Massimiliano et Gianluca De Serio, Sept œuvres de miséricorde

Film italien, 2011

Jean Tonglet

p. 51-52

Référence(s) :

Massimiliano et Gianluca De Serio, Italie/Roumanie, 2011, 103 minutes, avec Olimpia Melinte, Stefano Casseti, Robert Herlitzka, Ignacio Oliva, http://www.setteoperedimisericordia.it

Citer cet article

Référence papier

Jean Tonglet, « Massimiliano et Gianluca De Serio, Sept œuvres de miséricorde », Revue Quart Monde, 227 | 2013/3, 51-52.

Référence électronique

Jean Tonglet, « Massimiliano et Gianluca De Serio, Sept œuvres de miséricorde », Revue Quart Monde [En ligne], 227 | 2013/3, mis en ligne le 01 février 2014, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5650

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Italie

Comment parler d’un film quasiment muet, dont la force étonnante trouve sa source dans les images : des gros plans des corps et des visages, ceux de Luminita, une jeune moldave à la dérive, récemment arrivée, clandestinement, à Torino, et Antonio, un vieillard en fin de course, plongé dans une solitude totale ?

Comment parler d’un film qu’il faudrait d’abord pouvoir voir et qu’en l’état actuel des choses, vous risquez de ne jamais voir en France ou ailleurs ? Primé à Annecy, à Marrakech, à Grenoble, à Locarno, et ailleurs, sélectionné dans une vingtaine de Festivals, ce film n’est resté que quelques semaines à l’affiche en Italie et n’a pas été distribué jusqu’ici en France. Difficile, stylisé, esthétique, et exigeant pour le spectateur, ce premier film des frères De Serio, jumeaux qui s’étaient illustrés précédemment comme documentaristes - notamment avec Bakroman, un film sur les enfants de la rue au Burkina Faso -, est un film dur, une plongée très réaliste et sans complaisance dans les bas-fonds de la société italienne, à Turin en l’occurrence, dans cette ville industrielle qui a généré son flot de marginaux, ses bidonvilles, ses camps Roms, et où la pauvreté est galopante. Luminita, hébergée dans un camp Rom, survit au jour le jour à travers des rapines diverses. Pour prix de son hébergement, elle doit chaque soir remettre son butin à ses hôtes. Au cours d’une de ces journées de vol à la tire et autres larcins, elle fait connaissance avec Antonio, un vieillard en très mauvaise santé, victime d’une insuffisance respiratoire grave, trachéotomisé. Elle le suit à sa sortie, l’agresse, le séquestre dans son propre appartement. Cette rencontre commencée sous le signe de la violence, et d’une guerre entre deux pauvres, évolue peu à peu vers l’amitié. Il faudrait voir la scène au cours de laquelle, après que Luminita eut fait la toilette d’Antonio, celui-ci l’allonge sur son lit, la déshabille avec délicatesse, et lui fait endosser les vêtements de son épouse, qui n’avaient sans doute plus été portés depuis le décès de celle-ci.

Comme les autres, cette scène, un des sept chapitres du film, est introduite par un intertitre : Vêtir ceux qui sont nus. De là le titre du film, Sette Opere di Misericordia, Sept œuvres de miséricorde, allusion aux sept œuvres de miséricorde chrétienne : nourrir les affamés, donner à boire aux assoiffés, vêtir les dénudés, héberger les sans-logis, visiter les malades, libérer les prisonniers, ensevelir les morts. Sept chapitres illustrés de manière diverse : avec une grande émotion, comme dans la scène qui vient d’être décrite ; avec ironie, quand « Nourrir les affamés » est illustré par la visite de Luminita dans la chambre d’Antonio, une visite dont le seul but est de lui voler son repas. Olivier Père, ancien directeur du Festival de Locarno, a écrit ceci au sujet de ce film : « Il est vrai que ‘Sette opere di misericordia’ n’a pas eu le succès auquel on s’attendait. Il représente en effet le passage difficile d’une forme de cinéma à une autre : le passage du film documentaire que les frères De Serio connaissent très bien, à la fiction. Je trouve ce film très beau, je trouve que dans le paysage du cinéma italien, c’est vraiment la proposition la plus forte et la plus artistique que nous ayons vue, et c’est la raison pour laquelle nous les avons invités à Locarno. Il est vrai qu’il s’agit d’un film dur, un film difficile parce que rempli de tristesse, de violence, de lutte, mais cependant c’est aussi un film qui démontre qu’on peut résister à une certaine manière de faire du cinéma en Italie, qu’on peut penser et produire un film selon des modalités pour lesquelles je nourris une profonde admiration. » On attend maintenant, avec une certaine impatience, une version DVD de ce film, permettant de compenser le peu d’attention dont il a été l’objet de la part des distributeurs, et d’attendre le prochain film des frères De Serio, qu’on peut rapprocher sans crainte des frères Dardenne.

Jean Tonglet

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