Je termine la lecture du rapport d'un expert indépendant de l'ONU. Sa façon de décrire les trottoirs de Port-au-Prince où se bousculent les marchands des rues qui tentent de vendre quelques produits me surprend. On l'imagine saisi par l'extraordinaire ténacité des hommes, des femmes et parfois même des enfants, qui déploient leurs marchandises tous les jours, de l'aube au coucher du soleil, en espérant l'arrivée d'un modeste consommateur qui pourra leur permettre de ramener quelques sous à la maison. Mais, explique-t-il, si Port-au-Prince est le plus grand marché informel du monde, vu du côté de la quantité de fournisseurs, il est en même temps le plus petit, compte tenu du peu d'acheteurs potentiels. Alors, comme le disent des pères et mères de famille de Haïti : « Tu marches toute la journée et tu rentres sans rien. Comment affronter le cri de nos enfants et la frustration de nos jeunes ? Pour nous, c'est la honte et la souffrance ».
Au Vietnam, récemment, Madame Lai me racontait comment elle avait dormi dans la rue, enroulée dans une toile en plastique, serrant sur son ventre ses deux enfants pour les protéger. La pluie, la peur, la faim la tenaient éveillée toutes les nuits. Par chance, Madame Van avait croisé son chemin et ne l'avait pas ignorée. Au contraire, elle avait trouvé les moyens de l'associer à son petit commerce de vente de beignets, partageant travail et revenus. Mais surtout, elle l'avait mise en lien avec d'autres, faisant en sorte qu'elle ose participer avec elle au groupe d'entraide créé dans le quartier. Là, Madame Lai se sent respectée, elle réfléchit avec les autres. « Être ensemble nous donne du courage. Les paroles que nous partageons sont précieuses comme de l'or » me disait-elle. En l'écoutant, me venaient à l'esprit ces mots de Madame Schenker de Suisse : « J'ai faim dans ma tête. C'est une faim de formation, d'avenir, c'est la faim d'avoir une place dans une société où les plus pauvres ne sont pas les bienvenus. Nous voulons apporter notre contribution ». Pas besoin d'expliquer cela à Firmin, Kevin ou Herbert, de Centrafrique ! Les opérations de distribution alimentaire ont été suspendues dans le camp de réfugiés à côté de l'aéroport de Bangui. Les dernières, faites sans concertation et sans connaissance de la réalité, ont suscité des violences. Mais ces jeunes continuent d'y animer des bibliothèques de rue qui rassemblent des centaines d'enfants. Quel chemin s'ouvrirait à nous si nos sociétés acceptaient de s'appuyer sur l'intelligence et le sens de la dignité de tous ?