières font un premier examen qui inclut la prise de tension et d’autres tests. Cela avait lieu dans les stalles d’animaux mais c’était fait par des infirmières très accueillantes et très engagées.

Après cela, les patients sont accompagnés par des volontaires à la zone des soins dentaires, de la vue, ou du médical pour les soins préliminaires. Pour un premier tri des soins dentaires à réaliser, cela comprend le nettoyage des dents, la prise de rayons, le fraisage, les extractions et les dentiers. Le contraste est frappant entre le lieu où les gens sont assis sous une toile de bâche ou un abri sur des vieux bancs ou chaises en plastique, les fauteuils médicaux usagés, et l’utilisation d’une technologie très moderne. Par exemple, il est possible de consulter immédiatement un spécialiste des yeux qui peut examiner des photos de l’iris depuis son ordinateur à l’hôpital de la ville de Charlottesville, ce qui évite un voyage de sept heures en voiture.

Cette organisation permet que les patients soient soignés en une journée. C’est-à-dire, par exemple, d’avoir un examen des yeux et de retourner chez soi avec des lunettes adaptées à son besoin ou de les recevoir quelques jours plus tard par la poste. Tout est gratuit et il n’est pas nécessaire de prouver que l’on est pauvre ou suffisamment malade pour être pris en charge. Il faut simplement être prêt à arriver de bonne heure et attendre longtemps à chaque étape du processus. Il peut arriver qu’un patient doive revenir le deuxième jour, mais c’est seulement s’il ou elle a besoin de plusieurs types de soins de natures différentes, par exemple soins dentaires et médecine générale, car il faut souvent attendre très longtemps.

Pendant les trois jours de RAM, Matthew, Alice1 et moi arrivions à 6 h et partions à 18h. Après un petit déjeuner à l’américaine, préparé et offert par une équipe du Lyons Club, nous accompagnions les patients toute la journée. Il y avait une queue de volontaires qui attendaient sous une bâche. Dès que le patient avait été inscrit et avait reçu le premier examen, il était accompagné par un volontaire vers le lieu du traitement, médical, dentaire, ou de la vue, et était connecté à un autre volontaire qui lui trouvait un siège pour attendre sous la tente jusqu’à ce qu’il puisse être examiné. Il y a donc une chaîne de volontaires tout au long de cette chaîne de montage de soins médicaux.

Des questions

Les patients sont de tous âges, hommes et femmes, surtout blancs. Il n’y avait pas autant d’enfants que je l’aurais imaginé. Beaucoup d’entre eux sont visiblement en très mauvaise forme physique, souvent obèses ou parfois très maigres [...] Quelques personnes ont un autocollant sur le devant de leur T-shirt avec l’image d’un appareil photo barré. Ont-ils peur des journalistes ou de volontaires prenant des photos en souvenir ? Lorsque l’on m’a demandé de prendre la responsabilité de remplacer à l’heure du déjeuner celui qui vérifiait que les patients avaient bien signé et daté leurs papiers avant de commencer les soins, on m’a demandé de respecter deux règles simples et claires : aucune interview de journaliste, aucune question ou conversation avec les patients au sujet de leur histoire ou de leur santé. Je pouvais entendre que volontaires et patients se parlaient et certains volontaires savaient très bien dire des paroles sympathiques en souriant à chaque personne sans parler de la santé, de l’histoire familiale, de religion ou de politique.

Les gens ont peu d’accès aux soins, surtout aux soins dentaires et il y a eu énormément d’extractions à cause de deux principaux facteurs : une trop grande consommation de soda trop tôt et l’addiction au meth2. On m’a dit que, même quand les jeunes enfants se brossent les dents, le soda est très mauvais pour eux à cause de son acidité qui attaque l’émail. Lorsque des enfants boivent du soda dans un biberon dès deux ans, toutes leurs dents peuvent être gâtées. Sœur Bernie m’a parlé d’un jeune enfant dont toutes les dents ont dû être arrachées, l’infection étant contrôlée avec de très puissants antibiotiques pour qu’elle n’atteigne pas les yeux, avec le risque qu’il devienne aveugle.

Il y avait là une grande diversité de volontaires de vingt à soixante-dix ans - ils étaient au nombre de mille pour quelque deux mille patients - avec des origines et des motivations très différentes.

Parmi les volontaires on trouve des personnes ayant bénéficié des soins lors d’opérations antérieures : « Maintenant je veux aider à mon tour tous ceux que je peux. »

Seul le personnel de santé installé en Virginie a l’autorisation d’exercer à RAM. Une femme médecin m’a dit qu’elle exerçait dans un quartier de classe moyenne dans l’Ohio, qu’elle est volontaire deux fois par mois dans une clinique du quartier pauvre de sa ville. Cette année elle est volontaire pour accompagner les patients mais elle a l’intention de venir l’an prochain comme volontaire médecin.

J’ai parlé avec un autre qui dans la vie est assistant du shérif. Le plus grand défi dans son travail est le trafic de drogues, toutes sortes de drogues mais spécialement le meth.

Il y avait un stand sur la prévention du cancer et un stand Tapori3 où les enfants sont venus écouter des histoires, et même une organisation d’anciens combattants dédiée au stress post traumatique, qui distribuait des bonbons, en contradiction totale avec les conseils de prévention des caries qu’une autre organisation donnait pas très loin de là...

Les consultations médicales et les médicaments étaient gratuits, et il y avait également des vêtements et du matériel scolaire à disposition autour de la zone santé. N’y a-t-il pas un risque de développer une mentalité où vous n’avez rien à payer ou à faire pour contribuer ?

Le Gouverneur de l’État de Virginie, au cours d’une visite pendant l’expérience, a fait l’éloge des volontaires et a souligné le besoin d’aide pour les 16 % de Virginiens qui n’ont pas d’assurance santé : « Les gens ont fait don de leur temps et de leur argent ; c’est une part importante du système santé » a-t-il dit, et il a poursuivi : « C’est le meilleur du système américain ».

Cependant Sœur Bernie assure que très peu de professionnels locaux viennent à RAM. Ils ne sont pas prêts à faire payer certains patients moins cher. Elle pense qu’ils ont peur pour leur réputation : coût faible équivaudrait à moindre qualité.

On peut se demander comment canaliser cet investissement momentané de volontaires qui se mobilisent de la sorte en si grand nombre pour une opération, et comment unir leur énergie et leurs compétences vers quelque chose de plus durable ?

Participer à l’expédition RAM fut une expérience passionnante, pleine de leçons et en même temps déchirante.

Ce qui m’a frappé : Un monsieur remarquablement obèse avait besoin que quelqu’un lui garde sa place pendant son examen médical pour être sûr qu’ensuite il serait toujours dans la queue des soins dentaires pour traiter ses dix-sept cavités. Je me suis porté volontaire, ne sachant à quoi m’attendre. Pendant l’heure et demie où j’étais virtuellement lui, je me suis déplacé dans la queue d’environ quinze chaises. Je me levais, me déplaçais d’à peine un mètre et me rasseyais. Je ne pense pas m’être autant ennuyé de toute ma vie. Lorsqu’il est finalement revenu de son examen et a repris sa place, j’étais prêt à m’arracher les cheveux. Lui, par contre, comme tous les autres patients que j’ai rencontrés, conservait calme et patience, ce qui devenait de plus en plus impressionnant au fur et à mesure que la journée avançait. Rester assis pendant des heures sous cette chaleur torride sans rien faire m’aurait rendu complètement fou. Non seulement les patients le supportaient, mais de plus, ils étaient toujours respectueux et reconnaissants par rapport aux volontaires. (Matthew Mac Guire)

On vit rarement des expériences comme celle-ci. J’ai dix-sept ans et c’était ma première expérience de volontaire dans le monde de la médecine et aussi de la misère. [...] J’ai trouvé que le système d’accueil et d’accès aux soins pour les patients était très efficace et bien pensé. Il y a peu de risque qu’un patient ne soit pas pris en charge car, à chaque chaînon, des volontaires prennent le soin d’accompagner chacun où il doit aller. D’un point de vue matériel, c’est très pointu : tout le matériel nécessaire est apporté, assurant des soins (à mon avis, d’une très bonne qualité) relativement aux conditions que dicte le lieu. En tant que Française, j’ai été surprise par la façon qu’ont les américains d’entrer en contact. Les gens m’ont accueillie à bras ouverts, comme ils le font entre eux. (Alice Clément)

J’habite dans la région où travaille RAM, cette organisation que je trouve formidable et qui devient de plus en plus importante chaque année.

Je n’avais jamais fait de travail bénévole mais, cette année, Sœur Bernie Kenny m’a permis de le faire. J’ai toujours aimé aider les gens, et avec un tel guide tout est possible. Cette fantastique femme a fondé cette organisation il y a plusieurs années et elle continue de répondre aux besoins des gens.

Cette année, elle m’a emmenée avec elle parce qu’elle sait que c’est mon rêve depuis que je suis toute petite […] J’ai pu aider pendant deux jours. J’ai balayé, nettoyé les lits et aidé à décharger le matériel. J’ai aussi fait l’inscription de quelques patients. Beaucoup d’entre eux m’ont regardée comme s’ils pensaient que je ne saurais pas quoi faire avec l’ordinateur. Mais ils ont tout de même eu assez confiance pour venir s’asseoir devant une fille de seize ans et me parler comme à une adulte.

J’ai été vraiment impressionnée par les patients parce qu’ils étaient si calmes alors qu’ils avaient fait la queue pendant des heures sous un soleil de plomb. Je peux dire honnêtement que j’ai beaucoup aimé cette expérience et que je voudrais vraiment y participer comme volontaire l’an prochain. (Amber Steffey).

1 Membres d’ATD Quart Monde, également volontaires pour cette campagne de soins. Voir les encadrés page 18.

2 Méthamphétamine : drogue synthétique psychostimulante, hautement addictive au-delà des dosages médicinaux.

3 Courant mondial d’amitié entre les enfants, animé par ATD Quart Monde. Des enfants de différents milieux deviennent amis. Ils créent des projets

1 Membres d’ATD Quart Monde, également volontaires pour cette campagne de soins. Voir les encadrés page 18.

2 Méthamphétamine : drogue synthétique psychostimulante, hautement addictive au-delà des dosages médicinaux.

3 Courant mondial d’amitié entre les enfants, animé par ATD Quart Monde. Des enfants de différents milieux deviennent amis. Ils créent des projets pour apprendre des enfants dont la vie quotidienne est très différente de la leur. Ils inventent une manière de vivre ensemble qui ne laisse personne de côté. Voir le site : http://www.tapori.org/site/

Bruno Dabout

Bruno Dabout est volontaire permanent du Mouvement ATD Quart Monde, membre de la Délégation régionale Amérique du Nord.

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